Chose rare, le journaliste Jonas Moulenda du quotidien national L’Union, spécialiste des faits divers, vient d’adresser, via sa page facebook, une lettre au Premier ministre gabonais, Raymond Ndong Sima, dans laquelle il fait presqu’une inquisition sur la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays. À lire absolument, même si ce n’est pas le «J’accuse» d’Émile Zola.
Jonas Moulenda a choisi de s’adresser au chef du gouvernement gabonais, non pas à travers les colonnes du journal dans lequel il officie, mais à travers une page du réseau social Facebook. Une façon d’assumer pleinement son propos, mais surtout son engagement pour la lutte contre l’insécurité qui s’amplifie au Gabon. On est sans ignorer que régulièrement, sinon, quotidiennement, ce journaliste rend compte des événements macabres dont sont victimes les populations du Gabon, autant de Libreville que de l’intérieur du pays.
Cette propension à relayer ce type de faits divers a fait dire à de nombreuses personnes, coupées des réalités du pays, ne comprenant pas la charge pédagogique, que ce journaliste fait dans le sensationnel. C’est donc loin des colonnes de son quotidien d’information qu’il a choisi de s’exprimer et d’attirer pleinement l’attention sur ce qu’il a déjà dit autrement.
Dans un texte écrit sous forme de prosopopée, il invoque régulièrement les proverbes usités en son temps par son grand-père, garant d’une sagesse ancestrale, pour étayer le message véhiculé. Dès lors, il entame son sujet par : «le cuisinier ne craint pas la colère de la poule». Comme pour dire que le journaliste engagé qu’il est a appris à vaincre sa pusillanimité pour dire aux gouvernants ce qu’ils doivent entendre et non forcément ce qu’ils veulent entendre. Quitte à les prendre à rebrousse-poil. «Quand je dis les choses sans fioritures, on m’accuse d’être contre tel ou tel ministre et de vouloir prendre son poste. Mais c’est un faux débat ! Dénoncer les limites de nos gouvernants ne signifie pas qu’on a une animosité à leur égard ou qu’on veut les supplanter», a-t-il formulé.
Jonas Moulenda rappelle dans cette note, très commentée des «facebookeurs», adressée au Premier ministre que son rôle est de «d’informer les citoyens sur la marche de la société et de tirer la sonnette d’alarme». «Ces derniers temps, il vous est certainement arrivé de lire mes articles sur le climat d’insécurité qui règne à travers le pays. Monsieur le Premier ministre, il y a un véritable malaise auquel les décideurs que vous êtes devez parer au plus pressé, avant qu’il ne soit pas trop tard», a-t-il écrit avant de reprendre son grand-père pour appuyer : «c’est quand on peut encore fermer la plaie avec un seul doigt qu’il faut la soigner».
Jonas Moulenda relève par ailleurs qu’il «ne se passe plus une seule semaine sans que l’on ne découvre le corps d’une personne assassinée dans un quartier de Libreville ou dans une ville de l’intérieur du pays. La population s’en émeut souvent mais le gouvernement que vous dirigez demeure indifférent devant ces actes de barbarie dignes d’une autre époque. Finalement, je donne raison à mon grand-père, lui qui disait : «Quand ton voisin souffre d’un point de côté, sa douleur ne t’empêche pas de trouver le sommeil» ».
Le journaliste invite le chef du gouvernement à faire le tour du quartier où il réside, et de nuit, pour évaluer l’ampleur du phénomène. Le rédacteur de L’Union revient sur les deux meurtres qui ont lieu, l’un près du domicile de Premier ministre et l’autre à côté de l’immeuble abritant ses bureaux, pour illustrer la hausse de la criminalité qui sévit désormais partout et en toute heure. Mais avant, il se demande pourquoi le Premier ministre et les membres de son gouvernement ne se promènent pas sans gardes de corps dans les quartiers de la vile. «Ce que je ne comprends pas c’est le fait que votre équipe gouvernementale fait la politique de l’autruche et pense que la presse fait du sensationnel. Si l’insécurité n’existe pas à Libreville, pourquoi tous vos ministres et vous-mêmes ne vous baladez pas sans escorte dans les rues de Libreville ? Si vous le faites, c’est parce que vous connaissez parfaitement la cartographie de l’insécurité et les sanctuaires des bandits. C’est encore mon papy à la sagesse avérée qui disait : «Une souris même ivre reconnaît les endroits où passent les chats.»», ironise-t-il à peine tout en soulignant : «puisque vous avez décidé de descendre régulièrement sur le terrain pour toucher du doigt certaines réalités, je vous suggère de faire une promenade intra-muros, la nuit, sans vos garde du corps dans les rues de Bangos – puisque c’est votre quartier- pour y prendre de l’air. Même si vous êtes un pratiquant d’arts martiaux, vous aurez du mal à retourner bon pied, bon œil à votre résidence. Vous vous rendrez compte à quel point les riverains souffrent de l’insécurité. «Si tu penses que le pain ne souffre pas de chaleur, prend sa place au four», disait d’ailleurs mon grand-père».
Moulenda met enfin le chef du gouvernement en garde : «les crimes enregistrés, ces derniers temps, dans le périmètre urbain et dans l’arrière-pays ne sont que des clignotants qui s’allument pour nous avertir que le Gabon peut, à terme, devenir un Far West si l’on n’y prend pas garde. A partir de ce moment, ce sera une destination infréquentable aussi bien pour les touristes que pour les investisseurs. Ce serait une peur justifiée. Encore une sagesse de mon aïeul : «Quand la forêt est en feu, l’épervier passe son temps à voler». Et de conclure : «J’ai juste voulu tirer une sonnette d’alarme. Tout le monde étant exposé à l’insécurité, je suis persuadé que même les gouvernants que vous êtes peuvent en faire les frais, surtout que vous promenez souvent avec des artifices à même d’aiguiser les appétits des bandits. «Si tu as pour ennemi le vautour, n’accroche pas les intestins de la poule autour de la tête avant d’entrer dans la forêt», disait mon grand-père».