Suite de la dernière chronique de Guy Romain Madienguela, docteur en sociologie et chroniqueur au journal La Loupe, qui tentait un bilan du demi-siècle d’indépendance du Gabon, à travers un texte intitulé «Gabon, 53 ans après : 10 ans de travail, 20 ans de danses, 19 ans de politique politicienne, 4 ans de République des maquettes». Il explique, cette fois, ses fameux «20 ans de Danses, de Jouissances et de Réjouissances», ses «19 ans de politique politicienne» et termine en reprenant la lecture des «9 axes de l’émergence» effectuée, en avril 2011, par Joël Mbiamany-N’tchoreret.
Gabon, 53 ans après : 10 ans de travail, 20 ans de Danses, 19 ans de politique politicienne, 4 ans de République des maquettes
1. Vingt (20) ans de Danses, de Jouissances et de Réjouissances, sur cinquante-trois (53) ans d’Indépendance.
Je prends encore un exemple concret, pour illustrer mon propos :
Je mets, très nettement en évidence, les mérites et les prouesses de feu son excellence le président Omar Bongo Ondimba «cerveau politique de premier ordre». En effet, l’ancien chef de l’Etat avait bien perçu le sens réel de l’indépendance, et surtout, il connaissait mieux que quiconque les Africains, en général, et les Gabonais, en particulier.
Quels sont, alors, leurs traits caractéristiques ?
De coutume, l’Africain serait paresseux, comptant sur les moyens de l’Etat, de l’extérieur et des autres. Manquant de courage, et doutant de sa propre valeur.
Pour atteindre la victoire, la réussite et le développement, il faut compter sur soi-même, et non sur les autres
Egalement, les Africains adorent les danses, les jouissances et les réjouissances. Même les cérémonies funéraires deviennent des occasions de dépenses folles et inutiles, en jouissances et réjouissances. Ainsi, après les indépendances, il fallait trouver des stratégies et moyens pour développer rapidement l’Afrique. Feu Omar Bongo, en sage et stratège, a su mettre essentiellement au travail les Gabonais, par la création de nombreuses sociétés d’Etat : huile, hévéa, sucre, café, cacao, etc. Mieux, il a eu l’idée géniale des fêtes tournantes de l’indépendance, d’une province à l’autre.
De quoi s’agissait-il ?
Pendant les fêtes tournantes de l’indépendance, la province choisie devait être l’objet de développement à tous les niveaux : routes, hôtels, aéroports, hôpitaux, écoles, logements modernes, eau courante, électricité, téléphone, etc. La province recevait également le gouvernement et les groupes de danse du pays, pour les fêtes de jouissances et de réjouissances.
Voici un exemple concret de développement endogène, version Omar Bongo Ondimba. Qui dit Mieux ?
Il a gouverné de 1967 à 2009, comme président de la République, soient 42 ans de règne, dont 10 de développement sérieux, rapide et impressionnant, 19 de politique politicienne, et le reste du temps consacré à autre chose, telles que les danses, les jouissances et les réjouissances. Il est dommage, voire humiliant pour le Gabon, qu’en août 2013, soit 4 ans après la mort d’Omar Bongo, notre développement ne puisse vraiment démarrer.
2. 19 ans de politique politicienne
Au départ, nous avons échoué à donner un sens à la politique. Nous n’avions pas de culture politique. Le politicien devrait être nanti pour pourvoir aux besoins particuliers des populations, et non faire de la politique aux dépens de ces dernières, car le développement est un produit de la politique. En fait, c’est le système politique même qui a permis cela. Prenons l’exemple du PDG, qui dirige le pays depuis 1967. Il s’est substitué à l’Etat. Car, chaque fois que les Gabonais rencontrent des problèmes sociaux, ils vont voir le leader politique. Ce dernier se sent, en retour, obligé de satisfaire ces demandes sociales, par crainte de voir ces militants (réels ou potentiels) se tourner vers d’autres leaders du même parti, ou simplement vers d’autres partis politiques.
Donc, la donne est faussée, dès le départ. C’est tout un système qu’il faut changer car, malheureusement, depuis 1967 que le PDG est à la tête de l’Etat, rien ne change dans le quotidien de nos compatriotes. Au palais, les militants vont et viennent comme au marché, et, à chaque groupe, le président de la République donne une somme d’argent, qu’ils appellent pudiquement « le taxi ».
