À Coulaines, dans l’entrée du tennis-club, devant l’écran géant sur lequel est retransmis le match, papa Tsonga lève la main, la mère, Evelyne, va pouvoir ouvrir les yeux et laisser exploser sa joie. Il est 14 h 02, Jo-Wilfried vient de gagner son match à Melbourne.
Jo-Wilfried Tsonga s’est qualifié, hier, pour les demi-finales de l’Open d’Australie. Un exploit que la ville de Coulaines, près du Mans, a célébré en diffusant le match sur grand écran dans le club où il a débuté. L’enfant du pays est en passe de devenirun grand du tennis.
Quand Jo-Wilfried Tsonga, 22 ans, s’écroule après sa victoire face à Mikhaïl Youzhny, il est plus de minuit à Melbourne. Dix heures de moins dans sa Sarthe natale. Au tennis-club des Trois-Vallées à Coulaines, son père, sa mère, une quarantaine de supporters et le maire de cette commune de la périphérie mancelle explosent de joie, scotchés devant l’écran géant installé dans l’entrée du club.
Evelyne, la mère, enseignante au collège de la Madeleine au Mans, a pu s’échapper pour voir la fin de la rencontre. Elle respire. « Jo est serein. Il s’éclate à Melbourne. » Tout là-bas, tout à sa joie, il fait le show. « C’est un peu son paradoxe. Il est timide lorsqu’il discute avec quelqu’un mais il adore le public. Il devient un homme de spectacle, un show man. »
L’intérêt des Australiens pour le nouveau champion français est né, l’an dernier, de sa ressemblance avec le boxeur Mohamed Ali du temps où il s’appelait Cassius Clay. Jo-Wilfried est lui-aussi démonstratif à l’issue de ses victoires.
« Je suis heureuse de l’engouement, ici à Coulaines, dit la mère de Jo, mais je suis plus tranquille chez moi. » Jusqu’ici, avec son mari, elle a suivi les exploits de son fiston à la maison. À Savigné-l’Evêque. À quelques kilomètres de là. Et de nuit, décalage horaire oblige.
Didier, papa Tsonga, mâche frénétiquement son chewing-gum, même si depuis longtemps il est rassuré. Déjà, à 5 jeux à 4 pour son rejeton dans le troisième set, il serrait la main de l’ancien entraîneur de son fils, Franck Lefay : « C’est bon. » Un jeu décisif plus tard, la qualification est dans la poche. « Je vous laisse, il faut que je retourne voir mes élèves du collège d’Yvré-L’Évêque », glisse-t-il avant de lever un verre en l’honneur de son fils.
Un père auquel Jo-Wilfried doit beaucoup. Né au Gabon de parents congolais, Didier Tsonga a joué dans l’équipe nationale de handball avant d’être élu meilleur joueur d’Afrique centrale, en 1974. Puis il a quitté son pays pour la Sarthe pour décrocher un doctorat de chimie avant de devenir professeur de sciences physiques. « Mon père m’avait dit : « Je t’envoie là-bas pour faire des études, pas pour jouer au ballon. » C’était un ordre ». Didier se met donc au… tennis. Et transmet le virus à Jo, qui, à partir de 8 ans, intègre le club de Coulaines.
Jo-Wilfried progresse rapidement avant d’émigrer vers le Pôle Espoirs de Poitiers. « Lorsqu’il a fallu le laisser partir, à 12 ans, sa mère n’a pas voulu. On a attendu un an. Affectivement, c’était dur de le lâcher comme ça. » Il enchaîne avec l’Insep puis débute sa carrière professionnelle par quelques coups d’éclats, avant d’être freiné par des blessures. « On n’a jamais perdu confiance, explique Evelyne, sa maman. Quand il ne pouvait pas s’entraîner, il était triste. Chez nous, il y a un grand miroir dans l’entrée. Je me souviens qu’il se regardait, il mimait les gestes avec sa raquette. »
Enzo, son « petit » frère (1,94 m à 17 ans) a, lui aussi, le virus du sport. « J’ai commencé par le tennis, explique-t-il par téléphone. Mais on me parlait toujours de Jo. Cela a fini par me saouler. » Aujourd’hui, au centre fédéral de basket également à l’Insep à Paris, il pourrait suivre les traces d’un grand frère qu’il considère comme « un second père, un conseiller sportif et c’est aussi mon meilleur pote. » Sarah, sa grande soeur, a choisi une autre voie, elle travaille dans la santé publique.
Papa et maman n’ont pas fini d’entendre parler de leur descendance. Il suffirait que, dans la nuit de jeudi à vendredi, Jo-Wilfried Tsonga se débarrasse de Rafael Nadal pour qu’il devienne le nouveau chouchou du tennis français.
Un père d’origine africaine s’illustrant dans un sport collectif, et une descendance ayant choisi le tennis et le basket pour faire honneur à sa lignée. Cela de vous rappelle pas une autre saga ? Celle de Yannick Noah ! Jo-Wilfried Tsonga marche désormais sur ses traces.
Thomas GILBERT.