Pour «diffamation par voie de presse», le journal La Loupe a été traduit en justice par le directeur général du Budget, Yves Fernand Manfoumbi, défendu par Me Jean-Paul Moumbembé. A l’issue du procès tenu le 25 février 2013, l’auteur de l’article risque 15 jours de prison et 50 millions d’amende. Son texte s’intitulait «Enrichissement ostentatoire, Manfoumbi est-il un petit ou grand voleur ?».
Photo officielle du directeur général du Budget, Yves Fernand Manfoumbi, réclamant 15 jours de prison pour un journaliste de « La Loupe »
Le 4 janvier dernier, à l’occasion de la présentation des vœux de nouvel an de la presse au président de la République, celui-ci avait appelé les journalistes à plus de professionnalisme dans le traitement de l’information mais avait surtout souligné sa volonté de dépénaliser les délits de presse et indiqué, parlant de lui-même à la troisième personne, «Aujourd’hui a contrario, Ali Bongo Ondimba ne menace aucun journaliste, Ali Bongo Ondimba n’a jamais mis aucun journaliste en prison je ne pratique pas ces méthodes, elles sont d’un autre temps». Toutes choses qui semblent ne pas tenir d’indicateur pour certaines personnalités gabonaises. Notamment dans le procès entre le journal La Loupe et le directeur général du Budget qui tient à la réparation de ce qu’il qualifie de «diffamation par voie de presse».
Le 27 mars 2012 dans son numéro 73, le journal avait écrit : «du côté d’Okala, on ne parle que de ces constructions qui poussent comme des petits pains. De l’intérieur, on se croirait aux États-Unis, tant le luxe architectural cadre parfaitement avec les villas hollywoodiennes. Mais comment certains gabonais font-ils pour trouver autant d’argent ? Le président de la République parle de partage, mais que va-t-on partager ? Le reste, ou va-t-il demander aux milliardaires de rétrocéder une partie de leurs biens à l’État ? Peu importe l’angle de traitement, le cas Manfoumbi est une insulte à la misère de 99% de Gabonais. Au nom de notre devoir de vivre ensemble, et de la nécessité pour les dépositaires de l’autorité de l’Etat d’être des exemples, nous allons conter Manfoumbi et sa puissance financière».
Cet extrait d’article a fâché le directeur général du Budget, Yves Fernand Manfoumbi, qui a porté plainte. Partant du principe selon lequel «qui se sent morveux se mouche», l’auteur de l’article, Dimitri Louba, dit avoir lancé un appât auquel le directeur général du Budget a mordu, vu que le nom Manfoumbi n’est pas exceptionnel au Gabon et que les prénoms et fonctions du Manfoumbi dont il était question n’ont pas été indiqués dans l’article. Selon le site d’information Gabon actu.com, «La Loupe dit se fonder sur des affirmations des riverains des nouvelles villas. Le journal a simplement parlé, comme ses sources, d’un Manfoumbi, un nom commun à des milliers de Gabonais».
Toujours est-il que le procureur de la République a requis, le lundi 25 février 2013 au tribunal de Libreville, 15 jours de prison ferme contre Dimitri Louba, tandis que l’avocat d’Yves Fernand Manfoumbi, Me Jean Paul Moumbembé, a réclamé 50 millions de francs CFA de dommages et intérêts pour son client. La délibération de la justice est attendue le 13 mars prochain.
Cette annonce de sentence survient dans un contexte où les officiels gabonais se réjouissent de ce que le pays a gagné 12 places dans le dernier classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) et qu’une délégation de cette organisation de défense de la liberté de la presse et de la protection des sources des journalistes vient de séjourner au Gabon. Elle avait d’ailleurs noté la subsistance de quelques points noirs : «caractère excessif des sanctions qui rendent les journalistes et les médias vulnérables face aux autorités, mépris des journalistes, entraves à l’accès à l’information, persistance d’une autocensure sur certains sujets.»
Alors que le président Ali Bongo Ali Bongo a invité à RSF à formuler des recommandations pour l’amélioration de la liberté de la presse, l’organisation a indiqué, en attendant, qu’«il est urgent de supprimer des délits de presse à la définition nébuleuse, d’introduire de la clarté dans l’application des délits tels que la diffamation et l’injure […] et de supprimer les peines de prison pour les délits commis par les acteurs de l’information dans l’exercice de leurs fonctions».
Fait paradoxal, ce même 25 février, la direction de La Loupe a reçu de Guy Bertrand Mapangou, président du Conseil national de la communication (CNC, organe de régulation) une lettre de félicitations pour son professionnalisme. Si le Gabon est applaudi pour ne compter aucun journaliste en prison depuis l’accession au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, doit-on penser qu’avec ce procès, Dimitri Louba va devenir le premier de la liste ? L’opinion nationale et internationale seront fixés le 13 mars prochain, date du verdict.