Alors que vient de se tenir le 25e sommet Afrique-France à Nice, « Jeune Afrique » a enquêté sur les nouveaux visages d’une réalité souvent fantasmée : la Françafrique. Petit guide pratique pour ceux qui veulent s’aventurer dans ses maquis.
Alors que le 25e sommet Afrique-France, qui est aussi celui du cinquantenaire des indépendances, s’est tenu à Nice les 31 mai et 1er juin, l’affaire est assez emblématique des mutations de cet étrange serpent de mer qu’est la Françafrique. Chacun sait, depuis le 15 mai, que la libération de l’universitaire Clotilde Reiss est en partie due à une médiation sénégalaise, au sein de laquelle l’avocat Robert Bourgi, aussi talentueux que multicarte et seul héritier du savoir-faire foccartien, a joué un rôle déterminant.
Seuls trois hommes étaient au courant du voyage secret en Iran de Me Bourgi et de Karim Wade, à la fin du mois de mars : le père de ce dernier, Abdoulaye Wade et, à Paris, Nicolas Sarkozy et son secrétaire général, Claude Guéant, à qui les deux émissaires ont régulièrement rendu compte au téléphone, depuis Téhéran, des progrès de leur mission. Ni Bernard Kouchner, ni Jean-David Levitte, ni même le patron de la DGSE, Erard Corbin de Mangoux, ne savaient quoi que ce soit de ce déplacement feutré. Culte du secret, court-circuitage des filières institutionnelles, casquettes africaines et contacts parallèles activés par un personnage à la réputation (forcément) sulfureuse et qui en joue avec habileté : la méthode Foccart transposée dans l’Orient compliqué a donc, si l’on peut dire, porté ses fruits.
Foccart, le grand marionnettiste
Si la Françafrique incestueuse et patrimoniale est morte, celle des réseaux est, elle, toujours bien vivante. À une différence – de taille – près : elle est acéphale. Là où Jacques Foccart, qui consacrait l’essentiel de son temps aux affaires du « pré carré », tirait tous les fils à la manière d’un grand marionnettiste, Claude Guéant, pour qui l’Afrique n’est qu’une préoccupation parmi d’autres, n’intervient directement ou par intermédiaire interposé que sur certains dossiers sensibles. D’où l’éclatement et la multiplication de réseaux souvent complémentaires (Élysée-business par exemple), reliés entre eux par des passerelles (avocats, juges, médecins), ouvertement rivaux (ONG), transcourants (francs-maçons), etc., mais qui tous fonctionnent en interne avec de vraies solidarités corporatistes et une opacité commune.
Autre évolution : les réseaux sont désormais autant afro-français que franco-africains et leur interpénétration réciproque est fréquente. Un Laurent Gbagbo, un Paul Biya, un Denis Sassou Nguesso, un Ali Bongo Ondimba, pour ne citer qu’eux, ont tous leur réseau d’influence qui emprunte à chacun (ou presque) des réseaux français. Conséquence de cette alchimie complexe, qui tient parfois de la raffinerie : l’apparition de missi dominici dont on distingue mal a priori l’allégeance principale. Il faut ainsi de bons yeux pour hiérarchiser les fidélités dont se réclame aujourd’hui l’incontournable Robert Bourgi : Sarkozy et Guéant en premier lieu, puis Wade, Ali Bongo Ondimba, Ould Abdelaziz, Gbagbo et quelques autres. Il est vrai que, en ce domaine, chacun avance masqué.
Le petit « Who’s Who » que nous publions (voir ci-dessous) – et d’où sont exclus les ministres pour qui l’Afrique fait en quelque sorte partie du job, tels Bernard Kouchner et Alain Joyandet – a pour ambition de guider les pas du profane dans le maquis de la néo-Françafrique. Nous avons volontairement omis dans ce vade-mecum les pays du Maghreb, qui relèvent, eux, de réseaux bilatéraux à la fois différents et étanches, sur lesquels nous reviendrons prochainement.