Les enseignants-chercheurs du Gabon observent un mouvement de grève depuis le 2 février 2013. Ces derniers réclament l’application d’une promesse du Chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba du 16 août 2011, réaffirmée le 31 décembre de la même année, et renouvelée les 27 avril et 31 décembre 2012. La directive présidentielle enjoignait le gouvernement à prendre des actes en vue d’une revalorisation du statut professionnel des enseignants-chercheurs de rang magistral et des médecins spécialistes, afin de répondre aux défis d’excellence de formation universitaire et de recherche scientifique. Après deux ans de vaine attente les enseignants sont donc rentrés en grève, prouvant que leur patience aussi a des limites. Un mouvement mené par les deux principaux syndicats de l’enseignement supérieur : le SNEC (Syndicat National des Enseignants-chercheurs du Gabon) et la FRAPES (Force de Réflexion et d’Action Pour l’Enseignement Supérieur). Sauf que les lignes entre les deux syndicats se sont distendues progressivement : alors que le premier tient à durcir le ton, le second évolue vers la reprise des cours.
GABONEWS (GN): Bonjour M. Tom Frédéric Mambenga
Tom Frédéric Mambenga (TFM) : Bonjour M. Leckobat
GN : La grève persiste dans l’enseignement supérieur depuis deux mois déjà. Jeudi dernier vous avez tenu un point de presse avec vos compagnons de la FRAPES. Que peut-on retenir de cette sortie médiatique ?
TFM : Nous avons tenu un point de presse jeudi effectivement pour donner suite au mouvement de grève que nous observons depuis le 2 février 2013. Il s’agissait notamment de faire le point sur les négociations que nous avons commencées au sein de la commission mise en place par le gouvernement le 6 février, soit quelques jours après notre entrée en grève. Cela était important car il s’agissait d’examiner l’évolution des négociations avec le gouvernement, et mesurer la portée de la déclaration du Ministre de l’enseignement supérieur devant les députés. En clair il était question de voir si on devait continuer la grève ou la suspendre en tenant compte de tous ces éléments.
GN : Quelle a donc été la décision de votre syndicat à l’analyse de tous ces éléments ?
TFM : Notre analyse est la suivante : nous sommes entrés en grève pour une raison bien précise : l’application de la mesure du Chef de l’Etat du 16 août 2011 visant la revalorisation du traitement salarial des enseignants de rang magistral. C’est-à-dire des enseignants reconnus comme professeurs titulaires ou maîtres de conférences.
Je rappelle qu’au Gabon il y a au total 1091 enseignants-chercheurs : environ 900 enseignants-chercheurs, et un peu moins de 200 chercheurs tout court. Ces derniers n’ont pas l’obligation de dispenser les cours ; ils font de la recherche, même s’ils peuvent donner cours dans les universités à titre de vacataires. En revanche, un enseignant-chercheur est quelqu’un qui dispense les cours et qui est jugé pour ce travail, mais qui est aussi évalué en fonction de ses recherches. Dans ce lot de 1091 enseignants-chercheurs et chercheurs il y a seulement 59 qui ont le grade de maître de conférence ou de professeur titulaire. Seuls ces derniers ont la possibilité de diriger des cours de doctorat ou de diriger des masters. C’est très peu.
Pour nous, la mesure du Chef de l’Etat était adressée à cette catégorie réduite d’enseignants dans l’objectif de créer l’émulation et tirer d’autres catégories vers le haut. C’est-à-dire les maîtres-assistants et les assistants. Le tout pour qu’il y ait plus de professeurs titulaires et de maîtres de conférence pour encadrer ces niveaux de formation universitaire.
GN : Si on suit votre raisonnement, la mesure du Chef de l’Etat ne concerne que les 59 enseignants que vous évoquez ?
TFM : Effectivement. A notre entendement la mesure du Chef de l’Etat ne concerne que cette catégorie, à laquelle s’ajoutent les médecins spécialistes qui nécessitent une formation spécifique et où le Gabon présente également un gros déficit. La FRAPES considère que c’est une mesure salutaire et opportune. Nous encourageons les autorités pour qu’elle soit effective, car elle représente un enjeu pour le développement de nos centres de recherche. Elle a peut-être à première vue un caractère restrictif, mais en fait elle s’adresse à tout le monde. Car les assistants et les maîtres-assistants peuvent, par le travail et la recherche, accéder au grade de professeurs titulaires et bénéficier de la mesure. De ce point de vue c’est même une mesure incitative.
GN : A ce niveau de compréhension êtes-vous en harmonie avec vos collègues du SNEC ?
