Le ministère gabonais de la Santé a placé sous scellés, la semaine dernière, la pharmacie de « La Peyrie » à Libreville, point de ventre unique, sous préparation magistrale, de l’IM28, médicament controversé du Pr Donatien Mavoungou qui aiderait à lutter contre le Sida. Idem pour le Centre de recherche sur les pathologies hormonales (CRPH) où ce chercheur effectue ses travaux. Le Pr Mavoungou qui affirme que le CRPH ne dépend pas du ministère de la santé mais plutôt de celui de l’Enseignement supérieur, s’étonne de cet acharnement tandis qu’un groupe de chercheurs gabonais, installés au Canada et en Allemagne, a tenu à réagir par rapport aux raisons avancées par le Pr Franck Daniel Idiata et le Dr Stéphane Iloko pour la fermeture du CRPH et l’interdiction de l’IM28. Ci-après, la réaction de ces chercheurs.
«Le point commun entre le Droit et la Science est la recherche de la vérité. De fait, lorsque des règles claires sont édictées par des autorités compétentes, leur application ne peut souffrir d’aucune contestation. Mais lorsque les incohérences et une certaine tendance à l’amalgame deviennent des règles de fonctionnement, on est en droit de s’interroger sur les objectifs réels recherchés.
Dernièrement, nous dénoncions la légèreté avec laquelle certaines autorités de santé de notre pays avaient jugé de l’efficacité d’IM28, le médicament découvert par le Pr Mavoungou (1). Le message est apparemment passé, puisque l’efficacité de ce médicament semble ne plus être la pomme de discorde.
En revanche, son autorisation de mise sur le marché (AMM) vient de lui être retirée par le comité national d’éthique du ministère de la santé pour des raisons «…purement scientifiques…», comme l’a stipulé le Pr Franck Daniel Idiata, Linguiste, Directeur scientifique du CENAREST (Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique), dans sa dernière intervention télévisée. Malheureusement, le Pr Idiata n’a pas décliné lesdites «raisons purement scientifiques», en dehors d’insister sur «le problème de santé publique que poserait la vente libre de ce médicament». Dans le même registre, le Dr Iloko, Médecin généraliste, Inspecteur général de la santé et Président du comité national d’éthique a quant à lui affirmé que «…le Pr Mavoungou avait reçu une AMM temporaire pour faire de la recherche…» et que celui-ci «…se livrait à la vente commerciale d’IM28…», ce qui, selon lui était illégal puisque «…IM28 n’avait pas encore fait l’objet d’étude de pharmacovigilance et qu’on ne savait pas si ce produit avait des effets secondaires…».
Ces affirmations méritent qu’on s’y attarde pour permettre à tout le monde de comprendre les étapes de recherche qui régissent le volet clinique dans le processus du développement d’un médicament. Chacun pourra ainsi apprécier l’absurdité de la situation.
En effet, selon le code de développement d’un médicament édicté par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les essais cliniques d’un médicament se déroulent en quatre phases. Les phases I et II qui permettent d’évaluer la tolérance et l’efficacité du médicament sur des volontaires malades ou sains. La phase III permet de vérifier le rapport efficacité/tolérance sur de grandes cohortes. Puis, une fois que ce rapport est favorable, une AMM est délivrée pour passer en phase IV, la phase de pharmacovigilance. Cette dernière sert à constituer une base de données pour enregistrer et évaluer les effets secondaires (en particulier les effets indésirables). Sur le plan pratique, en phase IV, l’étude du médicament ne se fait plus en laboratoire, mais par des médecins prescripteurs qui, en suivant l’évolution de l’état de santé de leurs patients, vont noter tous les apports positifs mais aussi les effets négatifs. Des études statistiques permettront par la suite aux autorités compétentes de recommander ou de motiver un éventuel retrait.
Ainsi, le développement d’IM28 se trouvant en phase IV, le médicament n’est plus ni fabriqué, ni vendu par le Pr Mavoungou qui, suivant un protocole de confidentialité, a cédé la formulation de son invention à une société industrielle. Il s’agit d’une procédure légale et connue pour plusieurs médicaments au même stade de développement autour du globe.
