« Tout conflit naît du mauvais partage », Pierre-Claver Zeng, « Mevo » (« Je suis consterné »)
Les visages barrés de lunettes noires, les foulards rouges enroulés autour de la tête pareil aux soldats d’Oussama Ben Laden, les scapulaires de gris-gris pendant à la poitrine, les Frères Karamazov du PK8 arboraient un air de cerbères en colère dans le véhicule BMW X5 qu’ils avaient emprunté par effraction au service du protocole de la présidence. Des éclairs de fierté traversaient leur front d’une noirceur rayonnante. Ils l’avaient fait. Ils avaient réussi leur coup. Ils avaient tenu leur promesse : kidnapper Richard Matthias, l’organisateur du New York Summit for Africa. Mais ne vous méprenez pas, chers lecteurs. Les Karamazov ne sont pas des assassins. Ils n’ont jamais tué quiconque. Pas même une fourmi. Tout juste s’il leur est arrivé de détrousser quelques « grosses légumes » de ce pays, qu’on retrouvait nues à la plage de l’océan Ethiopien.
De la culture historique, les Frères Karamazov en ont. Ils n’utilisent pas le nom « océan Ethiopien » au hasard. C’est ainsi que les marins européens avaient dénommé l’océan Atlantique au plus fort de la traite négrière lorsque, à partir du 15èmesiècle, les caravelles portugaises, tels des vaisseaux géants tombés d’un exo-planète à travers un tunnel secret et, poussés par une force invisible, avaient commencé à sillonner le Golfe de Guinée.
Ivaηga Karamazov pouvait raconter cette histoire à la manière des griots. Ancien étudiant à l’Université de Libreville, Ivaηga en était sorti sans diplôme à cause de l’instabilité des années académiques, souvent blanches au moment où il poursuivait ses études. Un soir, Ivaηga Karamazov, était allé écouter, à l’Institut français, un récital historique sur l’origine du quartier Baracka de Libreville, bâti non loin de l’estuaire du Nkomo. Baracka, beaucoup de Gabonais n’en sont pas conscients, est un véritable site historique. Il est notre Porte-du-Non-Retour. L’équivalent de Gorée au Sénégal. Le lieu où nous devons nous recueillir chaque année afin de nous souvenir de ceux qui avaient été envoyés au bagne par delà les mers sans espoir de revoir l’Afrique. Le nom Baracka serait, en réalité, une déformation du mot « barracon » (« baracoon », en anglais) et désigne les baraquements dans lesquels étaient entreposés les captifs de guerres et de razzias, ramenés de lointaines contrées à l’intérieur du pays, et destinés aux marchés d’esclaves des Amériques. A la fin du récital, Ivaηga Karamazov avait compris comment s’étaient formés les matitis de Libreville. Baracka fut le lieu où avait commencé la bondivillisation de ce qui allait devenir la capitale du Gabon. Le conteur avait surtout réussi le tour de force de jeter un pont entre les bidonvilles de Baracka et les favelas de Rio de Janeiro. Ces quartiers pauvres qui ceinturent les hauteurs de la ville de Rio sous le regard scintillant du Christ Roi, par la France offert au Brésil avec des bras généreusement ouverts. Les favelas sont les cités d’anciens esclaves, dont les maîtres portugais avaient refusé l’accès à Rio de Janeiro, pourtant bâti de leurs mains noires. Quand Ivaηga Karamazov saisit le lien de parenté entre les favelas et les matitis, son sang n’avait fait qu’un tour dans ses veines. Son cœur s’était mis à battre de toutes les colères d’anciens suppliciés. Ivaηga Karamazov avait pris les jambes à son cou et avait retrouvé sa bande au PK 8. Il lui avait exposé son plan, imaginé un soir où la chaîne de télévision France 24 avait annoncé la tenue de la seconde édition du New York Summit For Africa. Il leur fallait enlever Richard Matthias ! L’homme qui valait des centaines de milliers de bateaux négriers. Des millions de barils de pétrole volés aux Gabonais. Oui, Richard Matthias était l’agent d’une machine usurière qui lui fait gagner tellement d’argent qu’il a pu se permettre de piquer la femme d’un président de la République en exercice pour aller l’épouser au Rockefeller Center à New York. Comment finance-t-il ce train de vie royale digne de Gatsby-le-Magnifique ? Sans doute par des forums de type New York for Africa.
