Par trois fois, Pierre Mamboundou avait échoué à la présidentielle. L’opposant historique est mort, le 15 octobre. Son parti, l’Union du peuple gabonais, aura du mal à s’en remettre.
Des cravates rouges, toujours. Un ton docte et moralisateur, souvent. Éternel outsider de la politique gabonaise, trois fois candidat à l’élection présidentielle, trois fois vaincu, Pierre Mamboundou s’en est allé, le 15 octobre, terrassé par une crise cardiaque. À Libreville, il aura été « l’homme qui dit non ». Non à feu Omar Bongo Ondimba qui, des années durant, tenta de l’amadouer ; non à son fils, Ali Bongo Ondimba, dont il nia farouchement la victoire à la présidentielle d’août 2009, avant de finalement envisager d’entrer au gouvernement. Le Gabon a longtemps bruissé des rumeurs de son ralliement, mais les hommages sont quasi unanimes : « Il est le seul à n’avoir jamais été à la soupe. »
Quelques heures avant sa mort, Mamboundou, presque 65 ans, avait présidé une longue réunion avec l’état-major de son parti, l’Union du peuple gabonais (UPG), la deuxième formation politique du pays après le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Entre 2009 et 2010, il avait certes lutté contre la maladie à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, où Nicolas Sarkozy avait facilité sa prise en charge, mais officiellement sa santé n’inspirait plus d’inquiétudes. Revenu au pays en novembre 2010, toujours impeccablement sanglé dans ses costumes de bonne coupe, l’opposant avait repris du service, dirigeant d’une main de fer l’UPG, qu’il a fondée en 1989.
Outrance
Pendant longtemps, Pierre Mamboundou a fait le siège du Palais du bord de mer, essayant d’en déloger par la voie des urnes Bongo père, puis fils à partir de 2009. Mamboundou l’insubmersible avait survécu à vingt années d’une vie politique tourmentée en plein cœur du marigot gabonais et n’avait pas connu le sort de Doukakas Nziengui, cofondateur de l’UPG décédé à la prison de Libreville dans des conditions mystérieuses, dans les années 1990. Il avait survécu à un exil de plus de trois ans à Dakar (Sénégal), entre 1990 et 1993 ; à ce que lui-même appelait une « tentative d’assassinat » en mars 2006, quand des unités de l’armée avaient mis à sac le siège de son parti ; aux blessures qu’il avait récoltées après une charge de la garde républicaine, le 3 septembre 2009, alors qu’avec d’autres candidats à la présidentielle il attendait les résultats du dépouillement devant le siège de la commission électorale.
Homme de convictions (même ses adversaires en convenaient), il ne cessait jamais de pourfendre le régime, dénonçant des tentatives de coup d’État (réelles ou fantasmées), divulguant le projet (démenti par les autorités) de vente de l’île de Mbanié à la Guinée équatoriale… Son audace virait souvent à l’outrance, mais avait le mérite d’avoir imposé le débat contradictoire et favorisé l’exercice des libertés publiques. Personnalité écrasante, Mamboundou agaçait dans les cercles du pouvoir et jusque dans les rangs de ses alliés, où l’on se disait parfois las de ses raccourcis provocateurs et de sa propension à se laisser griser par sa propre rhétorique, tout en jouant les redresseurs de torts.
L’homme qui se rêvait président
« Je ne serrerai sa main que lors de notre passation de pouvoir », disait Pierre Mamboundou au plus fort de sa confrontation avec Bongo père. Après deux candidatures infructueuses aux présidentielles de 1998 et 2005, il avait pourtant fini par faire la paix avec son rival, en avril 2006. Jusqu’à devenir, dans les années qui ont précédé le décès du chef de l’État, un visiteur régulier du Palais. Mais l’obsession du pouvoir ne l’avait jamais quitté. À nouveau candidat en 2009, il avait une fois encore contesté les résultats avant de négocier son entrée au gouvernement. À Libreville, on affirme qu’il guignait la vice-présidence ou la primature, mais exigeait l’introduction de la biométrie dès les élections législatives du 17 décembre. Les caciques du parti au pouvoir n’en ont pas voulu, les pourparlers ont échoué, mais Mamboundou n’avait pas renoncé.
Mais il a suffi qu’il conteste la victoire d’Ali Bongo Ondimba lors de la présidentielle de 2009 pour que s’enflamme son fief de l’Ogooué-Maritime. Informé par Robert Bourgi que la France aurait apporté son soutien au candidat du PDG, il n’avait pas voulu s’avouer vaincu. Et quand l’ambassadeur de France au Gabon, Jean-Didier Roisin, avait pris son téléphone pour lui demander de calmer les manifestants qui venaient de mettre à sac le consulat de France à Port-Gentil, Mamboundou lui avait répondu : « Je vais voir ce que je peux faire, mais je dois vous dire que j’ai du mal à joindre Port-Gentil. »
Ces derniers mois, il s’était éloigné de la presse et s’était replié sur l’Alliance pour le changement et la restauration (ACR), créée en soutien à sa candidature à la dernière présidentielle. La fermeté des convictions n’excluant pas l’habileté tactique, il a effectivement accepté de négocier un accord de gouvernement avec le PDG. Il avait rencontré Ali Bongo Ondimba à deux reprises, le 28 avril puis le 9 mai. « L’accord était prêt et n’attendait plus que les signatures, confie un membre de la délégation de l’UPG. L’article 13 prévoyait le report des législatives à 2012 pour permettre la mise en place de la biométrie. Le gouvernement n’a pas tenu parole. » Au PDG, ce sont les exigences de Mamboundou que l’on tient pour responsables de cet échec.
Luttes violentes
Que va devenir l’UPG après la mort de son leader ? « Sa disparition va immanquablement avoir un effet sur le positionnement du parti et sur le militantisme », explique Richard Moulomba, universitaire et ancien secrétaire général du parti. Selon des observateurs de la scène politique gabonaise, le successeur de Mamboundou pourrait être choisi au sein du noyau dur de l’UPG, composé de Punus comme lui. Jean-Félix Mouloungui, cousin de Mamboundou et ancien porte-parole de l’UPG en France, débauché – contre l’avis du parti – par le chef de l’État pour occuper le poste de ministre des PME, pourrait regretter de s’être éloigné. Le secrétaire exécutif de l’UPG, Mathieu Mboumba Nziengui (frère de Doukakas Nziengui et lui aussi cousin du président disparu) a en revanche toutes ses chances. Quant à Richard Moulomba, que de violentes luttes internes au parti ont poussé à la démission, en mars, et qui a entre-temps créé l’Alliance pour la renaissance nationale (Arena), il pourrait représenter une alternative pour les déçus de l’après-Mamboundou.