Interrogé par notre rédaction sur la crise économique qui secoue la plupart des pays européens, Jean Rémy Oyaya, Professeur en Economie de l’Université Omar Bongo (UOB), est revenu sur cette crise et ses éventuelles répercussions sur l’économie gabonaise. GABONEWS vous livre l’intégralité de cette interview.
GABONEWS : Professeur, Jean Rémy Oyaya, comment analysez-vous en tant que spécialiste la crise actuelle qui secoue certains pays européens ayant conduit aux démissions des chefs des gouvernements grec et italien ?
Jean Rémy Oyaya : C’est vrai que ce qui se passe actuellement en Europe fait réfléchir. D’autant plus que nous sommes habitués à voir les pays européens comme étant des modèles, des exemples de ce qu’il nous faut faire, car c’est souvent par la voie des institutions internationales qu’on essaie souvent de redresser nos pays, en meilleur recours je pourrais dire ce qu’on appelle ici notamment les plans d’ajustement structurels.
Ceci étant dit pour faire la comparaison avec notre pays, les pays européens sont en train de subir ce qu’on appelle également des plans d’ajustement structurel: c’est-à- dire qu’il y a des problèmes dans le pays inhérent aux questions de dettes. Tout comme nous avons subi, au Gabon, des plans d’ajustement structurels pour assainir les finances publiques de façon à pouvoir retrouver un équilibre budgétaire et rembourser notre dette. C’est exactement la même situation en Europe.
Dans ce genre de situation, c’est souvent le social qui est sacrifié et on a bien vu ici en Afrique, avec les plans structurels, qu’on leur reprochait de ne pas avoir une dimension sociale. Après on a révisé la copie avec le Fonds monétaire international (FMI), notamment et maintenant on a des plans d’ajustement structurel qui prennent en compte nos réalités sociales.
En Europe, la situation est un peu différente parce qu’il faut voir le financement du budget dont une bonne part va dans ce qu’on appelle les impôts de revenus budgétaires. On reproche, économiquement, à certains pays comme la Grèce d’avoir une bonne partie de ses recettes qui échappent à l’Etat.
Il faut donc obliger ceux qui sont à l’origine de ces crimes économiques à respecter les règles du jeu parce qu’en fait l’économie est un tout où chacun à son niveau devrait respecter les règles.
Si ceux de la finance trichent et ne respectent pas les règles du jeu, cela va automatiquement se répercuter sur le reste de la société. C’est comme dans un jeu de dominos où les finances et les banques tombent et conséquence : L’Etat a des problèmes de fonctionnement.
On appelle donc tous les citoyens à payer leurs impôts mais il se trouve souvent que les plus faibles sont davantage fragilisés.
GABONEWS : Doit-t-on comprendre qu’il n y aurait pas d’incidence directe sur notre pays ?
Jean Rémy Oyaya : Bien sur qu’il y a une incidence directe sur notre pays parce que si on parle de la Grèce, on parle de la France, on parle de l’Angleterre, on parle de l’Europe en général, à qui nous sommes rattachés par le biais de l’euro. Pour tout dire, l’une des incidences se trouve dans nos relations économiques, notamment si les pays européens qui sont nos partenaires ne peuvent plus beaucoup importer chez nous, nous aurons du mal à exporter et donc, par un effet mécanique, on risque de ne pas avoir beaucoup de recettes budgétaires.
Cela explique l’intérêt et la nécessité pris par le gouvernement actuel de diversifier nos produits d’exportations. Il n’y a pas que le bois mais il y a d’autres matières beaucoup plus revalorisées à vendre à l’étranger et à de nouveaux partenaires. Donc diversifier les pôles d’exportation suppose aussi par ailleurs diversifier les partenaires économiques. Autrement dit : Nos produits ne doivent plus avoir seulement comme marché uniquement des pays européens mais il faut aussi s’ouvrir à d’autres continents. Actuellement, on se dit que c’est du côté de l’Asie que peuvent peut-être venir des nouvelles opportunités de développement et de croissance.
GABONEWS : Quelles seront les effets pour l’Afrique en général et pour le Gabon en particulier, si jamais la crise venait à perdurer sur le continent européen ?
