Près de deux mois après qu’un présumé braqueur ait été brûlé vif au quartier Peyrie dans le 3ème arrondissement de Libreville, le quotidien L’Union, dans sa livraison du week-end des 23 et 24 août dernier, rapportait pour la énième fois, l’histoire d’un autre jeune homme battu à mort. Tous victimes de la justice populaire, phénomène qui, parallèlement à une insécurité persistante, prend de l’ampleur dans la capitale gabonaise.
Légitime défense ou acte condamnable
Ce fait, comme toutes ses formes assimilées à des actes de barbarie, que les auteurs tentent, à tort ou à raison, de mettre sous le compte de la « légitime défense » pour le justifier, est pourtant condamné par le code pénal, précisément aux articles 49, 230, 231, 232 et 233 relatifs aux « coups et blessures volontaires et autres violences et voies de faits commises contre les personnes » et au « complice et de l’instigateur », prévoyant des peines allant de l’emprisonnement à la réclusion.
Aussi, au sortir d’un Conseil des ministres le 12 avril 2007, tout en exprimant « sa vive émotion et son indignation » suite à l’assassinat – qu’il qualifia de « crapuleux » – quatre jours avant, du très jeune Richepin Eyogo Edzang à peine âgé de trois ans, qui avait, par la suite, occasionné la mort de deux autres personnes soupçonnées d’ y être impliquées, le gouvernement avait rappeler « qu’il n’appartient pas aux citoyens, quels qu’ils soient, de se substituer à la loi et aux tribunaux en recourant à des actes de vengeance… ».
Recrudescence ou émergence du phénomène
Cependant, en dépit de ce rappel à l’ordre de l’Exécutif, trois mois après, précisément le 22 juillet 2007, un trentenaire, non clairement identifié, surpris, selon les témoignages rapportés, en flagrant délit de vole de bétail à Nzeng-Ayong au lieu dit « carrefour GP », avait été lynché à mort, alors que son présumé complice, un certain Rodrigue Mouélé, s’en était sortit avec des blessures graves.
Par ailleurs, des cas similaires, qui ne tombent pas toujours sous les projecteurs des médias, sont enregistrés ici et là dans les différents quartiers de Libreville et les mesures ou « techniques » punitives contre le banditisme sont parfois d’une cruauté insoutenable ; repassage au fer chaud, injection de liquide étranger dans les veines, amputation d’une oreille, d’une orteil ou des tendons et maintenant …brûlure sous des vieux pneus de voitures.
Quelles en sont les causes
Comment alors expliquer ce phénomène perçu, par d’aucuns, comme un signe patent « d’une grave dégradation de nos mœurs » ?
« Est-ce que dans ce contexte où l’homme veut maintenant se faire lui-même justice, on n’a pas perdu toute humanité ? » s’interroge madame Rose Ondo, chef de département de sociologie de l’Université Omar Bongo (UOB), pour qui ce phénomène rappelle l’état de nature – décrite par Hobbes – dans laquelle l’homme, avec des agissements monstrueux, devient un loup pour son prochain.
Selon elle, la justice populaire n’est pas un phénomène recrudescent mais plutôt émargeant. Car, affirme-t-elle, dans nos sociétés traditionnelles, il existait une « justice communautaire », représentée par le « conseil des sages ». Il n’y avait donc pas de justice spontanée. C’est plutôt le conseil de sage qui décidait des peines à infliger en privilégiant, souvent, les règlements à l’amiable.
Ainsi, l’émergence inquiétante de cette dérive sociale s’expliquerait par trois faits, estime la sociologue.
D’abord, le dysfonctionnement de l’appareil de l’Etat chargé de veiller à la sécurité des personnes et des biens. En suite, les défaillances de l’institution judiciaire qui poussent les citoyens à ne plus faire confiance à la justice légale. Et, enfin, l’affaiblissement du lien social causé par la précarité grandissante qui pousse les uns à protéger, par tous les moyens, ce qu’ils possèdent déjà, alors les autres, démunis, veulent s’en accaparer, même par la force. Du coup, la solidarité, une des valeurs de référence de la société africaine se meurt car, conclu le Dr. Rose Ondo, les intérêts économiques et matériels deviennent plus pressants que les sentiments d’entente, d’entraide.
Toutefois, pour maître Francis Nkéa Ndzigué, avocat au barreau et enseignant à la Faculté de Droit et des Sciences économiques (FDSE) de l’UOB : « chercher à expliquer la justice populaire, reviendrait à vouloir la justifier or, estime-t-il, elle est, à tout égard, répréhensible. Si la justice légale ou étatique, qui est impersonnelle, a été créée, poursuit-il, c’est pour palier aux manquements de la justice populaire qui, elle, est plutôt personnelle et arbitraire.
Solutions à préconiser
Mais comment alors endiguer le phénomène ?
Pour le professionnel du droit, il faut « se donner une mission pédagogique » en sensibilisant et informant, au travers des conférences-débats, des émissions ou spots radiotélévisés, les populations sur les dangers et les peines encourus avec pareilles pratiques. Ceci, souligne-t-il, dans une optique préventive ainsi, en cas de récidive, on passe à la répréhensive.
Du point de vue de la sociologue, la pédagogie seule ne saurait constituer la solution idoine dans la mesure où il s’observe déjà un paradoxe assez flagrant. En effet, explique-t-elle, dans une société, comme la notre, dans laquelle la religion, qui nous enseigne que « tu ne tueras point, tu ne voleras point », s’est profondément ancrée, on ne devrait pas assister à l’éruption de ces « actes de barbarie ».
De ce fait, suggère Rose Ondo, « le mal doit être combattu à la racine ». Pour ce faire, indique-t-elle, il faut redynamiser et renforcer les appareils sécuritaires et judiciaires de l’Etat.
« Il faut redonner confiance aux populations envers les institutions judiciaires en leur prouvant que la justice n’appartient pas seulement aux riches, augmenter les effectifs des forces de sécurité, que des patrouilles circulent même dans les quartiers sous intégrés… », Préconise-t-elle avant d’ajouter que l’Etat doit montrer à ces mêmes populations qu’il est là et assure ses missions régaliennes, notamment celle de lutter contre la pauvreté.
Pour éviter de vivre les scènes de justice populaire, l’Etat doit aussi, selon madame Ondo, lutter contre la pauvreté en soutenant l’économie informelle qui permet à chacun de subvenir au minimum vital.
Enfin, prévient-elle, « si l’Etat ne fait rien, ce ne sera plus des cas isolés que l’on enregistrera, le phénomène prendra de l’ampleur avec des proportions plus grandes ».
C’est dire que la sonnette d’alarme est lancée.