De Mohamed ElBaradeï au grand imam d’Al-Azhar, les autorités égyptiennes condamnent « fermement le recours à la force excessive et les morts ».
Par Le Nouvel Observateur avec AFP
Pas de trêve. De nouveaux affrontements ont éclaté samedi 27 juillet au matin en Egypte entre forces de l’ordre et islamistes, faisant des dizaines de morts et des centaines de blessés près du Caire, potentiellement l’un des pires bilans depuis le renversement de Mohamed Morsi.
Les affrontements ont repris samedi dès l’aube sur la route de l’aéroport du Caire, lorsque la police est intervenue pour empêcher des manifestants pro-Morsi de bloquer un pont routier, selon les autorités.
Depuis l’hôpital de campagne mis en place après les heurts, un médecin des Frères musulmans fait état de 75 morts parmi les fidèles du président déchu. L’agence officielle Mena, qui cite des sources au sein du même hôpital, fait elle aussi état de 75 morts et un millier de blessés.
Le ministère de la Santé donne de son côté un bilan de 29 morts. Ces victimes se trouvaient dans l’hôpital de l’assurance-maladie au Caire, précise le Dr Khaled al-Khatib, un directeur des urgences au ministère de la Santé, alors qu’un journaliste de l’AFP a compté 37 cadavres dans l’hôpital de campagne des pro-Morsi.
Ces 29 morts s’ajouteraient donc apparemment aux 37, portant le bilan de ces violences à au moins 66, des sources médicales à l’hôpital de campagne ayant précisé qu’un nombre indéterminé d’autres corps avaient été acheminés vers d’autres établissements.
« Tous ont été tués par des tirs de balles réelles », a déclaré à l’AFP une médecin de l’hôpital de campagne sur le site de la mosquée Rabaa al-Adawiya, où campent depuis près de trois semaines les fidèles de Morsi, le Dr Amal Ahmad Ibrahim.
Un journaliste de l’AFP a constaté que quatre d’entre eux au moins portaient des blessures mortelles à la tête.
Tués par des habitants ?
Le ministère égyptien de l’Intérieur rejette pour sa part sur les islamistes la responsabilité des affrontements, et assure que la police n’a pas tiré à balles réelles sur eux.
« Les Frères musulmans ont refusé que la journée se déroule pacifiquement et ont cherché à la gâcher dans plusieurs gouvernorats en particulier au Caire et à Alexandrie », a déclaré le porte-parole du ministère, Hani Abdellatif, en référence aux manifestations massives de vendredi.
Le vice-président Mohamed ElBaradeï, qui fut une figure de l’opposition au président islamiste islamiste déchu Mohamed Morsi, a condamné « avec force » samedi la mort de dizaines de manifestants islamistes lors de heurts avec la police au Caire.
Sur son compte twitter, Mohamed ElBaradeï a « condamné fermement le recours à la force excessive et les morts » lors des heurts qui ont fait des dizaines de victimes parmi les partisans de Mohamed Morsi manifestant contre l’armée qui l’a renversé.
« Enquête judiciaire urgente »
Le grand imam d’Al-Azhar, la principale autorité sunnite d’Egypte, a également condamné la mort de dizaines de manifestants.
Le grand imam, Ahmed Al-Tayeb, « déplore et condamne la mort d’un certain nombre de martyrs qui ont été victimes des événements du jour », et demande « une enquête judiciaire urgente » afin que les responsables soient punis « quelle que soit leur affiliation », indique un communiqué de la grande institution islamique.
Des manifestants pro-Morsi ont tenté tôt samedi matin de bloquer un pont routier sur la route de l’aéroport du Caire et se sont heurtés aux riverains d’un quartier voisin, a-t-il affirmé, ajoutant que « les forces de sécurité sont intervenues pour les séparer et empêcher la fermeture du pont ».
