Me Ruphin Nkoulou-Ondo a été l’un des avocats du général Ntumpa Lebani au cours du procès qui a débouché sur la condamnation de celui-ci, le 11 mars dernier. La note de plaidoirie de l’avocat, parvenue à la rédaction de Gaboneco, est un résumé final de cette affaire : Rappel et qualification des faits, irrégularité de la procédure, rétraction des témoins, absence de preuves et appel émouvant à la reconnaissance de la vérité. Synthèse et larges extraits de cette plaidoirie pour un procès dont l’issue a presque interloqué tout le monde.
La plaidoirie de Maître Nkoulou-Ondo commence par un rappel des grands procès politiques ou militaires enregistrés à la Cour de sûreté de l’Etat gabonais durant les 50 dernières années : Celui de 1964 avec Jean-Hilaire Aubame, Paul Gondjout, Jean-Marc Ekoh, Eloi Chambrier, Paul Okumba Lendoye d’Okwatségué, Philippe Maury, etc. Puis le procès de 1982 mettant en accusation Simon Oyno Aba’a, Jean-Baptiste Obiang Ethoughé, Luc Bengone Nsi, Jean-Pierre Nzoghé Nguéma, Jean-Marc Ekoh, Samuel Mba Nguéma, Vincent Nguimbi Manguala, Paulin Boutamba Mouloungui et autres. Enfin, le procès de 1990 ayant jugé Georges Moubandjo-Mia-Myntockot et autres. «Et maintenant comparait devant vous, le général de Brigade Jean Philippe Ntumpa Lebani de la Garde Républicaine et ancien Secrétaire général du Conseil national de sécurité», a introduit l’avocat.
Qualifiant les fait, il rappelé qu’il était reproché à son client d’avoir prétendument, à Libreville courant septembre 2009, «formé un complot en vue de détruire ou de changer le régime constitutionnel ou le gouvernement.» Une infraction sanctionnée par «les dispositions des articles 68 et 70 du Code pénal et punie de la réclusion perpétuelle : une mort lente douloureuse dans un établissement pénitentiaire.»
Pour Me Nkoulou-Ondo «Cette accusation est (…) rocambolesque, je veux dire les faits qui lui sont reprochés relèvent d’un mythe, d’une chimère, crées et orchestrés par ses frères d’armes, dont certains ont savamment manipulé les pseudos informations sur les activités professionnelles qui étaient les siennes…» et d’ajouter plus loin : «Il s’agit donc du procès de l’information au sein des services de renseignement généraux.»
Me Nkoulou-Ondo a ensuite entrepris une reconstitution des faits dans le contexte de la transition politique ayant suivi le décès du président Omar Bongo, le 8 juin 2009 à Barcelone. L’avocat brosse à cet effet une fresque des différentes tendances sociopolitiques de cette période bouleversée. Aussi bien au sein des différentes formations politiques, que de la société civile, de la mosaïque ethnique du Gabon et de l’armée : «le repli identitaire construisait son lit», assure Me Nkoulou-Ondo, et chacun croit ou espère que son tour est arrivé d’accéder au pouvoir. Durant cette parenthèse historique de tous les possibles, Ntumpa Lebani doit «recueillir et traiter avec parcimonie toutes le informations qui lui parvenaient sur la situation réelle du pays.» Il rencontre des hommes politiques, des militaires et divers indics. Il doit également gérer la cohésion des troupes au sein des forces armées. Il ne se doute pas que ses entretiens, notamment avec Hervé Ndong Nguéma, Pacôme Bongo Ondimba, Jean Clément Bouya, allaient être travestis auprès du général Grégoire Kouna et «ensuite au président de la République et [faire] l’objet d’une mauvaise interprétation malicieuse à l’effet de ternir son image auprès du président de la République et de le faire tomber en disgrâce.»
Irrégularité de la procédure, non constitution de l’infraction et réfraction des témoins
Dans sa plaidoirie, Me Nkoulou-Ondo démontre l’irrégularité de la procédure, caractérisée notamment par «la violation de la compétence exclusive du président de la République pour déclencher les poursuites à l’encontre du général Ntumpa Lebani.» A force d’exemples et de textes de loi cités, l’avocat de la défense établi que «la procédure engagée est entachée d’irrégularités (qui) s’explique certainement par la précipitation avec laquelle les enquêtes ont été bouclées pour asseoir la conviction d’un complot coordonné par le général Ntumpa Lebani.»
De même, l’avocat est revenu sur la définition usuelle et juridique de la notion de complot. Si Ntumpa Lebani, avait eu l’idée d’un «coup d’Etat à la Togolaise» au profit d’Ali Bongo, cette idée n’a jamais été partagée, l’unique bénéficiaire n’ayant jamais pu être rencontré. On ne saurait donc juger une idée qui «n’a jamais fait son chemin dans la réalité.» D’ailleurs, pour ce qui est du «coup d’Etat à la Togolaise», l’avocat n’a pas manqué de rappeler que Faure Gnassingbé Eyadema n’a pas accédé au pouvoir par un coup d’Etat mais selon les dispositions constitutionnelles de son pays.
