A la veille de l’ouverture de la quatrième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD IV), mercredi, à Yokohama, l’ambassadeur du Japon à Libreville, Motoi Kato, a accordé un entretien exclusif à GABONEWS, pour évoquer les enjeux et perspectives de cette importante échéance diplomatique pour l’Afrique en particulier, hissée selon lui au rang de « partenaire stratégique » par les autorités de Tokyo – avec lesquelles l’ultime réunion ministérielle préparatoire, marquée au mois de mars, dans la capitale gabonaise, par un double succès politique et diplomatique, a révélé un consensus sur la « Déclaration de Yokohama », de même que sur le « Programme d’actions » à venir et les « Mécanismes de suivi » attendus avec impatience – quand bien même les deux parties tardent à bâtir « une véritable relation stratégique » pour hâter la croissance économique du continent, réaliser les Objectifs du millénaire, consolider la paix à l’échelle africaine et résoudre, si possible, l’équation environnementale, du reste, à multiples inconnues.
GABONEWS – Excellence, comment se présente le Japon aujourd’hui, au plan politique, après la défaite historique aux sénatoriales, le 29 juillet 2007, du Parti libéral démocrate (PLD), longtemps unique dominateur de la scène japonaise depuis 1955, au moment d’accueillir la 4è Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique, prévu du 28 au 30 mai, à Yokohama?
– Ambassadeur du Japon au Gabon – Il est vrai qu’il y a des difficultés politiques notamment pour passer des lois aux deux institutions parlementaires japonaises, c’est-à-dire les chambres des représentants et des conseillers (Senat Japonais). Mais de toutes les façons, si le peuple japonais n’approuve pas la situation parlementaire actuelle, il votera différemment à la prochaine élection. C’est la démocratie parlementaire. Les institutions japonaises sont très solides, et le peuple japonais en est très conscient. Les japonais sont conscients aussi de l’importance de l’Afrique dans le monde entier. Dans ce contexte, je ne trouverais aucun problème pour l’organisation de la TICAD IV.
GABONEWS – Cette même question, nous voulons vous la poser en ce qui concerne l’économie du Japon marquée par un ralentissement. Les plus pessimistes redoutent une nouvelle récession avec une croissance qui risque d’atteindre 2,1%. Qu’en est-il, au fond’
– Si on me permet d’analyser la raison de ce qu’on appelle « une nouvelle récession », simplement parlant, on pourrait dire que ça s’est produit à cause de la mauvaise interprétation au nouveau système capitalistique du Monde, autrement dit la mondialisation. Cependant, après les difficultés économiques et sociales profondes des années 90, le Gouvernement du Japon a entrepris une vaste réforme dans le but de s’adapter à la mondialisation avec l’arrivée au pouvoir de Monsieur Koizumi, au début des années 2000. Le credo du gouvernement Koizumi était : privatisation, décentralisation, déréglementation. Dans le même temps, le secteur privé se restructurait à grande vitesse. Si vous le permettez, j’aimerais dire ici que le Gouvernement Fukuda, qui a succédé au Gouvernement Abe, doit relever l’important défi suivant: réduire le fossé qui s’est creusé, au cours de la réforme, entre les pauvres et les riches, entre les villes et les campagnes. Ceci tout en poursuivant les réformes que MM. Koizumi et Abe avaient entamées, en consolidant la croissance économique et en réduisant le déficit public qui a atteint un niveau extrêmement élevé.
GABONEWS – Pour la TICAD IV , co-organisée par le gouvernement de Tokyo, le PNUD, la Banque mondiale et la coalition globale pour l’Afrique, une quarantaine de chefs d’Etats et de gouvernement des 53 Etats africains formant un bloc de plus en plus uni au sein de la communauté internationale sont attendus dans votre pays. Votre gouvernement, vit-il cet événement comme un succès politique et diplomatique, ou simplement comme la continuité des précédents rendez-vous ?
