PAR VINCENT HUGEUX
Voici l’histoire, tout à la fois symptomatique et dérisoire, d’un rendez-vous manqué. Cette fable africaine met en scène un président gabonais aux desseins planétaires, une femme d’appareil à la rancune tenace, un prince de la com’ aguerri mais étonnamment candide et, dans un rôle mineur, l’auteur de ces lignes.
En d’autres circonstances, j’aurais dépeint ici même, du 8 au 10 juin, les coulisses du New York Forum Africa (NYFA), première version continentale de la grand messe imaginée par le franco-marocain Richard Attias, naguère architecte du très helvète World Economic Forum de Davos. Sans doute auriez-vous vu défiler au détour de ce blog et à la tribune d’une Cité de la Démocratie librevilloise dument rénovée, une brochette de chefs d’Etat, quelques Prix Nobel, et la cohorte des « décideurs » africains d’aujourd’hui et de demain. Mais il n’en sera rien. J’apprendrai fortuitement, à J-10, mon éviction du casting de ce rendez-vous inédit.
Flash-back. Le 29 mars, je rencontre à sa demande, dans le patio du Bristol, palace voisin de l’Elysée, le fondateur de l’agence Richard Attias & Associates. Celui qui est, à la ville, l’époux de l’ex-Cecilia Sarkozy décrit avec fougue l’ambition qui l’anime, avant d’indiquer qu’il envisage de me confier l’animation d’un des panels du NYFA, fruit d’un partenariat avec la Fondation dédiée au défunt Omar Bongo Ondimba. Pourquoi pas, lui réponds-je, mais à la condition que mon éventuelle venue ne coûte pas un Franc CFA à l’Etat du Gabon, qu’il s’agisse du billet d’avion ou de l’hébergement sur place. Sans attendre, je lui fais part de mes doutes quant à l’accueil que risque de recevoir une telle initiative au sein de la présidence du pays-hôte : depuis 2005, votre serviteur est de facto interdit de séjour sur le territoire gabonais. Châtiment infligé au lendemain de la parution dans les colonnes de L’Express, en novembre de cette année-là, d’un reportage sur les dessous de l’ultime campagne présidentielle du « doyen » Omar. Récit jugé outrageusement ironique. Pour l’anecdote, on notera au passage que l’une des sources -anonyme comme il se doit- de ce papier n’était autre qu’Ali Bongo, fils et successeur de son père, alors ministre de la Défense, qui avait eu la bienveillance de me narrer longuement la guérilla interne que se livraient au sein du PDG, le Parti démocratique gabonais, les rénovateurs -dont il se voulait la figure de proue- et les gardiens du temple. Certes, je foulerai de nouveau le sol gabonais en juillet 2007, mais à la faveur du voyage initiatique en terre d’Afrique d’un Nicolas Sarkozy fraîchement élu. En revanche, je partagerai deux ans plus tard avec Virginie Herz, une consoeur de France 24, un douteux privilège : nous serons les seuls journalistes bannis de la couverture du scrutin présidentiel consécutif au décès, dans une clinique barcelonaise, de Bongo père. Qu’à cela ne tienne, objecte Attias, bluffé comme tant d’autres par le credo moderniste d’Ali : j’ai les coudées franches.
Certitude réitérée le 3 mai, lors d’une nouvelle conversation au bar du même Cinq-Etoiles parisien. « Sans la moindre démagogie, précise Mr NYFA dans l’entretien qu’il m’accorde alors, je dois reconnaître que le Gabon me garantit une pleine liberté quant au programme de la conférence, à la présence de la presse et à la tonalité des échanges. Gouvernance, corruption : il n’y aura aucun tabou. » Et de me rassurer, au terme de l’interview, sur la levée de l’oukase qui me frappe. « La présidence a été on ne peut plus claire : vous invitez qui bon vous semble. »
Pas tout à fait, à l’évidence… Car depuis, rien. Pas un coup de fil, pas un courriel. C’est une amie qui me confirmera ce que je pressentais: veto maintenu. « Encore trop sensible », lui a avoué un proche collaborateur de Richard Attias. Pourquoi un tel acharnement ? Sans doute parce que, côté Libreville, une certaine Laure Olga Gondjout, l’une des rares rescapées du « système de papa », joue en tant que secrétaire générale de la présidence un rôle éminent dans la conduite du Forum. L’intéressée avait fort mal pris la « Lettre ouverte » que m’avait inspirée, en août 2009, alors qu’elle détenait le maroquin de la Communication, son refus explicite de m’accorder un visa. Missive un rien goguenarde il est vrai.
Au fond, cet épilogue me convient parfaitement. Le NYFA n’a nul besoin de mon hypothétique expertise. Quant à moi, tout porte à croire que je survivrai à cette nouvelle marque d’ostracisme. Les régimes passent. Les journalistes restent ; à condition bien entendu de rester journalistes.