Lors d’un débat sur leMonde.fr, Gérard Courtois, directeur éditorial du journal, analyse le débat de l’entre-deux tours : le président sortant n’est « pas parvenu à remporter de manière éclatante » le duel. François Hollande sera « le principal bénéficiaire » de l’exercice.
André B. : Dans quelle mesure le débat va-t-il faire bouger le vote de dimanche ?
Gérard Courtois : Nicolas Sarkozy s’est retrouvé, au soir du premier tour, dans une position très difficile. Non seulement il était devancé par le candidat socialiste, mais il manquait cruellement de réserves de voix pour le second tour. L’enjeu du débat d’hier était donc pour lui extrêmement clair. Pour espérer redresser la barre et l’emporter, il avait besoin de démontrer de manière éclatante que François Hollande est trop flou, trop fuyant, trop inexpérimenté pour diriger le pays. Bref, il avait besoin de le déstabiliser et il n’y est pas parvenu.
Il a manqué cette démonstration, et il a manqué le KO qui lui aurait permis d’inverser l’état de l’opinion tel qu’il ressort des sondages. Dans ces conditions, je doute que ce débat lui ait permis d’engranger si peu que ce soit l’adhésion de nouveaux électeurs. Dès lors qu’il n’a pas gagné ce match, à mes yeux cela signifie qu’il l’a perdu.
Minck : Pensez-vous qu’il a manqué le KO justement ? Il a mis François Hollande dans bien des difficultés…
Cela n’est pas le sentiment que j’ai éprouvé tout au long du débat. François Hollande a été mis en difficulté à un moment, de manière évidente, sur la question des centres de rétention. Mais en dehors de cet épisode-là, qui est arrivé en seconde partie de débat, il me semble, au contraire, que contrairement à ce qu’imaginaient Nicolas Sarkozy et son camp, François Hollande a démontré de bout en bout qu’il n’entendait céder aucun pouce de terrain.
Il me semble, au contraire, que le candidat socialiste est parvenu à ses fins en ramenant systématiquement le chef de l’Etat à son bilan présidentiel voire, plus largement, au bilan de la droite depuis dix ans. Et sur tous les points concernant ce bilan, c’est plutôt Nicolas Sarkozy qui m’a semblé en difficulté.
Guest : Pourtant, il a réussi sur un point, c’est celui de ne quasiment pas aborder son programme, il n’a fait que critiquer celui d’Hollande.
Clemy : Pourquoi le candidat Sarkozy n’a-t-il pas réussi à parler de son programme ?
Oui, c’est assez vrai. Mais cela me paraît plutôt un point de faiblesse de sa part. On ne peut pas, me semble-t-il, convaincre les Français uniquement sur la critique ou la dénonciation de l’adversaire, il faut également les convaincre sur ces propositions et le président sortant a été, sur ce point, beaucoup plus allusif que François Hollande, comme s’il avait été atteint du travers qu’il reproche chez le candidat socialiste, le goût de l’esquive.
Pierre : Les trois minutes d’anaphores de François Hollande ont-elles enterré définitivement Nicolas Sarkozy ?
Je suppose que vous faites référence à la longue tirade de François Hollande: « Moi président… ». Le plus surprenant dans cet épisode du débat est que Nicolas Sarkozy ne l’ait pas interrompu. Il m’a donné à ce moment-là le sentiment d’avoir baissé les bras, et de ne plus se protéger contre les coups percutants, voire brutaux, que lui assénait M. Hollande. Cela renvoie à la tactique très risquée qu’avait choisi, depuis le début de sa campagne, Nicolas Sarkozy : se placer en position de challenger contre le candidat des élites et du système (Hollande).
Peut-être n’avait-il pas d’autre solution pour tenter de faire oublier son bilan et pour écarter la menace de Marine Le Pen. Mais il en a payé, hier, cruellement le prix, notamment lors de ce passage du débat. Il a laissé à François Hollande la position de favori au point que ce dernier est arrivé au débat en situation de quasi-président.
La longue séquence du « Moi président… » de M. Hollande a très efficacement martelé cet avantage. Mais en prime, Nicolas Sarkozy n’a pas pu ou pas su éviter le réquisitoire sur son bilan.
