La machine à billets de la Françafrique, dénoncée récemment par l’un de ses acteurs, Robert Bourgi, a aussi fonctionné durant les années Mitterrand. L’entreprise Elf en était une pièce maîtresse.
« J’ai souvent croisé à Libreville François de Grossouvre et Roland Dumas », dit Robert Bourgi pour étayer la thèse selon laquelle François Mitterrand aurait touché, lui aussi, de l’argent d’Omar Bongo. Conseiller à l’Élysée, François de Grossouvre était le parrain de Mazarine, la fille cachée du chef de l’État français. Il protégeait les secrets de famille et veillait au financement des campagnes du Parti socialiste (PS). Son suicide dans son bureau de l’Élysée, en avril 1994, reste inexpliqué. Ministre des Affaires étrangères à deux reprises, de 1984 à 1986 et de 1988 à 1993, Roland Dumas avait un accès direct à François Mitterrand, sans passer par le Premier ministre. C’était l’homme des missions secrètes, aussi bien chez Omar Bongo (en photo-ci-dessous, avec son épouse, Édith-Lucie et Robert Bourgi, © Sipa), qui l’appelait « mon ami intime », que dans l’entourage de Jean-Marie Le Pen. Grossouvre et Dumas ont-ils transporté des valises ? Le président gabonais était généreux. En 2001, il a avoué : « C’est mon argent à moi. Je ne nie pas avoir aidé les uns ou les autres, mais je ne veux pas que l’on dise que j’ai aidé tel parti contre tel autre1. » En clair, Bongo arrosait large. À gauche comme à droite.
Les valises, Mitterrand n’aimait pas trop. Trop ostentatoire.
Un ancien ministre d’Afrique centrale
« Cadeauter »
« Les valises, Mitterrand n’aimait pas trop », confie un ancien ministre d’Afrique centrale. « Trop ostentatoire ». Sous Mitterrand, l’argent circulait surtout par Elf et sa fameuse caisse noire. « Si vous ne comprenez pas la Fiba, vous ne pouvez pas comprendre le système Elf », a lâché l’ex-patron de la compagnie pétrolière, Loïk Le Floch Prigent, lors de son procès. Domiciliée à Libreville, la banque Fiba, détenue à plus de 50 % par Bongo et ses proches, recevait tous les dessous-de-table versés par Elf. Jusqu’en 1981, le système a essentiellement profité au Rassemblement pour la République (RPR) de Jacques Chirac. Puis un jour, Mitterrand a convoqué Le Floch Prigent à l’Élysée et lui a dit : « Désormais, il faudra rééquilibrer les choses, sans oublier le RPR. »
La caisse noire – environ 5 millions de dollars par an, selon Le Floch Prigent – était gérée par André Tarallo et Alfred Sirven. Tarallo pour la droite, Sirven pour la gauche… Elf et Bongo remplissaient ainsi les caisses du RPR et du PS, mais aussi les poches de quelques particuliers. À propos de Roland Dumas – condamné en première instance, relaxé en appel –, l’ex-juge Eva Joly a eu ce mot : « Conciliant, le fisc ne redressera qu’une partie seulement des 10 millions de francs en liquide, d’origine indéterminée, découverts sur ses comptes bancaires2. »
Les socialistes français ont-ils été encore « gratifiés » après 1995 ? Quelques mois avant la présidentielle de 2007, Guy Penne, ex-conseiller de François Mitterrand, a confié à l’un de ses amis : « Gbagbo est l’un des nôtres. Il nous a aidés récemment. » L’ex-président ivoirien avait coutume de « cadeauter » ses amis. S’il a vraiment donné à Jacques Chirac pour sa campagne de 2002 – comme l’affirme Bourgi –, on imagine mal qu’il ait pu oublier ses camarades socialistes…
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1. Omar Bongo, Blanc comme nègre, entretien avec Airy Routier, Grasset, 2001.
2. La Force qui nous manque, Eva Joly, Les Arènes, 2007.