INTERVIEW – François Hollande, auquel on ne connaît pas de politique africaine, reçoit aujourd’hui son homologue gabonais Ali Bongo, dont le père fut un symbole de la Françafrique. Questions à Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris.
Recueilli par PÉKOLA SONNY
Le président gabonais Ali Bongo Ondimba a entamé mercredi soir une brève visite en France où il doit être reçu ce jeudi par le président François Hollande, au grand dam d’opposants gabonais à Paris et d’associations qui réclament la fin de la «Françafrique». Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques, revient sur cette question controversée.
L’inexpérience diplomatique de François Hollande en Afrique ainsi que les nouvelles équipes arrivées aux ministères des Affaires étrangères et du Développement favoriseront-elles la fin de la Françafrique ?
Oui, on peut dire que c’est le projet. Les personnes placées à des responsabilités politiques n’appartiennent pas à d’anciens réseaux. Ce qu’on appelle la Françafrique, avec son ensemble d’émissaires, de conseillers élyséens qui court-circuitaient les discussions, va disparaître. Mais la politique reste une histoire de compromis. Des principes de realpolitik et de géopolitique continueront à s’appliquer dans certains domaines. François Hollande est observé. On se demande, par exemple, s’il assistera à la prochaine conférence sur la francophonie qui aura lieu en République démocratique du Congo (RDC). Recevoir Ali Bongo, dont le père a joué un rôle central dans la Françafrique, avec le financement de partis et les biens mal acquis peut être mal perçu, mais il n’y a pas d’ostracisme à avoir. Il est normal qu’il soit reçu en tant que président de la République, comme le président guinéen, Alpha Condé, ou encore le président nigérien, Mahamadou Issoufou. Par ailleurs, la France a une base militaire au Gabon.
Si François Hollande connaît peu l’Afrique, qu’en est-il de Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères ? Plusieurs membres du Parti socialiste sont connus pour avoir des affinités avec des dirigeants africains…
A ma connaissance, Laurent Fabius n’est pas particulièrement impliqué en Afrique. Je ne pense pas qu’il ait des réseaux d’influence du type de ceux que l’on a connu à l’époque de Foccart [le Monsieur Afrique de De Gaulle, ndlr] ou encore sous la présidence de François Miterrand. Mais il y aura certainement des hommes d’influence, nécessaires pour les dossiers sensibles comme celui des otages au Sahel où l’on passe par des réseaux de diplomatie parallèle.
Le poids des intérêts économiques et des grandes entreprises françaises sur place sera-t-il dépassé ?
La question économique sera évidemment prise en compte. Le jeu des intérêts économiques va avoir une influence, mais aujourd’hui, c’est quelque chose à relativiser. C’est en Afrique du Sud, en Angola ou encore au Nigéria que la France possède aujourd’hui ses engagements économiques les plus importants : ce sont des pays où la France ne bénéficie plus de relations d’influence aussi importantes. Les grandes entreprises comme Bolloré, Bouygues, Total, France Télécom vont évidemment vouloir faire valoir leurs intérêts, mais je ne connais pas de relations étroites entre ces grands groupes et les hommes d’Hollande.
Il va y avoir une vraie rupture sur le financement des partis. Le jeu avec l’Afrique est par ailleurs ouvert, il s’agit d’un continent qui a des relations croissantes avec d’autres pays comme la Chine, l’Inde. On entre je pense dans une ère de normalisation. Il ne faut plus fantasmer sur le poids de la présence française en Afrique. Si Nicolas Sarkozy a pu soutenir l’élection d’Ali Bongo, je ne pense pas que que François Hollande s’impliquera de la même manière d’autant plus qu’il n’a pas d’engouement particulier pour l’Afrique.