Les deux premiers décès de civils liés aux rassemblements contre la candidature d’Abdoulaye Wade ont eu lieu à Podor. Enterrées mercredi matin dans cette petite ville du nord du Sénégal, les victimes ont été fauchées par des balles tirées par les gendarmes locaux. Retour sur une manifestation de jeunes qui a fini en bain de sang, alors que l’opposition appelle à de nouvelles mobilisations et que le président sénégalais compare la contestation à une simple « brise ».
Mercredi matin, à Podor. Les ombres serrées dans la fraîcheur matinale sont à peine distinctes. Seuls les murmures et les sanglots rompent le silence nocturne. Le soleil n’est pas encore levé quand cette ville de 12 000 âmes se met en marche : mères, pères, enfants et petits-enfants, camarades et professeurs, voisins et amis, se sont levés tôt pour rendre hommage à Mamadou Sy, 18 ans, et Bana Ndiaye, 60 ans. Ce sont les deux premières victimes civiles – sur quatre à ce jour – des manifestations qui secouent le Sénégal depuis une semaine. Les premières victimes de l’obstination d’un vieux président (86 ans) à briguer un troisième mandat, et d’une opposition parfois irresponsable qui profite de la colère des jeunes du Mouvement du 23 juin (le M23) pour dénoncer une « forfaiture » et la « corruption » – sans preuve – du Conseil constitutionnel qui a validé la candidature du président sortant.
Choqués, les Podorois ne comprennent toujours pas comment la bourgade s’est brusquement transformée en champ de bataille. Ce matin du lundi 30 janvier, quelques milliers de jeunes sont réunis lorsque Mamadou Ibrahima Sy s’effondre, à quelques mètres de la gare routière (le « garage »), en sortie de la ville. Lorsque le sable rougit sous son corps, tous autour de lui comprennent la situation. À quelques dizaines de mètres, les gendarmes qui leur font face tirent de vraies balles.
Tout va alors très vite. Le sifflement des projectiles déchire l’air saturé par les gaz lacrymogènes. Les douilles fumantes en métal jaune éjectées des fusils M16 et des pistolets mitrailleurs roulent à côté de celles en plastique vert des balles en caoutchouc. La foule, d’abord hébétée, est rapidement gagnée par la panique. Personne n’aurait soupçonné que le commandant de brigade, parti quelques secondes plus tôt à l’arrière de son pick-up bleu, venait d’alourdir son arme avec du vrai plomb. D’autres gendarmes appuient eux aussi sur la gâchette. « C’est moi qui donne les ordres ! » hurle le militaire à son adjudant, un natif de Podor qui tente de le raisonner.
« Gendarme déséquilibré »
« Vous avez tué ! » crient les manifestants. Parmi eux, certains sont également blessés. Sous les tirs nourris, le corps de Mamadou est traîné au « garage ». Un « sept places » – une vieille 405 qui sert de taxi collectif – emporte alors le corps sans vie du jeune homme à l’hôpital de Podor, où l’on ne peut plus rien pour lui : il est décédé sur le coup.
Après une heure d’affrontements dans la ville – des pierres contre des mitraillettes, une deuxième victime s’effondre. Il s’agit de la grand-mère sexagénaire de Cheick Omar, cameraman et monteur pour la WalfTV, fauchée alors qu’elle fuyait le marché où elle faisait ses courses, à deux pas de la gendarmerie assiégée par les jeunes venus « venger leur mort ». Le tireur visait un membres du M23.
Effroyable bilan à 14 heures : 2 décès, 7 blessés par balles et plusieurs autres par des bombes lacrymogènes. « Il s’agit d’un gendarme déséquilibré qui a pris seul l’initiative de donner l’ordre de tirer, sans même recevoir d’instructions de sa hiérarchie », affirme Aissata Tall Sall, maire de Podor et porte-parole du Parti socialiste (PS). La mairie et le collectif M23 ont décidé de porter plainte contre l’officier. Une enquête a été ouvertepour « élucider les circonstances exactes qui l’ont conduit à tirer », explique le commandant Diop, porte-parole de la gendarmerie nationale.
« Nous n’avons pas peur de mourir »
Les autorités craignent désormais une riposte de la population, et des renforts ont été dépêchés sur place. Relevé de ses fonctions, le militaire et sa famille ont été évacués à Saint-Louis où ils se trouvent encore aujourd’hui.
« Nous manifestions de manière pacifiste », affirme Sidi Gueye, coordinateur local du M23. Les premières pierres auraient fusé en réponse aux lacrymogènes, tirés à la suite d’une pancarte brûlée à la permanence du PDS (le parti d’Abdoulaye Wade). La mobilisation a dégénéré presque spontanément. Certes personne n’a appelé au calme – sauf la mairie –, mais personne n’a appelé à la révolte non plus.
« Pour l’instant, on respecte 48 heures de deuil, mais les camarades de Mamadou sont déterminés à venger sa mort, explique Sidi Gueye. De notre côté, nous allons nous réunir et choisir l’action à mener. Nous n’avons pas peur de mourir. » À la sortie de la ville, la route a été soigneusement nettoyée. Les pierres sont entassées sur le bas côté et les douilles ont été balayées. Podor semble apaisé. Mais pour combien de temps ?
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Michael Pauron, envoyé spécial à Podor