Les mentalités sont sous-développées, il faut les changer !
Que les Gabonais élisent des hommes politiques qui vont penser et œuvrer au développement, et non ceux qui paient leurs factures et leurs ordonnances. Sinon, on doit se poser des questions. Un maire qui perçoit une indemnité de 500.000 Fcfa, et qui doit assister chaque citoyen pour ses cérémonies familiales et charges sociales, comment va-t-il s’y prendre ? S’il est rigoureux, il épuisera ses indemnités et n’aura plus rien à donner, ou bien il cherchera d’autres moyens, même illégaux, pour répondre aux sollicitations individuelles. Le pire est que tout homme politique vous dira qu’il est contraint de le faire, sinon un autre le fera et gagnera les élections.
Si la politique est communément perçue comme un art et un mode de gestion de la cité, c’est précisément en raison de sa finalité, qui est d’assurer, à tous et à chacun, le bien-être auquel tout être humain peut légitimement prétendre, lorsqu’il passe de l’état de nature à la vie sociale, comme dirait Rousseau. Assurément, la réalisation de cet objectif suppose, à tout le moins, un sens de la vie en société, une conviction, un choix et une morale. Ces pré-requis renvoient, de façon générique, à l’intérêt général, la citoyenneté, la liberté et aux vertus.
Au Gabon, mon pays, la politique est une négation de tout cela. Ici, la politique joue contre le développement. D’abord, les rapports de l’individu à la politique sont faussés. Dès le départ, nous distinguons deux groupes. Le premier est formé par des politiciens lancés dans une quête effrénée de pouvoir et d’argent, et décidés à profiter de l’Etat et de la politique à des fins personnelles. Le second groupe est constitué par les populations nécessiteuses, aussi bien en avoir qu’en savoir, préoccupées par des problèmes de survie au quotidien. Le premier point de contact entre ces deux groupes est l’argent. Comme l’expérience nous l’enseigne, il faut avoir de l’argent pour se faire élire. Il faut toujours de l’argent pour fidéliser les militants. L’argent devient ainsi l’élément fondateur et régulateur des relations entre le politique et le citoyen, au lieu d’un projet de société profitable à tous, parce que tourné vers le développement collectif et le bien-être individuel. Ce clientélisme politique et ce chantage social sont «institutionnalisés et officialisés» au Gabon.
A la présidence de la République, il est notoire que la «caisse noire» est généreusement distribuée aux zélateurs et courtisans du régime. De manière générale, le «débauchage» d’un homme politique par un parti concurrent est toujours monnayé à coup de millions. Dans un tel contexte, que peuvent bien valoir une conviction, une idéologie, un projet de société, un engagement collectif ? Rien ! Absolument rien.
Il s’ensuit que la politique est, par dénaturation, le domaine du faux, du mensonge, de la tromperie et de la trahison. Bref, c’est le domaine de la non-vertu, du profit individuel et de l’enrichissement illicite impuni. Cette conception est d’autant plus partagée qu’au Gabon, est perçu comme un déviant, celui qui affirme que les choses doivent se passer autrement.
Tant et aussi longtemps qu’il en sera ainsi, la politique sera l’obstacle principal aux progrès de la société gabonaise. C’est certainement cela qui a amené certains à se demander «si le Gabon refusait le développement.»
3. 4 ans de République des Maquettes
J’intègre à mon constat, ce Gabon émergent vu par Joël Mbiamany Ntchoreret. Prenons les neuf axes de l’émergence du Gabon, et mettons-les à l’épreuve des faits et de la réalité vécue au quotidien.
Axe 1 : Consolidation de l’État de droit
Un État de droit présuppose un État où il y a primauté de la règle du droit. Tous soumis à la loi. Nous constatons, depuis 2009, que la Constitution est violée dans chacun des actes que pose l’exécutif. De plus, un État de droit requiert une séparation formelle des pouvoirs. On note une prééminence du pouvoir du chef de l’État dans l’ensemble des institutions. Avec la dernière révision constitutionnelle, il a institué une République monarchique : autoritarisme et totalitarisme sont le mode de fonctionnement de l’État. Il n’a de compte à rendre qu’à lui-même. Pour ce qui est de la consolidation de l’État de droit, la note est zéro sur 10.