La police « n’a pas utilisé plus que du gaz lacrymogène » contre les manifestants, a assuré le porte-parole, laissant entendre que les dizaines de morts déplorés par les islamistes avaient été tués par des habitants des environs.
Les sit-in en passe d’être dispersés
Huit policiers ont été blessés, essuyant des jets de pierres et des tirs de chevrotine, selon l’agence Mena. Les abords de cette mosquée dans le faubourg de Nasr City (nord-est du Caire), sont depuis un mois le principal site de rassemblement des partisans de Morsi, renversé par l’armée le 3 juillet.
En réaction à ces heurts, le ministre de l’Intérieur Mohamed Ibrahim prévient également qu’il va disperser « très prochainement » les deux sites.
Les Egyptiens avaient manifesté massivement vendredi dans tout le pays, les uns à l’appel de l’armée contre le « terrorisme », les autres en faveur du rétablissement dans ses fonctions de Morsi, des rassemblements antagonistes qui ont fait sept morts lors de heurts à Alexandrie, selon un dernier bilan.
Les pro-Morsi ont souligné que ces heurts sanglants faisaient suite au discours du chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, qui a déposé le président islamiste, demandant aux Egyptiens de descendre massivement dans la rue vendredi pour lui donner « mandat d’en finir avec le terrorisme ». « De telles déclarations de Sissi incitent à la violence et à la haine et servent à couvrir les crimes haineux de l’armée et de la police », accusent-ils.
La France appelle au calme
La France appelle de son côté « toutes les parties, et notamment l’armée, à la plus grande retenue » en Egypte, après ces nouvelles violences, a indiqué le ministère des Affaires étrangères.
« La France déplore le bilan déjà très lourd des heurts en Egypte. Elle appelle toutes les parties, et notamment l’armée, à faire preuve de la plus grande retenue », a déclaré le porte-parole du Quai d’Orsay Philippe Lalliot.
« Tout doit être mis en oeuvre pour éviter l’escalade de la violence », a-t-il ajouté dans sa déclaration, avant d’inviter « toutes les parties au calme et à la recherche du compromis pour qu’une solution politique se dégage pacifiquement et que des élections soient organisées dans les meilleurs délais, conformément aux engagements pris par les autorités de transition ».
Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a lui « condamné l’usage de la force contre les manifestants » et appelé les deux camps à mettre fin aux violences.
Le ministère turc des Affaires étrangères a condamné les violences et a appelé à un transfert du pouvoir à une « direction démocratique ». « Ouvrir le feu sur des manifestants qui affirment leur opinion et leur attachement à la démocratie est une situation que la conscience humaine ne peut accepter », a-t-il ajouté.
Morsi en détention préventive
Ces nouvelles violences interviennent alors que les autorités égyptiennes de transition ont ordonné la mise en détention préventive de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, renversé le 3 juillet par l’armée. Le président déchu est déjà gardé au secret par l’armée depuis sa chute, pour complicité présumée avec des opérations meurtrières contre les forces de sécurité lors de la révolte contre le président Hosni Moubarak en 2011, imputées au Hamas palestinien.
Alors qu’il était jusqu’à présent retenu sans charges, un tribunal a ordonné sa mise en détention préventive pour 15 jours renouvelables.
Les charges portent en particulier sur une aide que lui aurait apportée le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, pour s’évader d’une prison où le régime Moubarak l’avait incarcéré, peu avant d’être emporté par une révolte populaire.
L’ONU, les Etats-Unis et l’Union européenne ont appelé à la fin de la détention par l’armée du président déchu et de plusieurs de ses conseillers.
Les adversaires de Morsi justifient sa destitution en l’accusant de n’avoir gouverné qu’au profit des islamistes et d’avoir enfoncé le pays dans la crise économique.
Ses partisans dénoncent inlassablement le « coup d’Etat sanglant » contre le premier président démocratiquement élu d’Egypte, après des manifestations massives fin juin pour réclamer son départ.