Le site d’orpaillage de Minkébé a été le lieu d’évènements ayant provoqué le tollé au sujet des conditions de rapatriement des immigrés clandestins qui y travaillaient. Après le communiqué du ministre gabonais de la Défense nationale qui établi la version officielle des faits, le conseil des ministres, tenu le 14 juin à Libreville, a également assuré que cette opération s’est déroulée «dans le respect des droits de l’Homme». Le gouvernement verrait même d’un bon œil la mise en place d’une enquête internationale sur cette question. Que s’est-il donc passé à Minkébé et en quoi consistait le tollé de la presse camerounaise ?
Contrairement à ce qui a été dit et écrit au sujet de l’intervention de l’armée gabonaise sur le site d’orpaillage de Minkébé dans la province de l’Ogooué-Ivindo (Nord-est), le ministre gabonais de la Défense nationale, Pacôme Ruffin Ondzounga assure, dans un communiqué publié durant le week-end écoulé et publié par les médias de service public, le 14 juin, que «l’évacuation de Minkébé s’est déroulée dans des conditions humanitaires plus que satisfaisantes.»
Le communiqué explique que, sur instruction du ministre de la Défense, une mission conduite par le chef d’Etat-major général des armées s’est rendu, le lundi 30 mai, sur le site de Minkébé pour s’entretenir avec les responsables des communautés vivant sur ledit site en vue de leur annoncer «l’arrêt total des activités (…) fixé au mardi 31 mai 2011 à 16 heures, délais de rigueur.» Les premiers départs, selon le même communiqué, ont été enregistrés le mercredi 1er juin, «par la rivière en direction de Mayebout, étape intermédiaire avant Makokou, et d’autre part par la piste de Djoum, en direction du Cameroun voisin…» Le lendemain, le site de Minkébé était fermé pour tout le monde «en dehors des militaires qui y ont pris leur quartier pour veiller à la sécurité du site.
«Aucun acte de violence, aucune exaction n’ont été commis sur les expulsés. Chaque individu a pu choisir ce qu’il emportait avec lui, avant de quitter sa case. En définitive aucun incident, fut-il mineur n’a été déploré. Face aux allégations tendancieuses de certains médias, le ministère de la Défense nationale tient à opposer un démenti formel aux informations diffusées qui ne reflète en aucun cas la réalité», précise le même communiqué.
Si le ministre de la Défense mentionne dans son communiqué que «4700 autres personnes se répartissant en 14 nationalités» ont été reconduits hors des frontières du Gabon par la piste de Djoum en direction du Cameroun, les autorités de ce pays, relayées par sa presse, établissent à près de 3000, le nombre de personnes délogées, réparties en 11 nationalités diverses.
Consternation et action humanitaire camerounaises
La presse camerounaise établi que ces personnes ont été délogées, manu militari, du site d’orpaillage de Minkébé qui a été concédée à une société occidentale. Ces orpailleurs ont été pourchassés par des «bérets rouges gabonais» qui ont pris le site d’assaut, à bord d’hélicoptères et se sont livrés à des actes d’une violence inouïe, a-t-il été écrit.
La presse camerounaise, qui cite le sous-préfet de Djoum, Jean Lazare Ndongo Ndongo, fait état de quatre morts au moins (dont deux Camerounais), consécutifs à des tortures, des noyades dans un grand cours d’eau ou d’épuisement à la suite d’une longue marche de près de 200 km à pied dans la forêt pour échapper à la furia de la soldatesque gabonaise.
«Parmi les victimes, un jeune homme de 30 ans nommé Laurent Menyengue et un bébé né dans des conditions difficiles en pleine forêt sur le chemin de Djoum. Les bourreaux du jeune camerounais lui ont par ailleurs dessiné la carte du Cameroun sur le dos à l’aide d’un poignard, indique notre source», lisait-on le 13 juin sur le site Internet du quotidien Camerounais « Mutations ».
Trois Camerounais et un Nigérien sont actuellement en observation à l’hôpital de district de Djoum, selon un rapport fait aux autorités camerounaises qui mentionne une centaine de blessés. Le Premier ministre camerounais, Philemon Yang, a donné instruction, le 9 juin dernier, à son ministre d’Etat, en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, de commettre une mission dirigée par le gouverneur de la Région du Sud et de lui faire parvenir de toutes urgence un rapport circonstancié de situation.