Axe 2 : Faire de la décentralisation une réalité
Il dit vouloir transférer progressivement certaines compétences exercées par l’État, vers les pouvoirs locaux, ainsi que les moyens qui vont avec. Rien de ce qu’Ali Bongo a fait au Gabon, depuis sa prise de pouvoir, n’indique une volonté de décentralisation. Au contraire, on note, par la création au sein de la présidence de la République des commissions, des agences et autres directions générales, la centralisation de tous les pouvoirs régaliens : développement économique, mesures sécuritaires, relations internationales, et même bourses et stages. Alors, quand il parle de décentraliser et de donner aux provinces les pouvoirs qui vont avec, de quel pouvoir parle-t-il ?
Axe 3 : Réussir la moralisation de la vie publique, et assurer une meilleure gouvernance des affaires publiques.
Il dit qu’il importe de restaurer la confiance entre la nation et sa classe politique, entre l’Administration et les administrés. Pour ce qui est de la confiance entre la nation et la classe politique, il faudra repasser. En interdisant un parti politique, par le fait d’une discorde électorale, ou en fermant des médias parce qu’ils parlent de ses adversaires politiques, n’est pas de nature à encourager l’instauration de la Confiance.
Axe 4 : Préserver l’intégrité territoriale et consolider les rapports avec les pays voisins et amis.
Préserver l’intégrité du territoire, c’est d’abord s’assurer que les multinationales qui exploitent nos ressources respectent et préservent l’environnement, et exploitent ces mêmes ressources dans l’intérêt supérieur des Gabonais. Que les Gabonais en profitent tous, et de la façon la plus équitable. On ne peut pas dire cela de l’exploitation de nos matières premières. Les multinationales pillent les ressources de notre riche sous-sol.
Axe 5 : Diversifier les sources de croissance et de développement durable.
Où est le plan de développement et de croissance économique ? Pour le moment, nous n’avons que des vœux pieux.
Axe 6 : Mettre en place des infrastructures de soutien au développement économique.
Nous attendons toujours de voir le plan de développement de l’industrialisation du Gabon, dans ces détails. Où sont passés les investisseurs malaisiens? Et le contrat de 5 milliards de dollars ?
Axe 7 : Pratiquer une meilleure gestion des finances publiques.
Alors là, quelle blague ! Et l’achat et la restauration de cet immeuble à Paris, pour 67 milliards Fcfa ? Est-ce cela bien gérer les finances publiques ? Un immeuble de 5 millions d’euros aurait suffi pour le Gabon. Où en est l’enquête sur la disparition des 7 milliards de Fcfa à l’Assemblée Nationale? Le patrimoine personnel de chaque élu a-t-il été rendu public, tel que cela est stipulé dans la loi contre l’enrichissement illicite?
Axe 8 : Mieux responsabiliser les Gabonais, et les inciter à être plus entreprenants.
La Chambre de commerce du Gabon, de Libreville, ne sert qu’aux réunions. Où sont les mesures d’accompagnement pour faire éclore une classe de femmes et d’hommes d’affaires gabonais ? L’État, par sa mauvaise gestion, est dans l’incapacité de payer la plupart des entreprises autochtones, ses partenaires en affaires. Comment les Gabonais deviendront-ils entreprenants, si l’État est incapable d’honorer ses engagements financiers ?
Axe 9 : Lutter contre les inégalités, la pauvreté et l’exclusion.
Le programme d’émergence fait le constat que « les Gabonais ne ressentent pas encore assez, au quotidien, les fruits du développement économique de notre pays. Les infrastructures sociales restent très insuffisantes (hôpitaux, logements, etc.), près d’un quart de nos concitoyens vivent en-dessous du seuil de pauvreté, et les écarts de revenus demeurent importants». Quelle ironie ! Et, avec ce constat, vous êtes allés acheter et faire réparer un immeuble en France d’environ 67 milliards de Fcfa. Vous avez vraiment une grande empathie pour vos concitoyens !
Avec l’émergence, c’est Tout sauf le développement et la liberté qui fondent et font la Vraie indépendance.
En cinquante-trois (53) ans d’Indépendance, le Gabon aura passé plus de temps dans les jouissances et les réjouissances, que dans le développement et la liberté : voici la vérité qui rougit les yeux, mais qui ne les abîme pas.
Guy Romain Madienguela, Docteur en sociologie