Quatre ONG gabonaises ont rencontré, le 22 août à Libreville, un représentant de la mission diplomatique américaine au Gabon, en vue de lui faire leur lecture de la situation sociopolitique du Gabon et solliciter l’intervention de la puissance diplomatique des USA pour l’apaisement de la tension actuelle dans le pays.
Les ONG gabonaises que sont Afrique Horizons, l’Observatoire national de la démocratie (OND), Publiez ce que Vous Payez, le Réseau des organisations libres de la société civile pour la bonne gouvernance au Gabon (ROLBG), ont convié à une réunion, le mercredi 22 août 2012 à Libreville, l’ambassade des États-Unis au Gabon. La mission diplomatique était représentée par son conseiller politique, Mme Jenny Bah. La présence d’un représentant de la diaspora gabonaise prenant part aux travaux en tant qu’observateur, a également été notée.
Les échanges ont notamment porté sur «un rapide état des lieux concernant les crises sociales, économiques et politiques que connaît le Gabon, (…) les répressions de Cocotiers et Nkembo (et) le rôle que pourraient jouer les États-Unis dans la sortie de crise», note-t-on dans le compte-rendu de la rencontre, parvenu à la rédaction de Gabonreview. Traitant des causes profondes de la crise, les protagonistes sont remonté et ont analysé la «période allant de 1990 à aujourd’hui». Mais, ils se sont appesantis sur les trois dernières années et ont dressé un bilan, jugé «catastrophique», à mi-parcours du mandat d’Ali Bongo.
Les années Ali Bongo et les 13 propositions des ONG
Ces leaders associatifs inscrivent au passif de ce bilan, un chapelet de griefs. Notamment, la «monarchisation accrue du régime grâce à des réformes constitutionnelles douteuses n’ayant pour seuls vrais buts que d’accroître encore plus le pouvoir entre les mains présidentiels, la mise en place d’agences ne rendant de compte qu’au seul chef de l’État, dépouillant les principaux ministères de l’essentiel de leur mission et composées à plus de 84% d’étrangers» ; une «gouvernance déplorable : dépenses de sommes folles sans contrôle du Parlement, dépenses somptuaires et stériles (acquisition pour plus de 65 milliards F CFA de l’Hôtel particulier à Paris, forum économique international ou encore course nautique ayant coûté de nombreux milliards aux Gabonais pour un bénéfice quasi nul)» ; des «crises sociales aiguës (les déguerpis, les étudiants, les syndicats, etc.) auxquelles on apporte des réponses reposant essentiellement sur la violence économique et surtout physique» ; la «militarisation du pays : présence massive et fréquente de gendarmes et autres corps armés suggérant que le Gabon est bien moins en paix que ne le martèle le pouvoir» ; la «tentative de division des populations par l’invention, la promotion et le développement d’un problème de tribalisme qui ne correspond nullement à l’histoire récente du Gabon.»
Les leaders de la société civile gabonaise rappellent à ce propos qu’ils avaient élaboré, en décembre 2011, un plaidoyer en 13 points contenus dans un mémorandum transmis aux principales institutions politiques, administratives et religieuses ainsi qu’aux organisations politiques du pouvoir, comme de l’opposition. Ils indiquent que sur cette base ils ont pu travailler avec des partis politiques gabonais de divers bords, que «le PDG, parti au pouvoir, (avait) rejeté l’ensemble des 13 points» et qu’ils se sont retrouvés de ce fait impliqués, du 30 juin au 3 juillet dernier, à la rencontre dite de Paris visant à trouver des solutions pour sortir le Gabon de ce qu’ils pensent être un crise de trois ans.
Les leaders associatifs gabonais ont donc présenté, à la diplomate américaine, la feuille de route issue de cette rencontre de Paris entre les représentants des partis politiques de l’opposition, les membres de la société civile et la diaspora gabonaise de France. Cette feuille de route conclue que l’organisation d’une «conférence nationale souveraine, entre autres mécanismes, constitue le meilleur compromis pour une sortie de crise dans les meilleures conditions.»
Appel à l’intercession des États-Unis
Il a donc été proposé aux USA, par l’entremise de Mme Jenny Bah, conseiller politique à l’ambassade des USA Gabon, de «convaincre le pouvoir gabonais à sortir de sa logique de réponse par la seule force et de commencer enfin à discuter avec toutes les parties prenantes à la crise actuelle». Les leaders d’ONG ont demandé aux États-Unis «de jouer un rôle de facilitateur et notamment de soutenir l’idée de conférence nationale souveraine» ; de «convaincre le régime actuel de se garder de mettre à exécution son projet malheureux, potentiellement et inutilement dangereux d’arrêter certains leaders de l’opposition» ; de «convaincre les dirigeants gabonais d’assurer leur sécurité, plusieurs responsables de cette société civile faisant l’objet de menaces de plus en plus précises quant à leur intégrité physique». La société civile a également demandé aux USA «d’encourager vivement les dirigeants gabonais à libérer les personnes emprisonnées suite aux différents mouvements politiques et sociaux, y compris ceux relatifs aux événements de Cocotiers et Nkembo, afin de faire baisser sensiblement la tension sociopolitique actuelle»
Le très controversé directeur de cabinet du chef de l’État gabonais, n’a pas été oublié par la société civile gabonaise qui a abordé «le cas de la communauté béninoise du Gabon. Elle craint de plus en plus de pâtir dans son ensemble, y compris par des violences physiques et matérielles, de la détestation profonde dont fait preuve de la part d’une large part des Gabonais le sulfureux Maixent Accrombessi : sa mise à l’écart du pouvoir contribuerait grandement à faire baisser la tension, y compris pour la communauté béninoise du Gabon.» Et de rappeler que «lors de l’audience accordée à Ali Bongo Ondimba, Barack Obama a particulièrement insisté sur les questions de justice, de droits de l’Homme et de la corruption. Or, sur tous ces points, la situation s’est encore plus dégradée après la rencontre avec Barack Obama.»
En réponse de quoi, la conseillère politique de l’ambassade des États-Unis au Gabon, a poliment indiqué «qu’elle ne manquera pas de remonter afin que son gouvernement puisse apprécier au mieux la situation». Mais aussi que «nombre des points présentés par la société civile correspondent à des points jugés prioritaires par l’administration américaine. Aussi les autorités américaines ont réaffirmé leur soutien à la Société Civile, à la promotion de la Démocratie et au respect des Droits de l’Homme.»
La diplomate américaine n’a pas manqué d’interroger sur le positionnement sociopolitique des ONG gabonaises qu’elle a rencontrées. «Ça a été l’occasion pour la société civile de préciser, d’une part, qu’elle se borne pour l’essentiel à appeler le peuple à revendiquer et défendre ses droits et, d’autre part, qu’elle ne lance nullement un appel à la violence mais un appel à résister à la violence du pouvoir actuel», note-t-on en guise de justification dans le compte-rendu de la rencontre.