J’ai le sentiment que, si le débat n’a pas fait évolué les votes, certains électeurs qui votaient d’abord « contre » Nicolas Sarkozy vont désormais aussi voter « pour » François Hollande. Depuis le début de la campagne, Nicolas Sarkozy et son camp n’ont cessé de sous-estimer l’adversaire socialiste. Ce jugement de la droite qui venait après les critiques des « amis » socialistes de Hollande lors de la primaire a fini par installer peu ou prou, y compris dans l’opinion, l’image d’un candidat qui ne serait pas à la hauteur, d’un candidat « nul », comme l’a dit Nicolas Sarkozy dans un entretien avec notre collègue Philippe Ridet.
Ce que beaucoup d’électeurs, notamment parmi les indécis, ont probablement découvert hier, à l’occasion de ce débat, c’est que contrairement aux apparences – et son parcours depuis un an le démontre -, le candidat socialiste est capable de faire preuve d’une détermination, d’une ténacité et d’une pugnacité indéniables.
Planchon Nicolas : Vous passez outre beaucoup de passages victorieux de M. Sarkozy. Lorsque le président sortant a pu chiffrer son immigration légale, M. Hollande a été incapable de le faire. Le cœur du débat se jouait sur le thème de l’immigration. Sur ce point, M. Sarkozy l’a largement emporté.
Je n’ai pas la même appréciation. S’il s’agit, en tout cas, du niveau de l’immigration légale annuelle, le candidat socialiste, me semble-t-il, a clairement indiqué que le niveau actuel lui paraissait à peu près incompressible.
Il a simplement précisé qu’il envisageait une régulation plus stricte de l’immigration de travail à travers le débat annuel du Parlement qu’il a annoncé. Donc, pour ce qui est du chiffre de l’immigration, il me semble qu’il n’y avait pas d’ambiguïté du côté du candidat socialiste, pas davantage que du côté du candidat de l’UMP.
Clémentine : Ce passage du débat sur la thématique de l’immigration peut-elle avoir un impact sur le vote des électeurs du FN ?
Marc : Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de M. Sarkozy, dans snu entretien post-débat, a mis en avant les imprécisions de M. Hollande sur le thème de l’immigration. Clin d’œil aux indécis qui ont voté FN au premier tour ?
C’est évidemment ce que souhaite Nicolas Sarkozy qui n’a cessé, lors de la campagne et plus encore depuis le premier tour, de brandir les dangers, à ses yeux, de la politique de la gauche en matière d’immigration. Il est vraisemblable, et toutes les enquêtes l’indiquent, que, notamment pour cette raison, une part importante des électeurs lepénistes du premier tour se reporteront au second sur le candidat de l’UMP.
Mais Nicolas Sarkozy aurait besoin, pour espérer inverser le rapport de force actuel, d’un report beaucoup plus massif de ces électeurs du Front national. Il semble bien, surtout après la position de vote blanc annoncé par Mme Le Pen, qu’une partie non négligeable des électeurs du FN ne voteront pas pour la « copie », comme disait autrefois Jean-Marie Le Pen.
Bob : François Bayrou et ses électeurs du MoDem ne se sont-ils pas sentis « oubliés » pendant ce débat, au risque de favoriser un vote blanc, ou pire, une abstention de leur part ?
Nicolas Sarkozy s’est rappelé à la dernière minute, dans sa conclusion, qu’il devait aussi, pour espérer l’emporter, attirer le vote des quelque 9 % d’électeurs de François Bayrou. Il s’est donc, in extremis, adressé à eux d’une courte phrase. Cela me paraît très insuffisant pour convaincre des électeurs dont beaucoup ont pu être heurtés par la façon dont M. Sarkozy a épousé plus que jamais, non seulement les mots et la rhétorique, mais même les idées et les propositions du FN.
