La décision prise le 6 mai dernier à Paris par la juge d’instruction Françoise Desset de passer outre les recommandations du parquet en donnant le feu vert pour l’ouverture d’une enquête sur les biens détenus par trois présidents africains en France pourrait avoir de lourdes conséquences diplomatiques. La ministre française de la justice a refusé de se prononcer sur cette affaire, dont seul l’appel du parquet peut suspendre le processus qui met en péril les intérêts mutuels de ces pays.
La ministre française de la Justice, Rachida Dati, a refusé ce 6 mai de se prononcer sur un éventuel appel du parquet contre l’ouverture de l’enquête visant les biens détenus en France par les présidents de trois pays africains.
«Je ne suis pas partie à l’affaire, je m’exprime en tant que garde des Sceaux. La plainte a été jugée recevable par la juge d’instruction, le parquet fera des réquisitions», a-t-elle indiqué.
«Même s’il est sous l’autorité du procureur général et du garde des Sceaux, il y a aussi une opportunité dans la démarche du parquet et je ne vais pas prendre une position», a-t-elle ajouté.
Ce dossier est un vase diplomatique rempli de nitroglycérine puisque les trois pays concernés, le Gabon, la République du Congo et la Guinée Equatoriale, sont d’importants producteurs de pétrole et fiefs de Total, la première société française.
Jugeant recevable une plainte déposée par l’association anti corruption Transparency International, le réseau de juristes Sherpa et un citoyen gabonais, Grégory Ngwa Mintsa, la juge d’instruction Françoise Desset a décidé le 5 mai dernier d’ouvrir une information judiciaire sur ce dossier.
La plainte a été déposée pour «recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance» et concerne le patrimoine immobilier luxueux détenu en France par les présidents de ces trois pays et leurs proches.
Des poursuites seraient donc susceptibles d’être déclenchées concernant les 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus en France par Omar Bongo, président du Gabon, et ses proches, et les 24 propriétés et 112 comptes bancaires du président du Congo Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso.
Le dossier concerne également les limousines achetées à Paris pour plus de 4 millions d’euros par le président de la Guinée Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema, et ses proches.
L’avocat des plaignants, maître William Bourdon, a estimé que c’était «une décision sans précédent parce que c’est la première fois qu’une enquête judiciaire est ouverte concernant le détournement d’argent public imputé à des chefs d’Etat en exercice».
«Est désormais possible l’identification et la poursuite de ceux qui, inlassablement et sournoisement, appauvrissent leurs pays», a-t-il ajouté.
Selon Reuters, les fonds ne peuvent venir, pour les plaignants, des salaires des présidents, mais ont forcément, à leurs yeux, été acquis avec de l’argent public détourné. Ils soulignent par ailleurs que le procès Elf à Paris en 2003 avait démontré que les revenus tirés de l’or noir profitaient personnellement aux chefs d’Etat en question, indique l’agence de presse.
Ces derniers nient toute malversation. Mais Omar Bongo n’a pas engagé à ce jour les poursuites en diffamation qu’annonçait son avocat, maître Patrick Maisonneuve.
«La plainte déposée par Transparency International est irrecevable, elle n’a pas qualité pour représenter les citoyens du Gabon. J’espère donc que le parquet fera appel», a dit à Reuters maître Maisonneuve.
Le parquet avait requis à plusieurs reprises le rejet du dossier, jugeant irrecevables les plaintes déposées. En cas d’appel du parquet, le dossier serait suspendu jusqu’à l’automne prochain, le temps que la chambre de l’instruction statue pour infirmer ou confirmer l’ordonnance de la juge Françoise Desset.
Si l’enquête était effectivement lancée, les magistrats se heurteraient à l’immunité coutumière accordée aux chefs d’Etat en exercice, mais leurs proches n’en bénéficient pas et peuvent donc en théorie être arrêtés, sauf immunité diplomatique.