Guéant et Sarkozy veulent « réduire » l’immigration légale notamment de travail. Sauf que, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ministre puis chef de l’Etat, plusieurs accords bilatéraux ont été signés facilitant la venue de travailleurs immigrés.
Un retournement. En affirmant vouloir « réduire » l’immigration légale même professionnelle, Claude Guéant a remis en cause toute une doctrine sarkoziste sur les migrations. En effet, celui qui fut ministre de l’Intérieur puis chef de l’Etat, avec Guéant à ses côtés, comme directeur de cabinet, secrétaire général de l’Elysée et enfin ministre de l’Intérieur a toujours prôné « l’immigration choisie ». Une logique qui préfère une immigration de travail à une immigration familiale, qui privilégie les accords bilatéraux avec certains pays, bref, une immigration sélectionnée plutôt que réduite. Pour Sarkozy, c’était une façon de concilier ses partisans conservateurs refusant cette fameuse « immigration subie » et ses partisans libéraux (et le Medef) soucieux d’avoir une main d’œuvre disponible (et peu chère accessoirement).
Pour faciliter cette immigration de travail, Nicolas Sarkozy a lancé plusieurs mesures. Notamment la fameuse liste des « métiers en tension ». Une mesure qui risque clairement de mettre à mal son nouvel idéal d’« immigration réduite ». Cette liste fixée par un arrêté de 2008 établit 30 métiers librement accessibles aux primo-arrivants, afin de sélectionner une immigration de travail. A l’époque, la mise en place d’une telle liste visait à passer outre les freins à l’immigration de travail et à tenter de rediriger les migrants vers des métiers bien précis.
En effet, un migrant venant en France pour des motifs professionnels ne peut pas prendre n’importe quel emploi. Théoriquement, son employeur doit d’abord chercher dans la main d’œuvre locale. Et si l’administration française considère qu’il y a de la ressource sur place, elle refusera de faire venir le migrant. A l’inverse, s’il y a une pénurie de candidats, l’intéressé sera le bienvenu en France. Mais si le migrant postule pour un métier compris dans la fameuse liste, on ne peut pas lui opposer la situation de l’emploi pour bloquer sa venue. Un principe qui ne s’applique pas aux immigrés venant pour des motifs familiaux qui peuvent occuper n’importe quel métier sans autorisation et sans être limités à une liste particulière.
Guéant veut faire venir plus de Tunisiens
Pour diminuer l’immigration de travail, la réduction de cette liste et donc des métiers accessibles sans entraves pour les immigrés est un des leviers choisis par Xavier Bertrand, ministre du Travail. Chose qui pourra se faire après consultations des partenaires sociaux. Cela semble assez simple. Enfin presque.
En effet, ces dernières années, plusieurs accords bilatéraux ont été signés avec des pays d’immigration afin de faciliter la venue des migrants notamment pour des motifs professionnels. Ces accords fixent d’une part des quotas d’immigrés à respecter, d’autre part, d’autres listes de métiers accessibles sans restriction aux immigrés du pays concerné. Toujours dans le but de choisir l’immigration en France.
En tout, neuf accords de ce type ont été signés et ratifiés par la France. Notamment avec la Tunisie. Cet accord a été signé en 2008 et dit que « les deux parties s’engagent à conjuguer leurs efforts afin de faciliter » la délivrance de 3 500 titres de séjour pour salariés et 2 500 pour saisonniers par an aux Tunisiens. En tout, l’accord prévoit la venue de 9 000 Tunisiens par an dans le cadre de l’immigration professionnelle. Une liste de 77 métiers librement accessible a également été annexée à cet accord (serveur, maçon, couvreur, cuisinier…).
D’ailleurs, Claude Guéant était récemment en Tunisie afin de s’assurer que cet accord serait respecté. Car, en 2010, seuls 2 700 Tunisiens sont venus en France. Bref, si à Paris, Guéant veut moins d’immigrés, passé la frontière, il promet qu’il en fera venir plus. Interrogé il y a quelques jours à ce sujet par Marianne2, le ministère de l’Intérieur affirmait que l’objectif de réduction de l’immigration légale « n’est pas incompatible avec les engagements particuliers avec certains pays ».
1000 travailleurs sénégalais par an
Le Sénégal a aussi son accord signé en 2006 avec un avenant de 2008. Et ses objectifs sont tout aussi ambitieux. Il prévoit que la France et le Sénégal s’engagent également « à conjuguer leurs efforts afin de faciliter » l’octroi de titres de séjour pour salarié ou travailleur temporaire « à au moins 1000 ressortissants sénégalais par an » et fixe aussi une liste de 108 métiers librement accessibles (serveur, cuisinier, maçon, soudeur, laveur de vitres…). Un comité de suivi de cet accord doit se dérouler en juin à Paris.
En tout, les accords négociés par la France prévoient l’arrivée de 10 000 immigrés par an voire plus au titre de la seule immigration professionnelle. En 2010, l’OFII estime que 31 532 personnes ont immigré en France pour des motifs économiques. En clair, les accords voulus par Sarkozy avec la Tunisie et le Sénégal engagent un tiers de l’immigration économique. Bref, réviser la liste des 30 métiers ne suffira pas pour limiter l’arrivée de travailleurs immigrés. Il faudra en plus ouvrir de dures négociations avec les pays d’émigration signataires d’accords bilatéraux.
Par chance, les autres accords sont moins gourmands que ceux cités plus haut. Mais ils fixent toujours une liste de métiers libres d’accès. Par exemple, pour le Burkina Faso, l’accord de 2009 établit une liste 64 métiers ouverts (ouvrier du béton, serveur, cuisinier, jardinier…). Toutefois, des limites maximales sont fixées avec 500 titres de séjour pour salariés et 150 cartes « compétences et talents » (sachant que 525 ont été délivrées en tout par la France en 2010) par an. Les autres accords fixent des limites similaires mais toujours avec une liste de métiers librement accessibles. Avec le Bénin (accord signé en 2007), il y a une liste de 16 métiers ouverts. L’accord avec le Gabon signé en 2007 fixe une liste de 9 métiers. Avec l’Île Maurice, dans un accord de 2008, la France a mis en place une liste de 61 métiers. Enfin, l’accord avec le Cap-Vert ouvre 40 métiers aux immigrés.
Tout se passe en coulisses
Mais un autre accord tout aussi important fait très peu de bruit. C’est celui avec l’Algérie. En effet, depuis 1968, les Algériens sont soumis à un accord migratoire spécifique plutôt généreux, du fait de l’histoire coloniale. Il prévoit notamment l’octroi de plein droit d’un certificat de résidence de 10 ans après un an de mariage avec un Français contre trois ans (et sans délivrance automatique) pour les autres immigrés. A l’inverse, les Algériens venant pour des motifs économiques ne bénéficient d’aucune liste des métiers librement ouverts.
Et la renégociation de cet accord est sur la table depuis l’automne 2009. Déjà trois avenants à cet accord ont été signés pour le rapprocher un tant soit peu du droit commun dont le dernier en 2001. Ce rapprochement devrait se poursuivre et toucher les règles sur l’immigration économique. « Mais c’est un chantier extrêmement complexe, ultra sensible, et qui risque de prendre plusieurs années », commente une source française proche du dossier. Reste à savoir si la France osera vraiment serrer la visse. Le vrai enjeu des migrations se passe à l’abri des regards. A croire que la politique de Guéant et Sarkozy se fait en atelier clandestin.