En quarante-deux ans de présidence du Gabon, feu Omar Bongo était passé maître dans l’art d’acheter ses opposants et de les intégrer dans des gouvernements pléthoriques et inertes. Ce talent était même l’un des secrets de sa longévité. Son fils Ali, qui lui a officiellement succédé, vendredi 16 octobre, en promettant de « réussir la moralisation de la vie publique », s’annonce comme son digne héritier.
Parmi les nouveaux ministres du gouvernement « resserré » (29 membres contre 44 sous le dernier gouvernement de la présidence Bongo) qu’il a constitué, figure Jean Félix Mouloungui. Jusqu’à ce qu’il hérite du portefeuille des petites et moyennes entreprises, M. Mouloungui était l’une des figures les plus virulentes de l’Union du peuple gabonais (UPG), le principal parti de l’opposition.
Représentant à Paris de cette formation, il avait tenu une conférence de presse (visible sur Youtube) où il accusait Ali Bongo de « faire la guerre civile au Gabon » en bénéficiant de complicités françaises.
Jetant en pâture Matignon et l’Agence France-Presse, il accusait cette dernière d’avoir été soudoyée pour « inverser les résultats » de la présidentielle et donner Ali Bongo élu à la place de Pierre Mamboundou, le président de l’UPG, véritable vainqueur de l’élection, selon lui.
Soufflant sur les braises, il déclarait : « Nous allons assister à une grande boucherie car les Gabonais ne supportent pas qu’on leur ait volé leur victoire. » Alors que l’armée restait discrète à Libreville, M. Mouloungui décrivait « des tanks dans tous les quartiers » et dénonçait l’intervention de « mercenaires mobutistes », de « bandits angolais » et d' »instructeurs bosniaques et serbes » au service du candidat Ali Bongo. Interrogé dans l’émision « Revu et corrigé » sur France 5, il insistait : « Nous ne reconnaissons pas l’élection de M. Bongo. » Celui-la même qu’il sert aujourd’hui.
Jean-Félix Mouloungui aurait été radié, lundi, de l’UPG en raison de son « initiative privée d’homme libre », rapporte le quotidien gabonais L’Union du 20 octobre. Mais Pierre Mamboundou, président du parti et opposant historique au « système Bongo », se serait opposé à cette éviction. La rumeur gabonaise assure qu’il aurait lui aussi engagé des pourparlers avec le nouveau président.
Interrogé par Le Monde, Jean-Félix Mouloungui assure que son « seul tort est d’être en avance » et que, pour lui, « l’essentiel, c’est le Gabon et les Gabonais ». Se présentant comme « un juriste, patron d’un cabinet de conseil en communication et en stratégie politique » toujours installé à Paris, le nouveau ministre des PME se dit « homme d’entreprise » soucieux d’« apporter (s)on expertise » et non attiré par une carrière politique. « J’assume ma décision« , dit-il à propos de son « transfert ».
Omar Bongo lui-même ne répétait-il pas que « l’opposition n’est pas une chose permanente » ?