Jean-Louis Borloo souhaite faire de la lutte contre la déforestation une des priorités de la présidence française de l’Union européenne, qui débute le 1er juillet. C’est dans cette perspective que le ministre de l’écologie s’est rendu à Kinshasa (République démocratique du Congo) et à Brazzaville (République du Congo), du 22 au 25 mai, pour y rencontrer ses homologues.
Deux textes sont actuellement en discussion à la Commission de Bruxelles. Le premier, qui devrait être présenté en juin, imposerait l’obligation d’acheter du bois certifié par un label écologique pour pouvoir l’importer en Europe. Le second, prévu à l’automne, vise à établir une position commune entre les Vingt-Sept sur les moyens à mettre en oeuvre pour protéger ces zones tropicales désormais considérées comme bien public mondial.
VITRINE DE LA COLONIE BELGE
L’Afrique centrale constitue le deuxième poumon de la planète – après l’Amazonie – et plus de la moitié des écosystèmes majeurs pour la conservation de la biodiversité du continent africain y sont réunis. « Les grandes forêts humides sont en danger, constate Jean-Louis Borloo. Nous avons le devoir de les protéger mais nous ne pouvons pas demander aux pays concernés de faire cet effort sans les aider financièrement. La communauté internationale a accepté ce principe à la conférence de Bali sur le climat, il faut maintenant construire le mécanisme. »
Rien n’est moins simple. En particulier dans cette région où les arbres ne tombent pas – comme en Amérique du Sud ou en Asie – sous la poussée de coupes à blanc pratiquées par les grands exploitants agricoles. Ici, la pression démographique fait plus de dégâts que l’exploitation forestière. La population de la République démocratique du Congo devrait passer de 65 millions d’habitants aujourd’hui à 125 millions dans vingt ans. Autour des grandes villes, des fronts de déforestation se créent pour alimenter les citadins en bois de chauffage. Ailleurs, la forêt est grignotée par la progression des surfaces agricoles dont les familles tirent leurs seuls moyens de subsistance.
Dans ce pays mis à genou par des années de guerre, la province de l’équateur concentre toutes les difficultés que la communauté internationale devra surmonter pour freiner le recul des forêts. Avec ses plantations d’hévéa et de café, cette région septentrionale fut jadis la vitrine de la colonie belge. Elle est aujourd’hui la plus pauvre du pays. Plus aucune route ne la relie à Kinshasa. Deux semaines de navigation sont nécessaires pour rejoindre la capitale par le fleuve Congo.
La forêt reste la seule richesse de la province. C’est là que le ministre congolais de l’environnement, Joseph Endundo Bononge, a choisi d’emmener Jean-Louis Borloo. « Comment les paysans pourraient-ils arrêter de déforester alors qu’ils n’ont pas l’électricité ?, interpelle-t-il. Nous sommes prêts à jouer le jeu de la communauté internationale, mais il faut une contrepartie. »
Cette contrepartie est évaluée par le ministre, en s’appuyant sur des chiffres de Greenpeace, à 3 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) par an pour la RDC. Un pactole équivalent au budget actuel du pays. Le ministre de l’environnement de la République du Congo tient le même discours : « La conservation a un coût », prévient André Okombi Salissa.
Encore faudrait-il savoir où trouver l’argent et à qui le distribuer : aux communautés paysannes ? Aux concessions forestières s’astreignant à des règles d’exploitation durable ? Aux Etats, avec le risque, dans ces pays où la corruption est un des principaux écueils au développement, de voir ces milliards de dollars consolider des comptes personnels plus que des politiques publiques ?
Le débat est à peine lancé, mais les dirigeants africains ont bien compris qu’ils tiennent entre leurs mains le destin d’un bien rare. « Nous faisons partie des nouvelles puissances de la biodiversité, il serait irresponsable de nous ignorer », prévient M. Endundo. Entre les tentations de surenchère des pays forestiers et les sommes qu’il est réaliste d’attendre de la solidarité internationale, Jean-Louis Borloo admet que le compromis ne sera pas facile à trouver. Mais il considère que l’Europe doit montrer le chemin. En consacrant, par exemple, une partie des recettes de sa fiscalité écologique aux forêts tropicales.
CHIFFRES
Superficie des bassins du Congo : 2 millions de kilomètres carrés qui comptent parmi les dernières zones intactes de la planète. Elles se partagent entre six pays : Cameroun, Guinée équatoriale, Congo, Gabon, Centrafrique et République démocratique du Congo. Cette dernière, à elle seule, en possède plus de la moitié.
Population : 65 millions de personnes – parmi les plus pauvres du monde – dépendent de ces forêts pour leur subsistance, soit plus des deux tiers de la population de toute l’Afrique centrale.
Faune et flore : 400 espèces de mammifères, dont les singes bonobos et les 700 derniers gorilles de montagne, plus de 1 000 espèces d’oiseaux, 10 000 espèces de plantes – dont le tiers est endémique – caractérisent une biodiversité particulièrement riche.10 % environ de ces forêts sont classées en aires protégées.