TFM : Pas du tout car le SNEC estime que la mesure du Chef de l’Etat est discriminatoire et qu’elle ne prend en compte qu’une poignée d’enseignants. Ce qui les a amenés à mener un certain nombre d’actions qui ont conduit le gouvernement à dévoyer la mesure initiale en voulant l’étendre à l’ensemble des enseignants. Une promesse leur a par la suite été faite avec une simulation des montants financiers. Voilà qui a débouché sur la grève avec la demande de l’application de cette mesure étendue à tous.
GN : Quelle est votre position là-dessus ?
TFM : L’application de la mesure vue sous l’angle du SNEC fait passer la masse salariale de 11 à 31 milliards FCFA. Soit une augmentation de l’ordre de 18 milliards FCFA sur le paiement actuel des salaires des enseignants. Ce qui est colossal. C’est pourquoi un certain nombre de mécanismes ont été mis en place pour satisfaire les enseignants avec l’application stricto sensu de la mesure initiale, puis la mise en place d’un dispositif transitoire pour le reste des enseignants. C’est cela qui est en discussion aujourd’hui.
Ensuite, nous pensons que les grandes négociations sur la réforme de la grille salariale de tous les fonctionnaires à venir sont importantes. Nous devons en tenir compte puisqu’il s’agit d’une demande exprimée par les centrales syndicales et que le gouvernement a reporté en 2014, en promettant de nous insérer dans cet aspect global en tenant compte de la spécificité de notre corps pour que le statut particulier qui sera mis en place trouve aussi des continuations avec une nouvelle grille qui améliorerait notre condition salariale.
GN : Et donc la grève se poursuit ou pas pour la Frapes ?
TFM : Pas du tout. Nous estimons que les principes globaux sont acquis. Nous ne sortons pas des négociations avec du vent, mais plutôt avec la fermeté qu’il y aura une révision du statut particulier de l’enseignant-chercheur d’ici à 2014. C’est une conséquence visible des négociations que nous avons eues.
GN : N’est-ce pas là une nouvelle promesse qui risque de ramener les enseignants sur le terrain de la grève en 2014 ?
TFM : Je ne considère pas le syndicalisme comme une action fixe ; c’est-à-dire on pose une réclamation et on a un gain à 100% et dans l’immédiat. Le syndicalisme c’est aussi comprendre qu’il y a la politique des petits pas. Si vous avez devant vous un gouvernement qui dit qu’il ne fera rien vous faites quoi, vous vous suicidez ? Pourquoi on négocie, pourquoi on fait des concessions ? Il y a un rendez-vous ferme : 2014. Et nous veillerons à ce que nous ayons quelque chose au terme de ce rendez-vous. C’est une question de confiance même si le politique a souvent tendance à ne pas respecter certains engagements. On dira peut-être que c’est de la naïveté mais nous le faisons quand même parce qu’il y a d’autres enjeux.
« On ne va pas sacrifier les enfants pour quelques revalorisations de l’ordre de deux cents ou trois cent mille francs CFA. Nous disons non ».
GN : Va-t-on vers une université à deux vitesses ?
TFM : Je ne pense pas. Deux mois de grève sans issue véritable c’est trop. Il y a donc lieu de reculer pour mieux sauter. En outre, nous avons un engagement humain et professionnel dans nos tripes. On ne va pas sacrifier les enfants pour quelques revalorisations de l’ordre de deux cents ou trois cent mille francs CFA. Nous disons non.
GN : Si les négociations sont à la traîne en 2014 vous ferez valoir encore une fois l’instinct humain et professionnel ?
TFM : Une lutte est toujours une lutte d’étapes. Nous demandons au gouvernement d’appliquer la première mesure destinée aux professeurs de rang magistral. Une mesure qui, pour nous, doit être appliquée cette année. Ce serait pour nous la première manifestation de la bonne volonté du gouvernement. Dans un second temps, il faut mettre en place des garanties pour que le statut particulier de l’ensemble des enseignants-chercheurs voie le jour. Nous mettrons en place des stratégies pour que les discussions se poursuivent pour la confection de ce nouveau statut. Le gouvernement a promis ; il doit donc prendre ses responsabilités. Sinon on aboutira toujours à ces situations de grève.
GN : A quand la reprise des cours pour les enseignants affiliés à la Frapes ?
TFM : La reprise des cours est un mécanisme compliqué. Il y a un mécanisme administratif : l’administration devra d’abord refaire un nouveau calendrier académique, avant d’appeler les enseignants à regagner les salles de classes.
GN : Merci, Tom Frédéric Mambenga d’avoir répondu à nos questions.
TFM : C’est moi qui vous remercie !