À trois semaines de la célébration de la fête de l’indépendance du Gabon, la capitale du pays est l’objet d’un pavoisement inédit, jamais vu même lors de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance. Comble du patriotisme, ce petit travail de décoration est réalisé par des ouvriers occidentaux, venus pour la circonstance. Bien entendu, la population ne manque pas de s’en indigner.
53 serait-il un chiffre particulier dans la mystique du pouvoir au Gabon, pays où l’essentiel de la nomenklatura appartient aux loges maçonniques, ainsi que cela se vérifie à travers la célèbre vidéo de l’intronisation d’Ali Bongo. Sinon, comment comprendre que la célébration de l’an 53 de l’indépendance du Gabon bénéficie d’un décor dont n’avaient pas bénéficié les festivités du cinquantenaire ? Et surtout, que le pavoisement de la capitale n’ait pas été confié à la municipalité de la ville ?
Du jamais vu auparavant en effet, des guirlandes aux couleurs nationales suspendues sur les lampadaires, des néons formant le chiffre 53 pour symboliser le nombre de bougies que souffle le pays et des losanges marqués de la date de l’indépendance. Ce qui, bien entendu, indique une commande spéciale et donc de la dépense. Ces ornements déployés principalement sur le front de mer, de l’échangeur du lycée Paul Indjendjet Gondjout (ex-lycée d’État de l’Estuaire) à l’immeuble Rénovation, rivalisent d’esthétique en offrant à ces endroits un aspect qui cache la réalité. Le village Potemkine.
Le leurre hollywoodien, en effet, car le comble sera de voir les endroits tels que le tronçon Gare-routière – PK 12, les rues d’Angondjé, de la SNI ou encore les voies secondaires de la capitale embellis de ces guirlandes aussi originales les unes que les autres. Là, il n’y aura simplement que les drapeaux aux couleurs nationales. Pourtant, ce sont également des Gabonais qui vivent dans ces zones qui devraient également être de la fête. Les populations ne s’y trompent pas et chacun y va de son petit commentaire.
«Pour le 53e anniversaire du Gabon c’est une très bonne chose de décorer la ville, puisque c’est la fête nationale, et elle ne vient qu’une seule fois dans l’an. Si l’État peut mettre les moyens pour une seule journée, pour reconnaitre le jour où nous avons reçu notre indépendance, pour moi c’est une très bonne chose», pense G. Ndong, instituteur, avant de poursuivre : «Toutefois, je pense que l’État devrait également faire la part des choses. Il ne devrait pas se limiter uniquement à décorer la ville, mais aussi penser aux populations qui ont faim. Pour ma part en ce jour spécifique l’État devrait organiser dans les différents arrondissements, des cérémonies, des festivités pour réunir les populations».
On devra reconnaitre que la fête de l’indépendance n’est qu’une journée fériée comme les autres au Gabon. La fête se limitera à un défilé, un match de football, un feu d’artifice et surtout un dîner de gala au palais présidentiel. Des manifestations populaires dans les quartiers, on en doute pour n’en avoir pas vu depuis belle lurette.
«La nourriture et la boisson pour la fête de l’indépendance, nous ne la voyons jamais. Mais quand on sera à l’approche des élections, vous les verrez, ils viendront nombreux nous envahir avec leur embaumés pour demander nos voix, c’est à ce moment que nous les attendrons ; c’est bientôt hein ?», fait remarquer un jeune dame prénommée Élodie, alors que son compagnon, chômeur, se plaint plutôt de ce que «même pour poser les décorations du bord de mer, on a fait venir des blancs. Est-ce qu’il faut sortir de Polytechnique pour monter aux poteaux, accrocher ces babioles et les brancher sur le courant ? Même des petits boulots comme ça qu’on peut donner aux Gabonais, Ali préfère importer ses amis blancs. Donc c’est ça l’émergence ?»
S’il est normal qu’un État commémore son accession à l’indépendance, certaines personnes estiment cependant que le Gabon a assez fêté et qu’il est temps de passer à l’essentiel. Surtout que les sommes débloquées pour l’organisation grandiose de cet évènement peuvent permettre de régler bien d’autres petits problèmes, à l’instar du déficit de salles de classe ou de l’amélioration des structures sanitaires. Selon monsieur un sociologue gabonais ayant requis l’anonymat, les manifestations festives organisées autour du 17 août participent simplement de la stratégie de manipulation de la masse, notamment la distraction, qui selon le professeur Noam Chomsky, linguiste et philosophe américain, est l’élément primordial du contrôle social. «La stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. Elle garde l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle», souligne Noam Chomsky.