Et Me Nkoulou-Ondo de s’interroger : « Comment peut-on prétendre un complot contre la sûreté de l’Etat, si l’on n’a pas de forts moyens financiers, si l’on ne dispose pas de troupes, si l’on n’a pas d’armes, aucun plan d’exécution, aucune composition de gouvernement à mettre en place et même, dans une certaine mesure, aucun soutien d’un pays frontalier ?» L’avocat a également rappelé que les «principaux pourfendeurs du général Jean Philippe Ntumpa Lebani tels que le colonel Thomas Andimi Oprah, le commandant Paul Mvou Paul, le commandant Brice Oligui Nguéma ont tous déclaré successivement à la barre qu’ils n’ont jamais entendu parler de complot. Mieux, le capitaine Pacôme Bongo Ondimba, lors de son audition à la barre, s’est même rétracté sur les déclarations antérieurement faites devant le juge instructeur.»
Après avoir rappelé les tâches professionnelles de Ntumpa Lebani telles que définies par le décret n°407/PR du 7 avril 1999 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil national de sécurité, Me Nkoulou-Ondo a déduit : «Du fait d’une interprétation fallacieuse de rapports tronqués, un homme a été humilié, traîné dans la boue la plus crasseuse pour une accusation chancelante, pour une accusation que le Ministère Public n’arrive pas, preuves à l’appui, à soutenir, pour une accusation pour laquelle la plupart des témoins à charge se sont débinés, certains témoins clefs en rétractant leur déclaration. Non, il n’y a jamais eu de complot contre la sûreté de l’Etat ourdi par l’accusé! Mais le seul complot, l’unique complot qui doit être retenu par la Cour dans cette affaire, je vous le dis en vérité, était indubitablement dirigé contre le Général Jean Philippe Ntumpa Lebani»
L’épilogue philosophique de Me Nkoulou-Ondo
Emouvant, Me Ruphin Nkoulou-Ondo a terminé son plaidoyer en ces termes :
«Madame le Président, Mesdames, Messieurs les Juges,
J’arrive au crépuscule de ma plaidoirie et je voudrais encore vous faire observer, et vous conviendrez avec moi, que ce procès est émaillé de fausses certitudes, des certitudes de circonstances, de commodités familiales et de complaisances procédurales. Il n’y a en toute évidence et en toute légalité rien qui puisse confondre le Général Jean Philippe Ntumpa Lebani, mais par une alchimie éhontée, l’opinion d’un seul homme, c’est-à-dire le Général Grégoire Kouna, a voulu être transformée en preuve. C’est insuffisant, sinon dérisoire, pour condamner le Général Jean Philippe
Ntumpa Lebani.
De votre conscience doit se dégager la reconnaissance de la vérité quand elle reluit de toute sa splendeur et quand elle transparaît sous vos yeux. Car elle est là la vérité, devant vous, elle resplendit dans les propos de l’accusé tenus tout au long de la procédure; elle éclot comme des pétales de roses au lever du jour dans les déclarations des co-accusés et même des témoins.
Les 550 nuits que le Général Jean Philippe Ntumpa Lebani et les co-accusés ont passées à l’ombre de la déchéance, dans la privation de leur liberté, pour des faits matériellement et intentionnellement non constitués, vont être transpercées par la lueur, la splendeur du jour qui se lève et qui est celui de l’acquittement. Car quelque soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever.
Madame le Président, Mesdames, Messieurs les Juges,
L’entame de ma plaidoirie, j’ai fait référence à trois grands arrêts rendus par cette auguste Cour dans lesquels les principaux accusés n’avaient guère bénéficié d’un acquittement, sans doute parce que les faits étaient constitués.
Aujourd’hui, en cette date du 10 mars 2011, vous avez l’opportunité de rendre le plus grand arrêt de cette Cour en acquittant le Général Jean Philippe Ntumpa Lebani et ses co-accusés, car votre décision doit se fonder non seulement sur le droit mais aussi à une trilogie passionnelle, car écrivait le philosophe Hegel «rien dans le monde ne s’est fait sans passion».
Cette trilogie est:
-La passion de la vérité, la vérité ici, je le répète, c’est qu1il n’y a jamais eu de complot contre la sûreté de l’Etat;
-La passion de la justice, car justice doit être rendue au Général Jean Philippe Ntumpa Lebani et ses co-accusés;
-La passion du Gabon, car l’acquittement du Général Jean Philippe Ntumpa Lebani et de es co-accusés renforcera davantage la concorde et la fraternité de ses concitoyens et élèvera le Gabon au pinacle, au rang des grandes nations de droit. »
Publié le 19-03-2011 Source : Gaboneco Auteur : Gaboneco