L’opération s’était déroulée sans incident. A l’aéroport international Léon Ier, Ivaηga Karamazov et sa bande avaient neutralisé les membres du service du protocole partis accueillir Richard Matthias. L’affaire avait été expédiée comme un verre de bière. A quelques pas de l’aéroport, se trouve un quartier dénommé « Village Mebiame Me Mba ». Ils avaient attiré les hommes de la présidence dans une gargote. Et avec l’aide de la serveuse, Ivaηga avait versé de la régabmicine, un puissant somnifère, dans leur verre d’alcool. Avant que les fonctionnaires ne s’écroulent, Ivaηga et son gang les avaient conduits à la plage, les avaient déshabillés, ligotés, avaient enfilé leurs vêtements et avaient abandonné leur corps dénudé à l’écume de l’océan Ethiopien pour le festin des Mamiwattas.
Assis à côté du conducteur, Ivaηga Karamazov se tourna vers Richard Matthias. L’homme d’affaires observait d’un air rêveur le front de mer bordé, d’un côté, de badamiers et de cocotiers, et de l’autre, de petits immeubles. En croisant le regard sombre d’Ivaηga, Matthias comprit que quelque chose n’allait pas. Ce dont il eut la confirmation quand le véhicule arriva au rond point de la foire de Libreville. Il tourna brusquement en direction du Boulevard Triomphal, alors qu’un panneau indiquait de continuer tout droit pour se rendre à la Présidence de la République. Depuis qu’il travaillait avec le nouveau nabab du Gabon, Richard Matthias connaissait Libreville comme son agence de communication. Il avait rencontré le père d’Ali pour la première fois en 1967 à Paris lorsque, après le décès de Léon Ier, ce dernier était allé passer, de ses propres aveux dans son livre « Nègre comme blanc », le baccalauréat de président de la République au Palais de l’Elysée auprès du général de Gaulle. Ses multiples séjours à Libreville lui ont permis de mémoriser l’itinéraire menant au palais de son ami. Il était sur le point d’interroger Ivaηga quand celui-ci lança d’une voix éraillée : « Maintenant, nous venons de longer la façade connue des visiteurs prestigieux. Celle qui vous sert de repère et d’indice de mesure du développement de notre pays. Permettez-moi de vous dire, monsieur Matthias, que vous ne verrez pas votre ami ce matin. Nous allons d’abord faire un petit tour par-delà la façade. Quand vous aurez admiré l’Autre Afrique, la vraie, vous irez alors présenter votre plan de sauvetage économique de l’Afrique au New York Summit For Africa. Mais auparavant, vous avez besoin d’une connaissance empirique de la misère noire. Vous n’allez pas vous contenter d’en entendre parler. Il vous faudra la vivre dans votre corps. Et une fois que vous aurez subi les assauts du paludisme, peut-être pourriez-vous mieux vous adresser à vos collègues hommes d’affaires. »
La X5 venait de franchir le supermarché Mbolo dissimulé derrière un massif de bambous. Richard Matthias ne put qu’en apercevoir l’enseigne. A hauteur de l’Institut français, Ivaηga Karamazov demanda au conducteur de ranger le véhicule sur le côté du Boulevard Triomphal, non loin de l’immeuble de la Banque des Etats d’Afrique centrale. Richard Matthias saisit les faits à la vitesse d’un ordinateur Apple. Il comprit instantanément pourquoi le véhicule s’était arrêté à cet endroit précis. Il aperçut en contrebas, au milieu des hautes herbes que surplombaient de gigantesques bâtiments en verre, un groupe de femmes accroupies, les jambes plongées dans un ruisseau aux eaux noirâtres. Les enfants attachés dans leur dos, elles écrasaient du linge sur des morceaux de pierre et d’autres planches d’infortune.
Ivaηga se tourna vers le Français de New York : « M. Matthias, il est dix heures, il fait très chaud, vous avez soif ; voulez-vous un verre de cette eau-là ? » Sans attendre la réponse, Ivaηga Karamazov ajouta : « Rassurez-vous, nous n’irons pas jusque-là. On ne vous fera pas ce que votre sommet dispendieux fait à ces femmes et à ces enfants. Dites-vous seulement que sous ce climat torride, ce sont des eaux comme celles-là que boit une bonne partie de la population de ce pays dirigé depuis un demi-siècle par vos amis, les M’bóngó, une Famille-à-Fric passionnée d’orgies de dépenses insensées, qui claque des milliards de francs par an pour ses seuls divertissements. » Ivaηga poursuivit : « M. Matthias, vous avez vu ces enfants perchés sur le dos de leur mère, le crâne brûlé par le soleil. Ils pleurent de faim. Leurs mamans sont désemparées. Elles ne peuvent rien leur offrir. Dites-moi, pourquoi les M’bóngó, Famille-à-Fric, leur font-ils subir un tel sort ? Heureux encore que, dans notre pays, les mamans ne transforment par leurs gosses en « kindokis », ces pauvres enfants-sorciers de Kinshasa, abandonnés par l’Etat congolais et torturés chaque jour par des pasteurs véreux qui ont fait de « l’exorcisme ?… » un fonds de commerce, un moyen d’extorsion des sous à des parents qui accusent leurs petits de rage et les jettent à la rue faute de ne pouvoir les nourrir.