– Je voudrais d’abord expliquer l’histoire de la TICAD. La TICAD commence en tant que «processus» lors de la période de marginalisation de l’Afrique, l’époque où se répandait l’afro – pessimisme. Le Japon et les Co-organisateurs sont parfaitement conscients des raisons qui ont poussé au lancement de la TlCAD dans le cadre d’une formule internationale, avec les institutions internationales. Autrement dit, comme je viens de le dire, la TICAD est un processus et je pense que ce sont les peuples africains qui pourraient juger si c’est un succès politique et diplomatique du Japon. Toutefois, j’aimerais bien insister sur notre volonté perpétuelle de contribuer au développement de l’Afrique.
GABONEWS – Le thème général de cette Conférence de Yokohama est «l’Afrique qui gagne : un continent d’opportunités ». Vu de Tokyo, justement, que gagne concrètement l’Afrique au profit de ses populations grâce au Japon, sachant que le processus de la TICAD a été à l’origine d’autres forums dédiés à l’Afrique et qui ont vu le jour en Asie (Chine, Inde, Corée du Sud …?
– Il est à souligner que l’Asie, à travers la Chine , la Corée , l’Inde… a commencé à organiser ce genre de conférence, en tenant compte des résultats concrets de la
TICAD. C’est le signe très fort du suivi de la philosophie de la TICAD. C’est -à-dire qu’on pourrait considérer que l’épanouissement des autres forums asiatiques dédiés à l’Afrique est déjà quelque chose que les pays d’Afrique ont gagné à partir de l’initiative du Japon. Très récemment, nous avons organisé le Conférence Ministérielle à Libreville, le 20 au 21 mars 2008. Trente (30) ministres africains et autres hauts représentants de plus de 65 pays y ont participé, y compris les représentants des organisations régionales africaines, des organisations internationales et les représentants de la société civile. C’est très significatif, car les participants ont montré un intérêt commun à discuter ensemble de l’avenir de l’Afrique. A cette Conférence, étaient présents les représentants des pays d’Asie comme la Chine , la Corée , la Thaïlande. Cela signifie beaucoup de choses pour la Communauté Internationale qui est solidaire de l’Afrique.
Et ainsi, nous avons préparé la Déclaration de Yokohama et le Programme d’Action, ainsi que les mécanismes de suivi. En tenant compte de ces résultats, nous organisons du 28 au 30 mai 2008 à Yokohama, la TICAD IV. Les sujets qui seront traités comprendront sans aucun doute la crise alimentaire.
Aussi, je tiens à insister sur le fait que l’esprit TICAD, c’est le respect des efforts que l’Afrique déploie elle-même et le partnership (la promotion de la coopération entre différents partenaires) dans un esprit Ownership qui est la notion forgée au cours de la TICAD IV et que le NEPAD a su parfaitement incarner.
GABONEWS – L’Afrique, c’est entre 10% et 15% des réserves mondiales de pétrole brut, 75% du colbat, 47% des diamants, 80% du platine, 40% du chrome, 38% de l’uranium, 32% de l’or, et 28% de manganèse. Le continent abrite la deuxième forêt du monde située au Gabon, ce qui lui fait jouer un rôle prééminent dans la protection de l’environnement à l’échelle de la planète. C’est également un vaste marché indiscutable pour les investissements étrangers. Pourquoi, est-ce que malgré ce fort potentiel, 15 ans après la naissance de la TICAD , l’Afrique tarde à être considérée comme un véritable partenaire stratégique?
– Je pense que l’Afrique est déjà considérée comme un véritable partenaire stratégique. Sinon, nous n’organiserions pas ensemble la TICAD. Par contre, c’est vrai qu’on dira que nous n’avons pas encore établi une véritable relation stratégique. On pourrait énumérer quelques raisons pour expliquer cette situation. Si on parle seulement du Japon, on pourrait dire que nous nous sommes un peu éloignés du point de vue historique et géographique. Le peuple japonais ne connaissait pas beaucoup l’Afrique.
