La gabonaise Myriam Mihindou participe actuellement à l’exposition «Les Maîtres du désordre» qui se tient au musée du quai Branly à Paris jusqu’au 29 juillet. Elle était au Gabon lors des obsèques de son père en juin dernier. Rencontre avec une philosophe des arts plastiques.
Récemment passée au Gabon à l’occasion des obsèques de son père, Valentin Mihindou-Mi-Nzamba, ancien ministre de la Culture et des Arts décédé à la mi-juin dernier, l’artiste Myriam Mihindou participe à l’exposition «Les Maîtres du désordre» qui se tient au musée du quai Branly (Paris-France) jusqu’au 29 juillet 2012. Elle y expose une série d’images dénommée «Déchoucaj’», tout en négatif photochromique noir et blanc, qui bouscule le spectateur au point qu’il se demande s’il s’agit d’une cérémonie vaudou ou d’un voyage dans l’au-delà.
Expliquant sa contribution à cette exposition au musée du quai Branly, Myriam Mihindou indique : «J’y présente une série de photographies que j’ai produit en Haïti de 2004 à 2006. «Les Maîtres du désordre» est une exposition qui présente les traditions chamaniques du monde et les expériences artistiques qui sont leur traduction. Je dirais que je suis bien représentée dans ce musée qui expose actuellement ces photos avec les œuvres d’autres artistes contemporains, des accessoires des chamanes du monde entier, ainsi que des textes très poussés des expériences de différents chamanes. C’est une grosse exposition qui va voyager. Elle va aller à Madrid, à Bonn, aux États-Unis, etc.»
Une artiste bien à part
Myriam Mihindou se défini comme «une artiste, photographe, vidéaste, sculpteur, mais je dirais plutôt que je suis une artiste internationale parce que j’ai parcouru pas mal de territoires.» Elle est en effet une véritable citoyenne du monde, tant elle est toujours prête à partir. Partir vers d’autres horizons, aussi bien au figuré qu’au sens propre. France, Île de la Réunion, Egypte, Soudan, Maroc, etc. Ce qui a forgé sa sensibilité : «J’ai une vision du monde en kaléidoscope. Ce qui me semble assez juste par rapport à notre culture gabonaise qui elle-même est une culture kaléidoscopique.»
Plasticienne de sensibilité Punu, du moins par son père qui fut ministre de la Culture et des Arts, Myriam Mihindou est née en 1964 à Libreville, a passé son enfance au Gabon avant de s’inscrire à l’Ecole des Beaux-arts de Bordeaux (France). Elle se souvient qu’à 5 ou 6 ans «assister à la sortie des masques à Moabi, dans le village de mon père, me fascinait et me faisait peur en même temps. C’était ma première expérience de l’étrangeté.» A la même époque, elle-même passait par le dessin lorsqu’elle avait quelque chose à dire à ses parents. Si elle ne dessine presque plus aujourd’hui, elle a en tous cas créé un art vraiment particulier qui mêle poésie, sculpture, magie, photographie et vidéo.
Elle explique aisément cette multidisciplinarité : «Ce sont plusieurs disciplines mais je crois être un vecteur, en quelque sorte. Je produis des œuvres qu’on pourrait dire rapportées. Je suis un peu comme le masque qui danse. Je vis des expériences humaines, diverses et variées. Je donne une forme à ce que les gens me donnent, en fonction de l’échange que j’ai dans ma relation avec les autres. Même s’il y a une part d’intimité, une part de réflexion personnelle, une part de mémoire, je demeure quand même, malgré tout, dans une mémoire collective. C’est ce que je peux dire par rapport à mon travail.»
Relations artistiques avec le pays
De ce travail qui relève de la performance, naissent des photos et des vidéos que leur auteur a qualifiées, il y a quelques années, de sculptures de chair. Elles ont été présentées, en mars 2007 à l’ancien Centre culturel français de Libreville, aujourd’hui Institut français du Gabon, en préambule à un atelier intitulé «Gabon, Mémoire et Intimité» qu’elle y avait animé au bénéfice des photographes gabonais.
Lors de cette exposition, on voyait en effet que Myriam Mihindou sculptait sa propre chair, son propre corps. Elle y plantait des aiguilles, l’entourait de garrots. Elle s’en explique : «Il y a des artistes qui produisent des travaux très conceptuels. Il y a des artistes, comme moi, qui s’intéressent à la mémoire du corps et à la question de la transe. Donc, pour pouvoir atteindre un certain seuil de représentation, il faut aussi mettre le corps en situation. Et finalement, le corps est un élément avec lequel on aura une certaine distance, un élément qu’on va interroger. En art contemporain cela s’appelle aussi le Body Art. Je ne l’appelle ainsi parce que je suis Gabonaise et que j’ai une relation différente au corps. J’ai mes superstition, mes croyances, mon histoire culturelle. Donc, en tant qu’artiste contemporaine, je vais développer d’autres formes de représentations pour parler de la mémoire du corps.»
L’artiste nourrit actuellement un nouveau projet axé sur le Gabon : «Cela fait huit mois que je travaille sur un projet de recherche. Je ne sais pas si ce projet se fera, mais je voudrais pouvoir réaliser un film de 15 mn qui traiterait de la relation entre le Mvett et le Slam. Même si je suis Punu, la culture Fang me parle, elle m’intéresse beaucoup.»
Dans le landerneau artistique local, nombreux se demandent quand donc cette (re)belle nomade se sédentarisera-t-elle au Gabon pour enseigner sa magie aux jeunes plasticiens du pays qui gagneraient à comprendre qu’il y a encore des voies et des moyens inexplorés. Myriam Mihindou a une réponse : «Je ne demande que ça. Si j’avais la possibilité de reprendre une école d’Art, je le ferais ; j’ai tout à fait l’expérience pour le faire maintenant. Je pense que, même dans mon travail en tant qu’artiste j’ai assez donné. J’ai fait pas mal d’expo internationales, j’ai maintenant une expérience et des relations qui peuvent me permettre de monter une structure. Donc si j’en ai la possibilité, ce serait avec plaisir parce que j’aime enseigner, j’enseigne déjà en France où je donne des cours dans les classes préparatoires d’écoles de haut niveau. Bien sûr, je me pose des questions. J’aimerais beaucoup venir au Gabon, me poser, enseigner… ce sont des perspectives que je voudrais pouvoir atteindre.» Avis au ministère gabonais de la Culture et aux mécènes qui aiment le Gabon.