Les audiences publiques ont été ouvertes ce 12 octobre à la Cour Constitutionnelle, où ont été entendus les requérants pour l’annulation des résultats de l’élection présidentielle du 30 août dernier avant la délibération finale de la haute juridiction. Depuis la fin de matinée, les avocats des plaignants et ceux d’Ali Bongo Ondimba se sont succédés à la barre sur les points susceptibles d’invalider la victoire du candidat du parti au pouvoir.
L’avenir de la Nation gabonaise est en suspend, avec l’ouverture des audiences publiques de la Cour Constitutionnelle ce 12 octobre, qui doivent aboutir à l’ultime verdict sur la validité des résultats du 30 août dernier.
Débutée avec un peu de retard aux alentours de 11H00, l’honneur est revenu à Luc Bengone Nsi, premier à déposer sa requête auprès de la Haute juridiction, d’ouvrir le bal avec sa première saisine sur l’illégitimité de la candidature d’Ali Bongo en raison de ses «origines incertaines». Ce débat, déjà battu en brèche par les autorités dès l’aube de «l’après Bongo», a été sèchement rejeté par les avocats de la défense, provocant de houleuses réactions dans la salle.
La présidente de la Cour Constitutionnelle, Marie Madeleine Mbourantsuo, a frappé le marteau pour rétablir le calme, le temps d’expliquer aux deux parties les procédés qui seront observés pour cette journée, où «chaque requérant aura droit à son temps de parole» sur les rapports des magistrats après lecture des dossiers de plainte et audition des requérants, a-t-elle martelé.
Alors que la défense a longuement dénoncé l’irrecevabilité des pièces jointes aux saisines des requérants, l’avocat d’André Mba Obame et de Bruno Ben Moubamba a notamment expliqué que «sur la question de la recevabilité,(…) la loi a bien voulu mentionner que seront produits au soutien de la requête les pièces annexées. (…) Ils prétendent que la Cour ne peut juger que sur des constatations qui auront été faites sur les procès verbaux issus des bureaux de vote. Mais ils savent très bien que la preuve est libre devant la Cour Constitutionnelle. Juger de l’utilité ou non à l’appui d’une requête est de la compétence de la Cour».
«Lorsque je suis requérant, je sais quelle est la pièce utile que je produis à l’appui de ma requête. Ce n’est pas la doctrine, ce n’est pas la jurisprudence qui vont définir quelles sont les pièces à produire aux débats. Lorsque nous produisons un ensemble de procès verbaux, d’auditions, ce sont des pièces, ce sont des pièces importantes, à moins de nous dire aujourd’hui que les huissiers de justice ne sont plus là pour authentifier, certifier et donner de la valeur juridique à des actes juridiques. La preuve c’est que la Cour Constitutionnelle elle même pour faire les opérations de recomptage, a fait appel aux huissiers», a-t-il ajouté.
«Lorsque nous produisons un procès verbal de l’audition du vice président de la CENAP représentant l’opposition parce qu’il n’a pas signé le procès verbal de centralisation des résultats, le même procès verbal de centralisation qui saisi la Cour pour pouvoir proclamer les résultats, nous pensons que cette pièce est déterminante, utile», a martelé l’avocat d’André Mba Obame, dont les arguments du dossier avaient été battus en brèche par les avocats d’Ali Bongo invoquant leur irrecevabilité.
Un argumentaire vertement rejeté par l’intervention de maître Arama pour la défense d’Ali Bongo, qui a commencé par rappelé qu’«au Gabon, plus de 2800 bureaux de vote, 7 pièces communiquées par André Mba Obame sur 2800 bureaux de vote. Que dit on à l’appui de ces 7 pièces ? Des théories générales sur la fraude ; le rappel des problèmes des listes d’émargement, et on cite quasiment exclusivement des listes d’émargement manquantes, notamment dans le Haut Ogooué, nous sommes allés à la CENAP et nous avons pu constater que ces listes d’émargement figurent bien dans les dossiers de la CENAP et nous en avons dressé la liste».
Il est ensuite revenu sur les «problèmes d’enveloppes accolés, c’est à dire nombre de bulletins dans l’urne supérieur à au nombre de votants, et là encore un choix très sournois de ce qui a été constaté par la CENAP. Et il existe plus dans ces bureaux de vote davantage d’erreurs que des irrégularités, et j’en veux pour preuve le bureau de vote de Lalara où monsieur Mba Obame a obtenu 100% des voix avec 0 enveloppes dans l’urne et pourtant 19 suffrages exprimés, ou encore à l’école publique du Transgabonais dans la commune d’Owendo, monsieur André Mba Obame élu avec 60 voix, et pourtant 187 enveloppes dans l’urne. Ou encore dans la ville d’Abang-Medouneu dans le Woleu où on a trouvé, fait extraordinaire, 550 enveloppes dans l’urne, pour 109 votants. (…) Ensuite on vient s’étonner et crier sur le fait que monsieur Ali Bongo Ondimba aurait obtenu 100% des voix dans le Haut Ogooué, mais le cas d’Ali Bongo Ondimba n’est pas un cas particulier. (…) Il y a eu un vote très particulier dans certaines provinces, c’est vrai dans le Sud pour monsieur Mamboundou, c’est vrai dans le Nord pour monsieur Mba Obame, et c’est également vrai pour monsieur Ali Bongo Ondimba dans le Haut-Ogooué».
