Le Gabon entrave le développement de sa société civile et se classe 19e sur 23 pays dans l’indice 2011 de pérénisation des ONG en Afrique publié par l’Usaid, l’agence américaine pour l’aide au développement et l’humanitaire. L’étude examine la société civile de chaque pays étudié sur huit aspects. Occasion pour Marc Ona, Nicaise Moulombi ou Dieudonné Milama, mais aussi pour le pays de découvrir leur évaluation par les USA.
Indépendante du gouvernement des États-Unis et chargée de l’assistance économique et humanitaire dans le monde, l’Agence états-unienne pour le développement international (United States Agency for International Development ou USAID) a publié, le 10 décembre dernier, son indice de pérennisation des ONG d’Afrique sub-saharienne pour l’année 2011. 3e du genre, le document, qui préfère l’expression «Organisations de la société civile (OSC)» à celui d’ONG, évalue à ce sujet 23 pays africains sur huit critères de durabilité. Depuis 2009, le Gabon, ainsi que l’a indiqué Marc Ona Essangui qui a révélé ce rapport, «le Gabon fait partie des pays qui sont évalués dans cet exercice sans complaisance.»
Bulletin de notes et rang pays
Dans chacun des critères retenus (Pérennisation des OSC, Contexte juridique, Capacité organisationnelle, Viabilisation financière, Plaidoyer, Fourniture de services, Infrastructure et Image publique), le Gabon engrange des points situés entre 5.0 et 7.0, sur une échelle allant de 1.0 à 7.0, induisant que plus il y a de points, moins la situation est bonne. Des scores qui classent le Gabon dans la tranche «Pérennisation entravée» pour ses ONG. Ce qui n’est pas du tout reluisant, les autres tranches étant, du moins bon au meilleur, «Pérennisation en progression» et «Pérennisation renforcée».
Sous l’intitulé «Meilleure pérennisation», le rapport établi un classement général des pays. Le Gabon y occupe la 19e place sur 22, juste après le Burundi (18e) et avant la Guinée (20e). Le haut du classement est occupé par l’Afrique du Sud (1er) et le Kenya (2e). Le Sénégal et le Ghana sont 5e ex-æquo. Le Rwanda se classe 9e, la RDC 16e tandis que les derniers pays ex-æquo (22e) sont la Gambie et l’Angola. Trois rangs seulement séparent donc le Gabon de la queue du peloton.
Contexte juridique et viabilité financière
Analysant le contexte juridique, l’USAID indique qu’au Gabon, «le cadre réglementaire et juridique régissant les activités des OSC, la Loi 35/62 du 10 décembre 1962, ne s’est pas améliorée en 2011». Estimant que la loi actuellement en vigueur n’est plus adaptée aux OSC gabonaises et au rôle qu’elles jouent désormais dans la société, le rapport indique, à titre d’exemple, que «les directives juridiques portant sur la gestion interne, le cadre des activités autorisées et la dissolution des OSC sont toutes ambigües, ce qui donne aux autorités une marge pour manipuler arbitrairement les OSC et ne laisse guère à ces dernières de voies de recours contre le harcèlement, à part la saisie directe du Conseil d’État».
«S’il y a une menace qui pèse sur les OSC gabonaises comme une épée de Damoclès, c’est bien la viabilité financière. Depuis 2010, il n’y a eu en effet aucune amélioration concernant la disponibilité des fonds, surtout au niveau local. La situation sociopolitique tendue autour des élections a poussé plusieurs donateurs à s’abstenir de lancer des opportunités de financement en faveur des OSC», renseigne l’étude de l’Usaid dans la rubrique viabilité financière.
Image publique, pérennisation de la société civile et clivage en son sein
L’image publique analysée par l’Usaid s’apparente à la réputation, l’accès aux médias et la répartition du temps d’antenne, souvent réclamés par l’opposition gabonaise. Au sujet du Gabon, on note dans cet indice 2011 de pérennisation des ONG d’Afrique sub-saharienne que «La couverture médiatique des OSC a été marquée en 2011 par l’absence d’impartialité par le climat politique tendu. Les médias publics s’en sont tenus de près à la position du gouvernement et n’ont pas couvert les activités des OSC qui critiquent les pouvoirs publics. En revanche, les médias privés, en particulier ceux qui soutiennent les partis d’opposition, ont couvert positivement les activités des OSC anti-gouvernementales et évité de couvrir celles des OSC pro-gouvernementales. Cependant, certains médias privés sont proches du gouvernement. Les OSC doivent généralement payer pour obtenir une couverture médiatique visible et positive de leurs activités».
Mais le sujet central de ce rapport reste la durabilité, appelée ici pérennisation, des ONG. Sur ce point, l’Usaid note que la situation au Gabon a stagné en 2011, année mouvementée avec le débat sur la biométrie lors des élections législatives. Le rapport note à cet effet que «les OSC ont également dû faire face à une situation politique tendue à cause des élections législatives tenues en 2011. Lorsque le gouvernement a refusé de mettre en œuvre un système d’identification biométrique pour les électeurs, l’opposition a boycotté les élections et un collectif d’OSC a dirigé un mouvement dénommé «Ça suffit comme ça» pour réclamer des élections transparentes. Dans le cadre de ce mouvement, les acteurs de la société civile ont adopté, pour la première fois, une position claire sur le débat politique au Gabon et le collectif a soumis une liste de treize demandes pour des élections transparentes. Mais relativement peu d’OSC ont toutefois participé à ce mouvement et beaucoup d’autres ont gardé le silence par crainte des autorités publiques, de la pression et de l’intimidation.»
L’étude aborde également le débat sur l’intervention en terrain politique des ONG ainsi que la scission qui s’est opérée entre elles de ce fait. «Si les OSC ne sont en théorie liées à aucun parti politique particulier, elles le font souvent pour promouvoir certaines causes. Les OSC pro-gouvernementales sont créées par quelqu’un au pouvoir ou quelqu’un cherchant un protecteur au pouvoir. Elles bénéficient généralement de certaines faveurs des autorités publiques, tandis que celles qui sont plus critiques à l’égard du gouvernement reçoivent des menaces de dissolution ou des menaces personnelles à l’encontre de leurs directeurs.»
«Les divisions se sont accentuées en 2011 entre les OSC pro-gouvernementales et les OSC indépendantes. Le conflit croissant entre ces deux groupes a entravé l’émergence d’une société civile forte et indépendante. Les pouvoirs publics sont devenus de plus en plus hostiles à l’égard des OSC, en particulier celles qui remettent en question les politiques gouvernementales. Les OSC n’ont été tolérées que lorsque la communauté internationale conditionnait leur aide à leur participation aux programmes», ce qui explique sans doute pourquoi, parce qu’elles dérangent le pouvoir, il est publiquement demandé à certaines OSC de se muer en partis politiques, mais aussi pourquoi, dans un pays où le principal parti d’opposition a été dissous et où le ministre de l’Intérieur a brandi la menace de dissolution à une coalition de l’opposition, pourquoi ces ONG perdurent.