A Libreville, on nous a surnommé « la Bande à Karamazov ». Savez-vous pourquoi ? Je vais vous le dire. Chaque fois que nous détroussons une grosse légume, noire ou blanche, nous commençons par lui lire un extrait du roman de l’écrivain russe Dostoievski sur la violence faite aux enfants. Ivan Karamazov, mon homonyme, est un grand révolté. Albert Camus l’aimait beaucoup. Il se peut que Meursault ait d’ailleurs emprunté bien des traits au fils rebelle d’Alexis Fédorovitch Karamazov. Dans un passage terrible, Ivan se demande — je vais vous le lire afin de ne pas être accusé de plagiat — pourquoi les enfants doivent payer les péchés des adultes de leurs souffrances : « si tous doivent souffrir pour acheter l’harmonie éternelle par la souffrance, que viennent faire là-dedans les enfants, dis-le moi je te prie ? Pourquoi les enfants eux aussi doivent-ils souffrir et à quoi cela leur sert-il d’acheter l’harmonie par leurs souffrances, cela est tout à fait incompréhensible…. La solidarité des hommes dans le péché, je la comprends, mais tout de même pas la solidarité dans le péché avec les petits enfants, et s’il est bien vrai qu’eux aussi sont solidaires de tous les crimes de leurs pères, alors cette vérité … m’est incompréhensible… les larmes des enfants doivent être rachetées, sinon il ne peut y avoir d’harmonie. » M. Richard Matthias, Ivan Karamazov vous parle à vous ! Du fond du 19ème siècle. De sa lointaine Sibérie, il défend les enfants affamés d’Afrique, condamnés à la misère par vos amis, les M’bóngó, les Eyadema, les Biya, les Obiang, les Sassou… »
La X5 reprit sa route, passa devant l’Immeuble du Pétrole. « Vous avez vu le graffiti qui orne l’entrée du bâtiment là-bas à votre droite ?… Regardez sa base sculptée telles les racines-contrefort d’un arbre sauvage. Qu’ont-ils bien voulu dessiner ? Un pied d’Okoumé ou une mini-Tour Eiffel ? Aucune importance. Reste qu’en regardant ce gros tag, vous ne pouvez plus vous demander où est passé l’argent du pétrole. En fumée grâce à vos forums économiques qui ne servent que leurs organisateurs. En fumée grâce au « shock therapy » administré aux chevaux noirs pour qu’ils continuent de galoper. Votre ami, l’ancien maître de ce pays décédé en 2009, ne l’a-t-il pas écrit ? « L’homme blanc est le jockey, alors que le Noir est le cheval ». Allons, galopons ! Tournez maintenant votre regard à gauche, vous avez le bâtiment de l’Assemblée nationale construit par les Chinois à la suite d’un troc. »
Ivaηga Karamazov s’interrompit pour allumer une cigarette avant de reprendre : « Cet immeuble est le fruit d’un troc. Les M’bóngó ont vendu notre océan Ethiopien aux Chinois contre cet édifice supposé abriter une démocratie inexistante. Un immeuble dont Kongossa dit qu’il pisse de l’eau partout comme le paquebot le Titanic, parce qu’il a été bricolé. Et vous ! Vous êtes trempés dans ces combines jusqu’au cou avec votre New York For Africa. Le gadget est venu s’ajouter à la gabegie et à mille autres dépenses futiles. Après l’Assemblée, jetez le regard plus loin et vous verrez le Sénat. A quoi sert cette chambre de séniles ? A faire des lois en faveur de l’absolutisme de vos amis. Et qui sont-ils, les hommes chargés de la noble tâche ? Je vais vous le dire. Ce sont en majorité d’anciens fonctionnaires qui n’ont connu que le diktat du parti démocratiquement inique. Ce sont eux les piliers de notre avenir. Ils roulent dans de grosses caisses de luxe le long des boulevards, comme celle mise à votre disposition, et oublient l’existence de ces femmes et enfants condamnés à laver leur linge dans des eaux mortifères. Quand sonnera l’heure du renouvellement des mandats, ils iront chanter l’hymne de la générosité dans les bas-fonds. »