Les intervenants, issus des rangs des requérants ou de ceux de la défense, disposaient alternativement chacun de 6 minutes de temps de parole. Un procédé qui a fonctionné pour les 4 premières requêtes, avant que les requérants décide de concentrer leurs temps de parole restant, bénéficiant ainsi d’une demi heure d’audience, et laissant une autre demi heure à la défense pour répliquer.
Après les interventions de Mauro Nguema et Victoire Lasséni Duboze, le tour est revenu à maître Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé de défendre sa requête, en rappelant notamment que «lorsque le ministre de l’Intérieur entre dans la salle pour annoncé les résultats, nous savons que l’assemblée plénière n’avait pas terminé son travail et que par conséquent le procès verbal qui devait servir de base à l’annonce des résultats par le ministre de l’Intérieur, n’était pas élaboré. Alors d’où vient le procès verbal de centralisation des résultats que le ministre de l’Intérieur a annoncé ? Il a été remis par qui et ces résultats là venaient d’où ? Au terme de la loi, le ministre annonce les résultats qui lui sont communiqués par le procès verbal de centralisation dûment signé par les membres de l’assemblée plénière et c’est ce procès verbal là qui lui sert de référence pour annoncer les résultats qui sont transmis ensuite à la Cour Constitutionnelle, ce qui n’a pas été le cas».
«Les procédures, au niveau même de la proclamation des résultats n’ont pas été conformes à la loi (…) et j’estime que les résultats annoncés par le ministre de l’Intérieur ne sont pas du tout les résultats de l’assemblée plénière de la CENAP qui du reste n’avait pas encore fini son travail», a-t-il conclu.
Puis c’est monsieur Bengone Nsi, l’un des premiers opposant du Gabon, a pris la parole en commençant par rappeler que «nous ne sommes pas ici à une compétition d’intelligence, qui dira le meilleur mot ? Qui sera plus habile que l’autre ? Il y a eu une élection présidentielle le 30 août et l’ensemble de la classe politique trouve que cette élection ne s’est pas déroulé dans de bonnes conditions. Le groupe de l’opposition avait saisi le Conseil d’Etat pour annuler ou reporter cette élection, le Conseil d’Etat n’a jamais répondu».
«Avant les élections on a trouvé un couple se disputer au Laico[Hotel Okoume Palace], et se couple disait que finalement Ali devra remporter l’élection à 41%. On peut citer les noms», a-t-il affirmé.
«Je voudrais dire devant le secrétaire général du PDG qui est là, que certains pédégistes disent dans les quartiers que pour eux, à une élection, ils peuvent bourrer les urnes, falsifier, l’essentiel est qu’il soit élu et il appartient à la partie adverse de démontrer le contraire. Et depuis que je viens ici, ce principe se vérifie, ils font ce qu’ils veulent et il nous appartient à nous, qui ne connaissons pas le droit, de démontrer le contraire. Et c’est très grave parce que c’est la démocratie qui est pillée. Avant que je ne vienne ici, j’ai cherché des avocats, certains m’ont dit : Vous n’avez qu’à vous défendre tout seul puisque tout est ficelé, vous ne changerez rien, Ali sera déclaré élu», a-t-il poursuivi.
«J’ai ici la lettre du continent du 8 [octobre], qui annonce en page 7 que ce soir, il est possible qu’on fasse d’Ali Bongo le grand maître des Lumières. Donc ce que nous sommes en train de faire est de l’artifice, les décisions sont prises ailleurs, mais nous nous battons toujours pour que le peuple gabonais puisse exercer sa souveraineté. En 1993, le président Bongo était élu avec 51,18% et à l’époque, le défunt Isaac Nguema, nous disais que deux semaines avant l’élection, un conseiller français lui disait à Addis Abeba que Bongo serait élu à 51,18% parce que c’est la décision qui a été prise au quai d’Orsay, et je me demande si les 41,73% qu’on attribue à Ali Bongo n’ont pas aussi été décidé au Quai d’Orsay. Et voilà pourquoi on ne prend pas le temps de confronter les procès verbaux, voilà pourquoi vous voulez faire vos opérations en interne», a-t-il conclu.
Pour la réplique, la défense a campé sur ses positions en continuant à clamer l’irrecevabilité des preuves avancées par les requérants. L’audience a été levée à 16H01 pour reprendre à 20H00. Tout porte à croire que le contentieux électoral sera vidé aujourd’hui, à l’issue de la délibération de la Cour ce soir.