Dans le district de Djoum, un comité de crise a procédé au recensement, hébergement, visites médicales, nutrition et acheminement des refoulés vers leurs villages et représentations diplomatiques. Les premiers rapports établis au Cameroun font état de 2 292 refoulés recensés, 1 517 Camerounais, 362 Nigériens, 269 Maliens, 7 Guinéens (Guinée – Conakry), 1 Béninois, 22 Ivoiriens, 80 Burkinabés, 2 Tchadiens, 5 Centrafricains, 19 Sénégalais, 1 Ghanéen. Environ 600 refoulés ont évité les points aménagés pour leur accueil, selon les informations glanées sur de nombreux sites d’information du Cameroun et de bien d’autres pays africains.
Orpailleurs Gabonais dans la dispersion
S’ils ne sont pas aussi alarmistes que les écrits et témoignages recueillis par les médias camerounais, certains Gabonais également expulsés de Minkébé confirment une expulsion pour le moins surprenante et démentent quelque peu les «conditions humanitaires plus que satisfaisantes» indiquées par le ministre de la Défense nationale.
Ouvrier orpailleur pendant 9 ans à Minkébé, Jean-Claude B., joint au téléphone, raconte avec le cycle du langage qui est le sien : «Les bérets noirs étaient d’abord venus nous voir pour nous déloger. Mais ils nous ont dit qu’on devait nous déloger à partir de septembre. Après, nous avons aussi reçu la visite du ministre. Il était venu avec les gens de la société qu’on appelle SISED. Il nous a aussi donné ce délai de septembre. Et maintenant les bérets rouges sont arrivés avec le général. Avec eux il n’y avait pas de délais. C’est comme ça qu’on nous a délogés rapidement. Ils nous ont demandé de fermer les maisons avec nos effets. Donc, nous avons tout laissé à Minkébé et jusqu’alors nous attendons la position que le gouvernement prendra par rapport à notre situation. Nos effets sont restés, nous sommes partis de là-bas sans argent et maintenant nous trainons tous à Makokou.»
Interrogé sur une éventuelle bastonnade d’orpailleurs étrangers, Jean-Claude B. précise, visiblement irrité : «La moitié a été bastonnée. Moi, je ne peux pas dire non. Parce que la façon avec laquelle on nous a rapatrié, c’était fort. On nous a fait monter avec la force sur les pirogues. Les Camerounais, eux, ils partaient par la route où ils sont rentrés au Gabon. D’autres partants étaient malades et la distance était longue. Nous, les Gabonais, même si on n’a pas été torturés, la façon de nous rapatrier était très bizarre. Maintenant le camp est resté rien qu’avec eux. Les effets sont restés dans les maisons. Le camp était très grand, je n’ai pas tout vu. La bastonnade était au niveau de ceux qui faisaient le désordre.»
Plus nerveux, un autre témoin, Médard B. E. qui travaillait à Minkébé depuis 2006, raconte : «Je ne peux pas vous cacher, on était à Minkébé et on a été surpris de voir l’armée nous menacer et nous faire partir de cette façon. Ils étaient violents et on a abandonné tout à Minkébé. C’est la violence qui nous a fait partir de Minkébé. Ils demandaient à chacun sa nationalité et ils ont commencé à frapper les Camerounais. Ils ont aussi frappé des Gabonais qui leur répondaient mal. Je confirme qu’il y a eu des blessés mais je n’ai pas vu de mort et je ne peux pas dire ce que je n’ai pas vu.»
Le Gabon favorable à une enquête internationale
Réuni le 14 juin à Libreville, le conseil des ministres est revenu sur la situation du parc de Minkébé, «caractérisé par l’exploitation illégale de nos gisements d’or, par des personnes vivant en situation irrégulière, qui se sont illustrés en outre, par des actes de braconnage», précise le communiqué final de la réunion.
A cet effet, le conseil des ministres, «qui prend l’opinion nationale et internationale à témoin, indique que les ressortissants des pays amis ayant posé ces actes qui vont à l’encontre de la sécurité nationale, auraient dû faire l’objet de poursuites judiciaires tout comme les nationaux. Cependant, ils été simplement reconduits aux frontières, dans le respect des droits de l’Homme», poursuit le communiqué.
Contrairement aux dires des intéressés, conclu le conseil des ministres, «il n’y a eu ni torture, ni mort d’hommes. Sur cette question, le conseil des ministres n’est pas opposé à ce qu’une enquête internationale soit diligentée sur le déroulement des faits», conclu le conseil des ministres. Le gouvernement gabonais a-t-il reçu un rapport tronqué de l’opération d’évacuation ou les expatriés arrivés au Cameroun ont-ils donné une version hyperbolique de leur évacuation ?