C’est fini. Elle ne sera pas la candidate du Parti démocrate à l’élection présidentielle américaine du 4 novembre. Elle ne l’a pas encore explicitement admis, mais elle le sait, et ses partisans le savent aussi. Qui l’eut cru, à l’automne 2007 ?
De tous les démocrates, elle avait été la première à se porter candidate. Elle savait la partie loin d’être gagnée. Une femme ? Une Clinton, en plus ? Personne n’avait été aussi méchamment attaqué qu’elle dans l’histoire récente américaine. Pas sur ses mœurs, comme son ex-président de mari, mais sur sa personne : sa rigidité, sa manie du secret, sa supposée « duplicité ».
Hillary, disait-on alors, avait deux atouts formidables : elle-même et son époux – la capacité de conviction de Bill, son flair, leur connaissance commune des entrelacs de la politique washingtonienne. Et elle avait deux gros handicaps : elle-même et son époux… Hillary élue, serait-ce le retour de Bill ? « Beaucoup de gens, expliquait Carl Bernstein, son dernier biographe, se demandent s’ils ont envie d’un nouveau psychodrame au sommet de l’Etat. »
Pourtant, sa candidature est vite apparue « évidente ». Rien ne semblait l’ébranler. Exemple : le magazine dominical du New York Times sortait une enquête terrible, en juin 2007, intitulée « Les guerres d’Hillary ». Pour résumer : elle a voté par conviction la guerre en Irak et, depuis que celle-ci est devenue impopulaire, elle brouille les pistes. Les auteurs listaient ses explications peu probantes, ses manœuvres visant à masquer cette réalité. Ces attaques semblaient glisser sur elle; parce que, notaient ses partisans, la plupart des démocrates se reconnaissaient en elle. N’avaient-ils pas, eux aussi, soutenu l’invasion de l’Irak avant que leurs yeux se dessillent ?
En août 2007, elle menait la course avec 51% des intentions de vote. Ses concurrents ? Des nains : Barack Obama était à 21 %, John Edwards à 15 %, les autres n’existaient déjà plus. En novembre, à deux mois du début des primaires, elle devançait encore le jeune sénateur de l’Illinois de 21points. Elle avait réponse à tout : son programme était de loin le plus élaboré. Que s’est-il passé? Dans un premier temps, elle n’a pas perçu la « menace Obama ». Malgré ses équipes de sondeurs aguerris, estime Dante Scala, professeur de sciences politiques à l’université du New Hampshire, elle n’a « pas vu l’aspiration au changement ni l’exaspération de la base démocrate et le désabusement de l’opinion vis-à-vis de l’administration Bush ». « Changement », « espoir » étaient les mots d’ordre de son adversaire.
Ensuite, pour beaucoup d’analystes, l’entrée des Etats-Unis en récession ne lui a pas été favorable. A l’hiver, la crise économique s’est ajoutée à l’Irak. Si Mme Clinton a su s’attirer les faveurs des « cols bleus », beaucoup d’autres démocrates ont été plus encore convaincus que, décidément, il fallait vraiment tout changer. Or Hillary Clinton apparaissait plus liée au « système » et aux milieux financiers que son adversaire. Lorsque, au début des primaires, se sont tenus, le 3 janvier, les caucus de l’Iowa, ce fut un coup de tonnerre : arrivée troisième, elle était battue avec 9 points d’écart.
Très vite, elle a recadré son discours. Moins programmatique, plus centré sur une idée-force : dans un monde menaçant, l’Amérique a besoin de quelqu’un « prêt à gouverner dès le premier jour ». L' »expérience », c’était elle. Donc, Barack Obama, l’aventure. Résultat concret : un succès, surtout parmi les salariés âgés, qui n’allait plus se démentir. Et une victoire à l’élection suivante, la primaire du New Hampshire. Mais, ce faisant, elle menait une autre campagne : encore plus conventionnelle; plus « droitière », aussi. Le marketing prenait le pas sur les convictions. Sondage après sondage, Mme Clinton est apparue comme la moins « sincère » des candidats, la plus encline à dire à chacun ce qu’il souhaite entendre.
Au départ, elle se situait plus à gauche que M. Obama, qui prônait l' »union », ratissant au centre. En cherchant à le pousser dans l’angle du candidat des progressistes et des Noirs, elle-même s’attirait les faveurs des victimes de la désindustrialisation et des « rednecks » (Blancs un peu rustres). Elle a bu une bière au whisky dans un bar, tiré au fusil, été à la rencontre des passionnés de course automobile… Début mai, le gouverneur de Caroline du Nord, Michael Easley, vantait sa « force d’âme testiculaire ». Ce faisant, son image passéiste s’ossifiait. Et, malgré son programme, la frontière avec le républicain John McCain devenait plus floue. Plusieurs fois, M. Obama en a habilement joué.
Beaucoup de femmes lui maintenaient leur confiance, mais son adversaire, lui, montrait du souffle. Bientôt, Mme Clinton est aussi apparue « prête à user des moyens les plus laids pour flatter un certain électorat », selon Jane Kramer, célèbre journaliste du New Yorker. Ses attaques contre son adversaire – en particulier, sa relation avec le pasteur noir Jeremiah Wright – ont suscité autant de rejet que d’adhésion. Et plus son retard se confirmait, plus elle devenait procédurière. « Combattante », indubitablement, mais c’est elle aussi qui divisait le parti.
Plus la fracture s’élargissait au sein du camp démocrate, plus Mme Clinton était identifiée à sa propre base : blanche, pas métissée; style « vieille économie ». Pas quelqu’un de tourné vers l’avenir. Elle écrasait M. Obama dans les Etats de la vieille industrie lourde et minière en déréliction. Il l’emportait largement dans l’Oregon, un Etat pas moins blanc, mais à l’économie « high tech ». « Elle n’a pas compris que, sociologiquement, les démocrates avaient changé », juge M. Scala.
Peu à peu, ses thèmes de campagne ont commencé à être battus en brèche. Elle fustigeait l' »inexpérience » de M. Obama. Quatre ans au Sénat : insuffisant, clamait-elle. Elle y a passé huit ans, plus huit à la Maison Blanche. En mars, Time publiait une enquête : « L’expérience compte-t-elle ? » Comme souvent, les lecteurs regardaient d’abord l’infographie. On y apprenait qu’Abraham Lincoln avait été élu président après deux ans seulement au Sénat. Beaucoup n’avaient pas eu auparavant une longue carrière de représentant, de sénateur ou de gouverneur : Woodrow Wilson : deux ans; Franklin Roosevelt : quatre…
A la veille de l’élection du 1er juin à Porto Rico, en « une », le Wall Street Journal publiait une photo cruelle : Mme Clinton en campagne dans le Dakota du Sud. Derrière elle, sur l’estrade, un groupe d’hommes en rang d’oignons, tous blancs, visages fermés, lunettes et calvitie. Moyenne d’âge : 55-60 ans. La caricature de son électorat. Une caricature injuste, au vu de sa carrière, de ses combats passés. Injuste car des jeunes se sont aussi mobilisés pour Hillary Clinton. Mais un cliché au fond peu surprenant, au vu de l’évolution de sa campagne.