Ancien directeur général des élections au ministère de l’Intérieur entre 2007 et 2009, disposant à cet effet d’une expertise en la matière, le journaliste François Ondo Edou a été amené, dans l’interview ci-après, à commenter le très fort taux d’abstention observé durant les toutes dernières législatives organisées au Gabon. Il en tire quelques observations, remonte aux scrutins de 2006 et 2008 et indique des pistes, notamment l’introduction de la biométrie, pour éviter un remake de ce qui s’est produit le 17 décembre dernier.
François Ondo Edou, entre 2006 et 2009, vous avez eu en charge, de par vos anciennes fonctions, le dossier des élections au ministère de l’intérieur. Une polémique semble naître aujourd’hui autour du taux de participation aux élections législatives de 2006 et celles de 2011. Quels commentaires vous inspire cette situation ?
F.O.E : L’administration, dans tout pays qui se respecte doit être neutre et impartiale. Elle est le support sur lequel s’appuient les hommes politiques pour mettre en application le projet de société choisi par le peuple à l’issue des élections libres et transparentes. Elle n’a donc pas à intervenir dans le débat politique car elle n’a pas à choisir certains citoyens plutôt que d’autres.Un tel débat n’a pas lieu d’être, ceux qui l’instaurent le font à dessein, sans doute pour masquer un échec quelque part et ce n’est pas du tout sérieux.
Ce qui est important après un scrutin comme celui qui vient d’être organisé c’est d’en tirer les grands enseignements et de tracer les perspectives d’avenir pour que les choses s’améliorent. A l’époque où j’avais en charge la Direction Générale des Elections, c’est ce que je faisais. Les documents comparatifs des scrutins de 2006 et 2008 sont encore en ma possession et bien en sécurité. Je suis astreint au devoir de réserve, encore qu’il ne s’impose plus tellement à moi, j’ai totalement décroché avec l’administration parce que admis à faire valoir mes droits à la retraite. Citoyen libre, je serais sans complaisance si d’aventure quelques individus s’amusaient à vouloir réécrire l’Histoire de notre pays en faisant usage de faux. Je suis de très près le débat actuel. A ce moment- là, le Devoir m’appellera à rétablir la Vérité car il s’impose à moi dans le tumulte de la cité.
Sans aller dans les détails, quel est le scrutin de ces dernières années qui a connu le taux d’abstention le plus élevé et qui est le vrai vainqueur de la compétition de samedi ?
F.O.E : Je ne voudrais pas entrer dans la polémique. Les années 2006 et 2008, ce n’est pas de l’histoire ancienne. Vous avez encore en mémoire tous les événements de cette période. Vous pouvez aussi consulter les journaux de l’époque et voir les titres qui ont fait la une. C’est un petit travail d’investigation à faire et vous aurez une idée précise de l’attitude observée par les électeurs gabonais le 17 décembre dernier.
Pour répondre au second volet de votre question, il vous souviendra que pour le scrutin du 17 décembre 2011 – fait unique – il y avait deux camps en compétition : le pouvoir qui appelait les Gabonais à aller voter en masse et les forces du changement – opposition et société civile – qui avaient pour slogan « Pas de biométrie, pas de transparence pas d’élection ». La Biométrie n’ayant pas été au rendez-vous, ce camp a clairement appelé les électeurs à rester chez eux. Vous n’avez qu’à voir le taux d’abstention – 90 à 92% des électeurs inscrits – pour savoir qui a gagné.
Est-ce pour cela que le pouvoir tente de donner de multiples explications à l’abstention chez nous ?
F.O.E : Aucun pouvoir sérieux ne peut fournir des explications crédibles pour une élection dont le taux d’abstentionest supérieur à 90%. Nul ne peut se valoir de sa propre turpitude. Bien entendu, l’abstention est un phénomène moderne qui tient même de la liberté d’agir du citoyen. Dans les pays de vieille démocratie, l’électeur s’abstient parce que les candidats en lice ne lui présentent aucun projet novateur ou lorsqu’il estime que le candidat ou le parti qu’il soutient a de fortes chances de gagner même sans l’apport de sa voix. C’est ce qui est arrivé aux électeurs de Lionel Jospin en 1997. Chez nous, la démocratie a encore du chemin à faire. Usant de sa liberté d’agir, le citoyen peut bien se dire puisque les conditions de transparence ne sont pas réunies, que le résultat est connu d’avance et parce qu’il ne l’accepte pas, il préfère rester chez lui. Dans ce cas précis, c’est une expression politique très claire, une forme de vote et c’est celle qu’a choisi le peuple gabonais le 17 décembre dernier.
Si j’ai un conseil à donner à ceux qui ont en charge la gestion du pays, je leur dirais de prendre le courage à deux mains en acceptant ce bond en avant qui leur fait peur. Il n’y a plus lieu de tergiverser, la loi est promulguée. Elle est claire. Il s’agit aujourd’hui de repartir sur une nouvelle base avec l’introduction des données biométriques dans l’élaboration du fichier électoral. Ils auront ainsi avec eux les techniques modernes qui leur permettront d’organiser des élections modernes acceptables par tous les citoyens et appréciées par la communauté internationale.Le reste n’est que perte de temps et d’énergie.