J’ai plutôt tendance à penser que le discours plus œcuménique et ostensiblement rassembleur de François Hollande, sans forcément faire basculer vers lui une partie importante du vote centriste, évitera que celui-ci ne se reporte sur le candidat de l’UMP. On verra aujourd’hui quelle conclusion en tire François Bayrou lui-même. Mais l’on sait que, dès à présent, bon nombre de ses soutiens – le dernier en date étant Philippe Douste-Blazy – ont annoncé leur intention, soit de voter Hollande, soit de ne pas voter Sarkozy.
Guest : Est-ce que l’écologie n’est pas la grande perdante de ce débat ?
Il y a beaucoup de thèmes qui n’ont pas été abordés dans ce débat. L’écologie au sens large, au-delà de la question du nucléaire, mais aussi le logement, la santé et la sécurité, et bien d’autres… Ceci plaide, à mon sens, pour les futures campagnes présidentielles en faveur de l’organisation de plusieurs débats, deux au moins, afin que les candidats aient véritablement le temps d’aller jusqu’au bout de leurs propositions et d’en faire une pédagogie ou une critique approfondie.
François Hollande a refusé la demande de Nicolas Sarkozy, formulée le 22 avril, d’organiser trois débats. Tactiquement, c’était logique de ne pas accepter un changement des règles du jeu au milieu du match. Mais, pour l’avenir, le débat démocratique gagnerait à être étoffé pour ne pas laisser de côté des thèmes aussi importants.
Guest : François Hollande a aussi été mis en difficulté sur la réduction de la dette, il n’a pas explicité quelles coupes budgétaires il entendait réaliser.
C’est effectivement un point sur lequel le candidat socialiste n’a pris que des engagements globaux. Toutefois, en annonçant qu’il entendait réaliser un effort significatif pour l’éducation, la police et la gendarmerie et en précisant que, globalement, les effectifs de la fonction publique resteraient stables, il a dessiné, au moins en creux, l’effort qui serait nécessaire pour tous les autres ministères.
Là encore, j’ai été étonné que Nicolas Sarkozy, que l’on a souvent vu très efficace dans ce genre de joutes, n’ait pas cherché à pousser M. Hollande dans ses retranchements sur ce point des économies budgétaires.
Guillaume : Le langage corporel en dit souvent long sur l’état d’esprit des orateurs. Nicolas Sarkozy a retrouvé ses tics des épaules. Du côté de François Hollande, je n’ai pas remarqué d’hésitations. Pensez-vous que ces comportements aient une influence sur la perception des arguments par les téléspectateurs ?
C’est évident. L’image dans un débat de ce type est aussi importante que les mots. Vous avez raison de souligner que Nicolas Sarkozy a effectivement retrouvé les tics qu’il avait cherché à gommer. C’était, me semble-t-il, un signe manifeste de nervosité, de tension voire de vulnérabilité.
A l’inverse, François Hollande avait manifestement choisi une attitude et une posture destinées à démontrer physiquement qu’il ne se laisserait pas bousculer.
Cette assurance, dans l’allure comme dans l’élocution, a rendu, me semble-t-il, sa prestation percutante. Il faut ajouter que François Hollande a, ces dernières années, réanalysé minutieusement les campagnes électorales de ces quarante dernières années et, en particulier, celles de François Mitterrand en 1981 et 1988. Il a d’ailleurs réussi, me semble-t-il, une synthèse des deux débats présidentiels de 1981 et 1988. En 1981, François Mitterrand avait opposé à Giscard d’Estaing son « passif » quand celui-ci accusait le candidat socialiste d’être un « homme du passé ».
François Hollande et Nicolas Sarkozy se sont livrés exactement au même scénario hier soir. Forcément au détriment du président sortant. Quant à 1988, on se rappelle que François Mitterrand avait violemment accusé Jacques Chirac d’être l’homme de « clans, de bandes » et de l' »Etat RPR ». François Hollande a repris, hier, presque les mêmes mots en accusant son adversaire de « clanisme » et, sans employer l’expression, d’être responsable d’un « Etat Sarkozy ».
Et ce qui vaut pour les mots vaut également pour les postures et les attitudes.
Guest : François Hollande n’a-t-il pas frôlé l’agressivité?