Il y a donc de toutes évidences, incohérence dans les propos du Dr Iloko lorsqu’il affirme qu’une «AMM temporaire était délivrée au Pr Mavoungou pour faire uniquement de la recherche» puisque les AMM ne servent pas à faire de la recherche en laboratoire.
Tout comme il est aberrant d’utiliser comme prétexte le fait qu’IM28 soit disponible en pharmacie pour accuser le Pr Mavoungou d’être un vendeur de médicament qui se serait livré à «un commerce d’IM28», même si on sait que l’AMM autorise la commercialisation. Il est plus que regrettable que tout cela ait servi à justifier la fermeture de la pharmacie où IM28 était commercialisé ainsi que le laboratoire du Pr Mavoungou. Faut-il comprendre que Dr Iloko aurait procédé à la fermeture de toutes les pharmacies du pays dans le cas ou elles auraient également commercialisé IM28?
La troisième incohérence réside dans le procès en illégalité attenté au Pr Mavoungou, du fait que l’AMM provisoire d’IM28 (une AMM vieille de 10 ans) n’aurait pas encore permis d’effectuer une étude de pharmacovigilance, et que les effets secondaires de ce médicament ne seraient pas connus.
Pourtant, les médecins qui ont prescrit IM28 ainsi que les patients (soit plus de 2000 individus) qui ont consommé ce médicament seraient unanimes (à 85%) sur son efficacité.
Ces conclusions ne sont-elles pas parvenues aux oreilles des illustres membres du comité national d’éthique? Pourquoi alors retirer l’AMM d’un médicament dont-on ne connaîtrait justement pas encore les effets secondaires et dont la dangerosité sur la santé humaine n’aurait pas été rapportée?
Dans les pays disposant d’un système de santé efficace, la pharmacovigilance est un processus continu qui se poursuit aussi longtemps qu’un médicament est consommé. C’est ainsi que certains médicaments ont pu révéler des vertus insoupçonnées (cas du Viagra) ou être retirés du marché après une longue présence dans les pharmacies (cas du Médiator en France).
Le médicament retiré de la vente doit cependant être consigné dans un registre national mentionnant les raisons du retrait (par exemple : médicament causant des crises cardiaques ou entrainant des troubles épileptiques etc.). Dans le cas où un tel registre existerait au Gabon, quels seraient les motifs scientifiques adjoints au retrait de l’AMM d’IM28?
Loin de vouloir contester le choix des autorités gabonaises dans la sélection des membres du comité national d’éthique, ni la façon dont ces spécialistes décident de travailler, nous pensons humblement que le lynchage médiatique, les intimidations et le harcèlement gratuit exercé contre IM28 et son inventeur sont des comportements d’un autre âge qui déshonorent la science, le Gabon et qui ne cadrent pas avec la vision prônée par les autorités publiques qui veulent faire du Gabon un pays émergent.
Le médicament et la maladie n’ont pas de frontières. Le SIDA est une maladie grave et c’est un honneur qu’un gabonais soit à l’origine de cette découverte.
Peu importe nos obédiences politiques ou religieuses, il est primordial de soutenir toutes les initiatives qui vont dans le sens de la promotion scientifique de notre pays. C’est pourquoi il faut laisser ceux qui travaillent avancer.»
Dr Marie Yvonne Akoume Ndong, PhD Pharmacologie
Chercheure associée, Centre de recherche de l’Hôpital ste Justine,
Université de Montréal, Canada
Marie.yvonne.akoume.ndong@umontreal.ca
Dr Franck Anicet Ditengou, PhD Microbiologie
Professeur Assistant, Université de Fribourg, Allemagne
franck.ditengou@biologie.uni-freiburg.de
Dr Hugues Nziengui, PhD Génétique et Biotechnologies
Chercheur, Université de Fribourg, Allemagne
Hugues.nziengui@biologie.uni-freiburg.de
Dr Brice Ongali, PhD Neurosciences
Directeur Scientifique, DMB Medic
Chercheure associé, Institut neurologique de Montréal
McGill University Canada
Brice.ongali@mcgill.ca
Publié le 26-04-2011 Source : CRPH Gabon Auteur : Dr Marie Yvonne Akoume Ndong, Dr Franck Anicet Ditengou, Dr Hugues Nziengui et Dr Brice Ongali