L’anéantissement de toute forme d’opposition au nom du consensus a fini par verrouiller toute la société.
Renversé par le putsch militaire du 22 mars, le président malien Amadou Toumani Touré (dit ATT), a manqué sa sortie de fin de mandat prévue le 29 avril, après avoir grandement contribué à l’essor de la démocratie dans son pays. Le coup d’Etat, mené par des militaires du rang, peu gradés et inconnus, issus de la caserne de Kati près de Bamako, a fait éclater au grand jour les carences d’une politique de consensus dont ATT avait fait sa vitrine.
Si les revendications de la junte, réunie autour d’un « Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat » (CNRDRE) et menée par le capitaine Amadou Sanogo, sont confuses, les critiques, elles, se vérifient sur le terrain.
Manque d’autorité
Le pouvoir, gagné par une corruption qui n’a pas épargné le Mali, est accusé de ne pas fournir suffisamment d’équipement pour combattre la rébellion touareg du Nord Mali, menée par le mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), et d’être trop laxiste vis-à-vis des activistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui occupent la même région désertique.
En cause, le manque d’autorité d’ATT. « Le président malien n’a jamais été dans le conflit, ce qui pouvait le rendre sympathique mais ne facilitait pas les prises de décisions », estime Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des mondes africains, interrogé par « le Nouvel Observateur ». « Il a réuni autour de lui presque tous les partis, il n’y a donc plus vraiment d’opposition organisée, ni de débat. La démocratie au Mali en pâtissait ». L’anéantissement de toute forme d’opposition au nom du consensus a fini par verrouiller toute la société.
Déroutes de l’armée
Le président malien annonçait des victoires contre le MNLA, là où les défaites se succédaient. Le 17 janvier, la ville d’Aguelhok est prise par la rébellion. 85 militaires et gendarmes sont massacrés, plus de 100.000 personnes sont déplacées. Des opérations ont dû être arrêtées parce que le carburant n’avait pas été acheminé. Le 12 mars, c’est la ville de Tessalit qui tombe aux mains de la rébellion. Le pouvoir parle alors de repli stratégique.
Dans les casernes, la révolte gronde déjà. « L’armée est aussi bien équipée que le MNLA mais a l’impression de ne pas être soutenue, de ne pas être tenue au courant de ce qui se passe, de perdre du terrain et se trouve commandé par une hiérarchie militaire de haut gradés qui sont pour la plupart d’entre eux assez corrompus », explique Pierre Boilley.
Des signes annonciateurs
Les signes annonciateurs d’un ras-le-bol ne semblent pas avoir été pris en compte. En février déjà, une tentative de coup d’Etat avait été déjouée. Ensuite, il y a eu le 19 mars, la marche des femmes de militaires qui demandaient des armes et des munitions pour pouvoir se défendre contre le MNLA. « Cette marche a eu pour conséquence les événements de Kati où des saccages de biens appartenant à des Maures et à des Touaregs, ont eu lieu », rappelle André Bourgeot, chercheur au CNRS. Enfin, les mutineries se sont multipliées dans le pays à cause du manque de moyens. « Certains militaires, ne pouvant participer aux combats, ont fui les casernes pour se réfugier en Algérie », ajoute André Bourgeot.
Pas de stratégie
A Bamako, les scènes de pillages qui ont suivi le putsch ont donné l’impression d’un coup d’Etat précaire. Les mutins semblent n’avoir aucune stratégie ni à l’égard du pouvoir, ni à l’égard du MNLA qui, profitant de la situation de désorganisation de l’armée, se dirige vers Kidal, une ville importante.
Le reste de l’armée n’a pas rallié le CNRDRE, rares sont les partis politiques qui soutiennent le mouvement et la communauté internationale a condamné le renversement du pouvoir. « Le MNLA ne tiendra pas à négocier tant qu’il n’y aura pas une légitimité suffisante du pouvoir », estime Philippe Hugon, chercheur à l’Iris. « Je ne vois pas très bien comment ils peuvent tenir s’ils restent isolés et sans beaucoup d’expérience. Ils auront besoin d’alliances. »
De son côté André Bourgeot craint la réapparition de milice à caractère ethnique : « Les milices comme Gando Koy-Ganda Izo pourraient être réactivées pour combattre le MNLA. Cette situation pourrait accélérer un affrontement interethnique. »
Par Sarah Diffalah
Créé le 26-03-2012 à 18h06 – Mis à jour le 27-03-2012 à 15h51