En plus l’Afrique était un peu fragile en face des changements mondiaux. Je fais allusion à l’existence des guerres civiles et les problèmes de gestion socio-économique par exemple. Mais grâce aux efforts déployés par les Africains, au nombre desquels on peut notamment citer des multiples engagement du Président de la République gabonaise, Omar Bongo Ondimba, l’Afrique a regagné la stabilité et la paix, tout en veillant aux enjeux de la bonne gouvernance. C’est à dire que l’on est arrivé à un stade propice à l’établissement d’une véritable relation stratégique. Cependant, il est à souligner que pour bien maintenir cette relation que l’on envisage d’établir, nous devons créer des nouvelles notions pour le dialogue. Au lieu de forcer à son interlocuteur sa façon de penser, de se comporter ainsi que ses critères d’évaluation, nous devons inventer un nouveau style de dialogue politique. Et je crois à cet effet, que la TICAD IV est une occasion où l’on pourrait forger cette sorte de ce nouveau type d’échanges.
GABONEWS – La particularité de cette 4è Conférence de Tokyo sur le Développement de l’Afrique concerne le moment où celle-ci se tient, à savoir qu’elle précèdera de quelques semaines le Sommet du G8 de 2008 prévu, par coïncidence, dans l’archipel. Est-ce que, cela ne constitue pas une aubaine pour mettre, enfin, l’accent sur les priorités essentielles pour le développement de l’Afrique définies par l’UA à travers le NEPAD ?
– Oui, bien sûr. Notre pays organisera au mois de juillet au lac de Toya dans le département de Hokkaido au Japon, le Sommet des Chefs d’Etats du G8, juste après la tenue de la TICAD IV à Yokohama. Le Gouvernement japonais envisage à cette occasion de refléter les avis des pays africains et de les interpréter sur la scène internationale.
GABONEWS – Au plan bilatéral, pour terminer, la force de l’axe Libreville – Tokyo est enviable. Notamment au niveau politique. On sait, par exemple, que le soutien du Gabon aux candidatures japonaises à l’ONU, à l’UNESCO et au HCR n’a jamais manqué. On n’ignore pas non plus, au plan économique, le soutien que le Japon accorde financièrement au secteur de la Pêche , en particulier artisanal, dans notre pays. Dans quels autres secteurs, d’après vous, cette coopération active va-t-elle évoluer dans un horizon de quatre ans ?
– J’aimerais souligner la nécessité de donner un nouvel élan aux relations bilatérales. Malgré le développement des liens bilatéraux que nous avons pu observer durant les dernières décennies, le Gabon et le Japon ne sont pas encore à la hauteur des espérances réciproques, si l’on considère le poids économique et politique de ces deux nations sur la scène internationale.
Il y a bien des domaines potentiellement prometteurs que nous devons encourager si nous voulons établir un véritable partenariat entre nos deux pays. Je pense notamment aux échanges technologiques, aux échanges commerciaux et humains comme l’envoi de jeunes et seniors volontaires, d’experts et des stagiaires dans chacun de nos Etats. Dans le domaine de la coopération technique, la pêche est un exemple remarquable, surtout avec le fameux projet de collaboration pour la construction du Centre de pêche, bientôt suivi par une autre coopération gabono-japonaise qui sera au coeur du projet. Dans le domaine de la culture et des sports, les échanges du côté gabonais se sont également accrus. La culture pop-nippone est appréciée par les jeunes, ici. En plus, nous envisageons de contribuer, avec le Gabon, à relever le nouveau défi environnemental lancé à l’échelle planétaire. Au-delà des questions écologiques. C’est un souci majeur dans le monde entier.
Enfin , l’année 2008 marquera le 40è anniversaire des relations d’établissement d’ ambassade entre le Gabon et le Japon. Nous souhaitons que cette année soit non seulement une occasion de célébrer notre longue amitié par des manifestations de part et d’autre, mais que ce moment constitue aussi un nouveau point de départ pour un programme d’actions commun, sur le moyen et le long terme, afin de resserrer les liens qui existent entre nos deux pays. Je suis persuadé que le renforcement des relations gabono-japonaises donnera du poids à la présence de nos deux pays en Afrique et plus largement à leur action dans la communauté internationale. Ce renforcement servira aussi l’intérêt des valeurs communes, liées à la question de l’environnement et du changement climatique qui est un sujet important figurant au menu de la TICAD IV.
(Par J-C. KOMBILA)