Jean Rémy Oyaya : Pour le Gabon en particulier, les effets seront moindres si nous arrivons à bien préparer la période actuelle notamment celle de l’après pétrole qui suppose donc la diversification de notre économie en vue d’amortir le choc de la crise européenne. Surtout si entre temps, on a pu reconstruire l’économie gabonaise.
Construire une économie sur des bases saines, en termes macro-économiques cela signifie que nos budgets, le PIB (Produit intérieur brut), la consommation et l’investissement sont en équilibre pour qu’on puisse un peu épargner, pour qu’on puisse avoir des devises pour financer nos activités, pour produire davantage et pouvoir exporter vers d’autres pays, également, à même d’avoir aussi de nouveaux partenaires commerciaux . On parle tantôt surtout de la Chine, on parle des Etats-Unis éventuellement, bref de tous les autres partenaires à même d’entretenir avec nous des relations économiques « gagnant-gagnant », comme un peu c’est le terme à la mode.
Il faut donc qu’on s’organise d’abord de l’intérieur de nous-mêmes, faire le ménage pour parler simplement et engager aussi des partenariats avec certains pays africains. Un partenariat sud-sud avec des puissances économiques comme l’Afrique du Sud mais, on peut aussi envisager certains échanges avec des pays de l’Afrique de l’Ouest ou peut être en Afrique centrale pour ouvrir par exemple un marché de poisson salé ou de légumes dans la sous-région afin de diversifier la production gabonaise pour diversifier les partenaires à l’étranger.
Je crois que de ce point de vue, si on poursuit la tendance actuelle, nous pourrons bien amortir le choc de la crise européenne.
GABONEWS : Peut-t-on croire que le fait que la majorité des entreprises locales ne soient pas cotées en bourse sécurise notre économie?
Jean Rémy Oyaya : Pour être cotée en bourse, il faudrait qu’une entreprise ait une surface financière assez consistante. La plupart des entreprises ici, ont souvent bénéficié de la subvention de l’Etat. Ce qui explique pourquoi elles ne sont pas assez compétitives, même ne fusse qu’au niveau national. Il y a, donc aussi de ce côté, des efforts à faire du point de vue de nos entrepreneurs. Pour qu’ils se mettent à l’école des temps modernes : Savoir comment gérer son budget avec des techniques modernes parce que maintenant il y a nécessité à savoir faire la différence entre son argent de poche, l’argent de l’entreprise, le chiffre d’affaire et savoir recruter un personnel qui fait bien son travail et qui soit compétitif.
Pour me résumer, pour prétendre à être cotée en bourse, il faut, pour une entreprise, être efficace et pouvoir acquérir une valeur beaucoup plus sous-régionale et être capable de vendre d’abord en Afrique centrale avant de s’attaquer à l’Europe et au monde.
On ne peut pas coter en bourse une entreprise qui n’est pas stable et consistante. Tout ceci pour dire que nous avons encore du chemin à faire.
GABONEWS : Notre pays tend à devenir une nation émergente ce qui suppose d’énorme investissements mais aussi des endettements. Quels sont les préjudices économiques que cela pourrait entraîner?
Jean Rémy Oyaya : De mémoire, si je ne me trompe pas, notre dette n’est pas si importante et représente seulement entre 3 et 4% du PIB, ce qui est relativement négligeable. Mais pour devenir un pays émergent, je crois que les options prises par le gouvernement sous l’inspiration du Président de la République sont les bonnes. Il faut d’abord commencer par organiser le pays en le restructurant afin de lui donner une configuration, une économie dynamique. Le pays est un tout. Il y a l’économie et la société aussi qu’il faut réorganiser en redonnant aux gens le goût du travail, la compétition et pouvoir réorganiser aussi tous nos partenaires au développement. C’est donc cet ensemble de réorganisations structurelles de la société qui nous permettra effectivement de devenir un pays émergent. Et, là aussi, il ne faut pas qu’on commette d’erreur car l’émergence n’est pas qu’un modèle pour les pays asiatiques, en tant que Gabonais, on peut aussi produire un modèle de pays émergent qui nous est propre.
Il faut, pour cela, être inventif, constructif, par le bon exemple faire ses preuves et avoir sa place sur l’échiquier mondial.