Reportage – La proximité de longue date entre Sall et Wade fait craindre une collusion entre les deux candidats.
Par MARIA MALAGARDIS Envoyée spéciale au Sénégal
Mauvaise nouvelle pour les albinos : il va encore falloir se planquer. A Dakar, lors de la campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle, ils s’étaient déjà souvent cachés, suite à une rumeur relayée par la presse locale qui faisait d’eux les cibles privilégiées de crimes rituels à des fins politiques. Or, il y aura un second tour, dont la campagne vient à peine de commencer au Sénégal. Une rumeur, là aussi tenace, avait pourtant fait craindre un passage en force du président sortant, dès le premier tour. Il n’en fut rien et Abdoulaye Wade affrontera, dans cette seconde manche, Macky Sall, un de ses anciens Premiers ministres, de trente-cinq ans son cadet.
Usé par douze ans de règne, critiqué pour sa gestion trop personnelle des affaires de l’Etat, discrédité par le favoritisme indécent manifesté à l’égard de son fils, le vieux président, bien qu’en tête du premier tour avec 34,4% des voix, ne part pas favori dans cette dernière bataille. «Wade a déjà fait le plein des voix au premier tour. Maintenant que l’opposition va se rassembler derrière un seul candidat, il est foutu», insistait un sympathisant de Sall, le soir du premier tour.
Western. Certes, mais en se maintenant en piste, le «Vieux» a déjà gagné une autre bataille : plus personne ne conteste la légitimité de sa candidature. Ce fut pourtant le seul enjeu du premier tour. Dénonçant sa prétention à un troisième mandat, jugé inconstitutionnel, la plupart des opposants s’étaient focalisés sur le retrait du Président de la course électorale. Mais, en fin de semaine, en ralliant officiellement Sall (le seul, d’ailleurs, qui n’avait pas fait du retrait du Vieux sa seule stratégie de campagne), les leaders de l’opposition ont de facto abandonné cette bataille.
Avec ce soutien de l’opposition, Macky Sall, qui a obtenu 26% des voix au premier tour, pourrait gagner avec une belle avance. Reste une inconnue : les albinos ne sont pas les seuls à s’être terrés dans l’ombre avant le premier tour. Effrayés par la tension inédite qui régnait pendant la campagne, près d’un million de Sénégalais ont renoncé à aller voter le 26 février. Atteignant à peine 51,5%, la participation est ainsi largement inférieure à celle de la présidentielle de 2007 où elle grimpait à 70%. Ces abstentionnistes font désormais l’objet de toutes les convoitises pour les deux candidats encore en lice, qui vont à nouveau sillonner le pays.
Lors de la campagne du premier tour, Wade et Sall furent les seuls à le faire avec une telle intensité. Leurs cortèges se sont d’ailleurs souvent croisés. Comme ce 23 février, à Bambay, un trou perdu, poussiéreux et misérable, à 150 km à l’est de Dakar. Les deux candidats y avaient prévu un meeting, à quelques heures d’intervalle. Au même moment, dans la capitale, des manifestants affrontaient les forces de l’ordre. Dans ce climat de tension, les risques de dérapage semblaient réels. Au carrefour d’une rue de Bambay, on pouvait voir des vigiles en tee-shirts noirs, alignés, l’air farouche et les bras croisés : le service d’ordre de Macky Sall protégeant un bout de territoire juste devant la maison où devait se rendre leur chef. En face, à quelques mètres, la maison où le président Wade était accueilli. Ses partisans affluaient sur les lieux. Ambiance de western en attente du duel au soleil ? «Mais non ! Ce n’est qu’une simple précaution, il n’y a aucun risque d’affrontement ! Les gens de Macky sont nos amis, ils viennent tous du camp présidentiel !» s’était alors esclaffé Amadou Sall (sans lien avec Macky), le porte-parole de campagne de Wade, avant d’aller saluer chaleureusement le chef des gros bras du camp adverse. «Nos routes se croisent souvent, c’est normal : Macky était le directeur de campagne de Wade en 2007. Il applique la stratégie apprise auprès du Président», rappelait encore Amadou Sall.
«transhumance». Entre le vieux chef et son jeune challenger, les liens sont nombreux. Et certains prédisent une «vaste transhumance» du camp Wade vers celui de Sall si la tendance en faveur de ce dernier se confirme. «Macky reçoit beaucoup de coups de fil», concède, sibyllin, Jean-Pierre Pierre-Bloch. L’ex-député français, fils du fondateur de la Licra, a rallié Sall fin 2010. Auparavant, il était très proche de Wade, «depuis 1990», précise-t-il. Comme tant d’autres, il a fini par quitter le navire présidentiel.
Mais cette proximité ne risque-t-elle pas de favoriser un deal : l’impunité au clan Wade, mêlé à tant d’affaires délictueuses, en échange de son retrait sans résistance en cas de défaite ? «Il n’y aura aucun compromis !» jure Jean-Pierre Pierre Bloch, qui balaye ces spéculations d’un geste et préfère évoquer de vieux souvenirs : lorsque, manager de Johnny Halliday, il avait accompagné ce dernier pour un concert à Dakar, où la foule reprenait en chœur «Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir». Aujourd’hui, l’espoir est bien là. A chacun d’y retrouver sa couleur désormais : marron pour les bulletins de Sall ou jaune et bleu pour Wade. Mais l’ex-dauphin devenu adversaire du Vieux rappelle que «rien n’est encore joué».