C’est l’angle d’attaque que le camp du président de la République a choisi dès la sortie du débat, M. Sarkozy lui-même déclarant « il n’y a pas que moi qui l’ai trouvé agressif, c’est sa personnalité ». C’est assez paradoxal, après avoir pendant des semaines systématiquement taxé M. Hollande de mollesse et d’irrésolution. C’est également symptomatique de la surprise du candidat UMP de s’être retrouvé confronté à un adversaire aussi pugnace.
Enfin, Nicolas Sarkozy s’est, en quelque sorte, trouvé pris à contre-pied. Depuis maintenant cinq ans, c’est lui qui, très souvent, a été, ici ou là, considéré comme agressif. Il avait donc choisi, semble-t-il, de ne pas adopter ce ton dans le débat d’hier, mais devant le ton offensif de son adversaire, il s’est trouvé ramené presque inévitablement sur ce terrain, et c’est, me semble-t-il, lui qui s’est retrouvé perdant dans ce registre-là : il ne me semble pas normal de traiter celui qui sera peut-être, dans quelques jours, le chef de l’Etat, de « petit calomniateur » et de marteler sans arrêt que son adversaire profère des « mensonges » quand lui-même, y compris lors du débat, n’est pas avare de contre-vérités manifestes.
Michel : Avez-vous eu l’impression comme moi que Laurence Ferrari a aidé en plusieurs reprises Nicolas Sarkozy ?
Non, pas vraiment. Pas plus que David Pujadas n’aurait avantagé François Hollande. Les deux journalistes, comme souvent dans ces débats, ont été réduits aux rôles de répartiteurs du temps de parole, et n’ont guère réussi à faire respecter le cadre initialement envisagé pour ce débat.
Mais je pense qu’ils ont eu, en réalité, le bon réflexe professionnel de la télévision. Ce débat, en effet, a été un vrai débat âpre, sans concession, brutal à bien des moments. Bref, une vraie confrontation comme il n’y en avait pas eue depuis 1988. En 2007, le duel entre Sarkozy et Ségolène Royal était trop déséquilibré, en 2002, il n’y avait pas eu de débat, et en 1995, il n’y avait pas eu véritablement d’affrontement entre Jospin et Chirac.
Pour la première fois depuis un quart de siècle, on avait donc, à travers ce débat, un vrai moment de télévision que les deux journalistes ont eu raison, à mes yeux, de ne pas vouloir canaliser de manière trop artificielle.
Simon M : Donc à vous lire, M. Courtois, vous faites de François Hollande le vainqueur net et sans contestation de ce débat?
Emilien : Pensez-vous que les jeux sont faits ?
Je serais plus nuancé sur le vainqueur du débat. Comme je l’ai dit au début de ce chat, Nicolas Sarkozy avait un besoin impératif de l’emporter de manière éclatante et il n’y est pas parvenu. Au moins par défaut, c’est donc François Hollande qui aura été le bénéficiaire de l’exercice. Sur la deuxième question, les jeux sont-ils faits ? Ils le sont, à mon sens, depuis des mois. Au risque de recevoir des mails extrêmement vindicatifs, je l’ai écrit à plusieurs reprises et ce n’était pas un choix partisan, mais le résultat d’une analyse.
Cette analyse est assez simple. Le président sortant est plombé à la fois par sa personnalité qui a pu heurter, par la crise qui a déstabilisé tout son projet de 2007 et par son bilan dominé par la montée du chômage. Espérer, dans ces conditions, qui plus est après dix années de droite au pouvoir et dix-sept années de présence à l’Elysée, ne pas être victime d’un désir d’alternance aurait été une prouesse exceptionnelle.
Il aurait fallu, à la fois, que le candidat socialiste soit véritablement « nul », comme l’espérait la droite, et que Nicolas Sarkozy lui-même parvienne à surmonter le discrédit très profond dont il souffre dans l’opinion depuis maintenant quatre ans. Ces handicaps m’ont, depuis des mois, paru insurmontables. Quoi que l’on pense des enquêtes d’intentions de vote, elles ont systématiquement et lourdement donné vainqueur au second tour le candidat socialiste quel qu’il soit. Il eut fallu pour renverser ce rapport de force que Nicolas Sarkozy soit un véritable magicien électoral. Il ne l’est pas.