Ainsi donc Barack Obama a été réélu à la tête de l’Etat le plus puissant du monde. C’était très tôt mercredi dernier après une campagne électorale qui avait eu le don d’entretenir le suspense jusqu’au bout ; le principal challenger du président sortant, le républicain et ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney n’étant pas un dernier né de la vie politique américaine. Mais la logique veut que le président américain sortant soit réélu ; et elle a été respectée. Quatre ans de plus donc pour ce fils d’un Kényan noir et d’une blanche du Kansas, de source irlandaise dont l’histoire retiendra qu’il fut le tout premier Afro-Américain à accéder à la présidence des Etats-Unis.
Comme le veut la tradition en pareille circonstance les messages ont donc fusé de partout, pour féliciter ce « président intelligent » ; cet homme aux « qualités exceptionnelles » ; ce « fils d’Africain qui fait la fierté des noirs », enfin c’est selon. Des messages venus d’Europe, d’Asie, d’Amérique, et d’Afrique bien sûr.
L’Afrique où on a d’ailleurs vu une vraie explosion de joie traverser tout le continent. Et on a encore vu quelques individus, angoissés devant leurs postes téléviseurs, se libérer à l’annonce du résultat en s’écriant : « yes we can », emportés qu’ils étaient par l’émotion et oubliant sur le coup que l’équipe de campagne du Président Obama avait troqué ce beau slogan de 2008 par un « forward » qui, il est vrai, n’a pas connu la même portée.
Mais peu importe le slogan. Le plus important ici, on l’a compris à Libreville, Yaoundé, Brazzaville, Kinshasa, Abidjan, Lomé ou Nairobi était cette victoire d’un homme, d’un noir surtout; victoire vécue aussi comme une revanche sur les élucubrations électorales africaines. Car plus de 200 millions de citoyens américains étaient appelés aux urnes le 6 novembre et le lendemain à 5h30 – heure de Libreville – le nom du nouveau président était déjà sur toutes les lèvres. Ce qui est d’ailleurs devenu une formalité là-bas, comme en France d’ailleurs quelques mois plus tôt et dans d’autres pays dits de grande démocratie qui sont talonnés par quelques exemples sporadiques à travers le monde. Dans ces pays les résultats encore tout chauds sont souvent accompagnés d’une vague de félicitations du perdant ; un élan qu’on a vu même au Venezuela avec la dernière victoire de Hugo Chavez. Lors de son discours à ces partisans juste après sa défaite, Mitt Romney a dit « prier Dieu pour accompagner le Président Obama pendant ses quatre prochaines années à la tête du pays ».
Mais revenons chez nous pour constater que l’Afrique noire reste malheureusement, à quelques exceptions près, l’anti-thèse de ces évolutions politiques. Quand des centaines de millions d’électeurs sont appelés aux urnes ailleurs, ici la petite poignée concernée par l’événement est encore enroulée dans des questions de fichier électoral. Quand là-bas les résultats sont connus dès la soirée de l’élection, ici la CENI, la CENAP, ELECAM ou la CONEL vous annoncent qu’ « ils ne seront pas connus avant une semaine », parfois plus – l’élégance nominale n’étant pas souvent en phase avec l’efficacité électorale. Et quand ailleurs les félicitations du perdant arrivent dans le discours immédiat après l’annonce des résultats, ici c’est l’ouverture d’un nouveau processus électoral : car on se réveille parfois le lendemain avec en quelques sorte deux, voire trois présidents de la République autoproclamés sur les 7, 14, 18 ou 23 candidats en compétition. De quoi se perdre.
La suite elle est bien connue : le président sortant qui retrouve son fauteuil ; et l’opposition qui annonce qu’elle ne reconnaît pas la victoire du camp adverse. Parce que aussi l’acte de félicitation est souvent perçu sous nos cieux comme une manœuvre intelligente de rapprochement d’avec le nouveau ou l’ancien nouveau pouvoir. Se battre jusqu’au bout est donc la démonstration d’un radicalisme sans faille, souvent bien perçu par les supporters d’un candidat déclaré malheureux – à tort ou à raison.
Les élections en Afrique subsaharienne sont donc devenues objets à contentieux dans une large majorité de situations. Les cas du Togo, de la Cote d’Ivoire, de la Guinée Conakry, du Burkina Faso, du Cameroun, du Gabon, ou des deux Congo – pour ne citer que ceux-là. Les élections, en tant que moyen d’expression de la démocratie, mettent la question du contentieux électoral au cœur du débat en Afrique où, cinquante ans après les indépendances, les acteurs ont du mal à accepter le résultat sorti des urnes en même tant que l’organisation des scrutins est sujette à caution. Mais s’il est évident que la contestation fait partie du jeu démocratique, en Afrique subsaharienne elle est devenue une arme fatale conduisant systématiquement à des conflits post-électoraux qui confisquent définitivement la paix dans certains pays.
Depuis les années 90 nos acteurs politiques parlent de « jeune démocratie » pour qualifier nos pays et expliquer de nombreux errements ; et parlent des Etats-Unis, de la France ou de nombreux autres pays occidentaux comme des « exemples de démocratie ». Sauf qu’un exemple c’est fait pour être suivi, et non pas seulement pour être cité à longueur d’années !