Le véhicule prit la direction du quartier Cocotiers, arpenta des trottoirs industrieux. Il y avait ici, sous un abri surmonté d’un amas de tôles ondulées, un cordonnier frappant frénétiquement du marteau contre le talon d’une vieille chaussure. Là, un restaurant de coupé-coupé. Plus loin, un étal de denrées alimentaires, un estaminet mitoyen avec une menuiserie attenant à un atelier de vulcanisation au-dessus duquel étaient suspendus des pneus usés. « Regardez l’économie du petit peuple. Celle-là ne compte pas à vos yeux. Elle n’existe pas. Pourtant ce que vous voyez là n’est pas une industrie souterraine. Ce n’est pas une économie informelle. Vous avez devant vous un monde avec ses propres lois et ses propres moyens d’existence. La question est : comment pouvez-vous les aider ?… Je vous imagine déjà en train de chercher une des ces équations savantes pour répondre à une question simple : descendre de ce véhicule et acheter un tas de bananes à cette dame au prix juste. Ce serait une dépense éthique. Voilà la seule chose que ces commerçants demandent. Pas vos millions de dollars. Ils n’en ont rien à foutre. Le rêve de milliardaire, ils le laissent aux fous du bord de mer. Ici, chacun veut vendre sa petite marchandise au prix juste et nourrir sa famille, boire une eau saine, se soigner, dormir dans des quartiers désinfectés. Tout cela serait possible si vous leur achetiez la banane à un prix convenable. Non. Vous êtes comme nos députés et nos sénateurs. Ces gens-là n’existent pas à vos yeux. Et comment pouvez-vous les voir ? Lors de vos séjours chez nous, vous vous installez à la table de l’abondance gabonaise d’où, la crinière au vent, vous contemplez les plages magnifiques de l’eldorado des M’bóngó. Et de retour à New York, vous vous empressez de confirmer le 20/20 que le premier des Bóndimba se targue d’avoir obtenu au baccalauréat à Paris. Sur sa gouvernance, rien à dire. Impeccable. Tudo bem !, comme on dit dans les favelas de Rio de Janeiro. »
Maintenant sortez votre ordinateur. Vous allez commencer la rédaction du rapport sur la Stratégie de réduction de la pauvreté. N’est-ce pas le dossier que l’on exige à tous ceux qui cherchent à ramasser vos miettes ? Il faut traverser mille et un obstacles avant de pouvoir y accéder. Entre temps, des milliers de gens meurent. Que voyez-vous quand vous regardez ce cordonnier ? Hein, répondez ? Pensez-vous que votre théorème du « trickle down economy » s’applique à lui ? Pensez-vous que l’aide accordée à ce pays atteint son business ? Hein, répondez ? Vous voyagez toujours par la compagnie Air France. Vous logez Bouygues, vous mangez Bolloré, vous regardez CNN, et quand vous rentrez à New York, vous prétendez avoir été soutenir l’économie africaine.
Cette fois, votre visite ne fait que commencer. Nous allons maintenant vous conduire à Nkembo, le pays des lépreux et des tuberculeux. De là-bas, vous ferez votre rapport au Forum For Africa. »
Richard Matthias avait l’air petit dans son siège. Son visage chafouin, devenu flasque, avait le ton rosé d’une crevette de Madagascar. La journée tirait vers 11 heures. Il n’avait pas beaucoup dormi depuis son départ de New York. Ses paupières tombaient. Il n’était pas difficile de pénétrer ses désirs dans cette effroyable chaleur tropicale. Il rêvait d’une belle suite au Rédema Hotel. Mais le paysage de Nkembo interrompit sa rêverie. Le véhicule y allait zigzagant et crapahutant sur une route pavée de crevasses.
« Au lendemain du 11 septembre 2001, quand les musulmans ont failli assassiner George W. Bush et ont mis New York KO, vous n’avez cessé de vous demander ce qui s’était passé dans la tête des terroristes. Permettez-moi de vous retourner la question : qu’est ce qui se passe dans la tête d’un Richard Matthias lorsqu’il vient organiser un Forum dispendieux dans un pays où la population boit l’eau insalubre des ruisseaux ? Oui, répondez ? Les terroristes, avez-vous déclaré, sont des nihilistes. Des-ils-croient-en-rien. Et vous qu’êtes-vous ? Et les Françafricains, en quoi croient-ils ? Et le fils à M’bóngó, en quoi croit-il ? N’est-ce pas une race d’humains capable de s’allier au diable si une telle alliance pouvait assouvir sa soif de puissance ? M. Matthias, que se passe-t-il dans la tête de quelqu’un qui signe un pacte avec le diable ? Je vous le dis, les terroristes et les nihilistes, chez vous comme chez nous, sont des Frères. La seule petite différence est qu’Oussama Ben Laden, lui, a choisi le meurtre spectaculaire devant les caméras de télévision, quand les nihilistes comme vous et vos amis, pour qui le Fric et le Pouvoir sont la mesure de Tout, agissent tapis derrière le rideau de légitimité des forums internationaux. Dostoievski l’a bien écrit. Lisez intégralement « la rébellion » d’Ivan Karamazov, mon homonyme, et vous comprendrez pourquoi le diable est le portrait craché de son créateur : vous et moi.
Je le répète, votre Forum sert d’abord la mégalomanie d’un homme. Oui, j’ai visité votre site Internet. J’ai consulté la liste des intervenants. Le Gabon, pays d’accueil, n’y est représenté que par deux personnes : Ali-Fils-Domar et son épouse. Le couple qui incarne la réussite dans notre pays. Pas un entrepreneur local au programme pour faire état du climat d’affaires chez nous. M. Matthias, votre sommet n’a rien à voir avec nos « problèmes » économiques. Il est une mise en scène de vos égos tuméfiés. Tiens ! Votre ami a invité l’ancien champion de tennis allemand Boris Becker ainsi que le Camerounais Luc Mbah Amoute, joueur de basketball à la NBA. Dites-moi : en quoi leur intervention est-elle pertinente dans un pays où il n’y a ni court de tennis pour la formation des jeunes ni un parquet de basketball digne de ce nom ? Voyez-vous, M. Matthias, la seule invitation de Boris Becker et de Luc Mbah illustre la vanité, sinon l’absurdité, de votre entreprise. Et à supposer que, par la force du saint esprit, la moitié de grands patrons invités à votre cirque de mégalos accepte d’investir massivement au Gabon, où trouveront-ils les infrastructures devant accueillir leurs activités ? Où trouveront-ils l’expertise nécessaire à leur développement ?
Ali-Votre-Ami prendra la parole. Son épouse aussi. Vous-mêmes suivrez, puis votre femme. Franchement, je vous pose la question : qu’est-ce que le discours de votre femme apportera-t-il aux Africains ? Elle qui n’a rien fait pour nous quand elle séjournait au Palais de l’Elysée. Bien au contraire, son ex-mari a envoyé son conseiller Claude Mécréant chercher des valises de fric chez nous pour la campagne présidentielle de 2007. Et Mme Kouchner sera aussi de la partie, dont le mari est, lui aussi, venu ramasser des millions d’euros ici pour un rapport bidon sur le système de santé gabonais. Il y aura ce hibou de Hulot. En quoi ces ululements écologiques vont-ils aider notre pays ? Tous ces gens viendront plastronner sur la scène de Libreville sans que l’on voit les résultats de leurs discours. Le fait est que les hommes d’affaires n’auraient guère attendu votre Forum si le Gabon avait été une destination propice aux investissements.
Une dernière chose, M. Matthias, pourquoi n’invitez-vous jamais la société civile gabonaise à votre sommet ? Votre ami aurait-il peur de l’avocate Paulette Oyane ? Ne craint-il pas que cette débatteuse hors pair et sans peur mette votre épouse en miettes et la sienne en pièces détachées ? Ne craint-il pas qu’elle prononce le réquisitoire de son éviction d’un pouvoir acquis sans gloire et qu’il tente de légitimer en se payant des forums grandioses ? Oui, je vous mets au défi. Invitez maître Oyane, la reine du barreau gabonais, et votre Forum ne connaîtra jamais une troisième édition.
… Bon, il est presque midi. Votre ami va bientôt s’inquiéter et lancer ses troupes à nos trousses. Nous allons vous libérer avant que cela n’arrive. Mais quand vous verrez Ali-Fils-Domar, transmettez-lui ce message, dites-lui que « des cimes verdoyantes où il réside, des gens comme nous n’existent pas. Il ne les voit pas. Il serait alors temps qu’il ouvre les yeux. Qu’il descende de la canopée car un jour nos frustrations et notre colère abattront l’arbre sur lequel il est perché, dont il n’entend pas partager les fruits. Oui, ce jour de colère s’était levé pour Ben Ali, Hosni Moubarak, Mohamad Kaddafi, des gens qui se croyaient protégés par des vampires hyperpuissants. »
Marc Mvé Bekale
Fiction politique parue dans le journal gabonais Le Temps (12/06/2013)