Jean-Marie Guéhenno, qui a dirigé les Casques bleus pendant huit ans, pense que le monde devra s’engager davantage en Afrique. Il espère aussi que, dans la crise, les pays riches seront solidaires des plus pauvres.
Jean-Marie Guéhenno.
Ce diplomate est spécialiste des questions de défense et des relations internationales. Il a été, de 2000 à 2008, secrétaire général adjoint et chef du Département des opérations de maintien de la paix à l’Organisation des Nations Unies. Âgé de 59 ans, il est le fils d’Annie et Jean Guéhenno, un écrivain né à Fougères en 1890 au sein d’une famille de chaussonniers. Entré à l’Académie française en 1962, ce dernier est mort en 1978 après avoir publié des essais et récits autobiographiques.
Être à la tête des Casques bleus n’a pas dû être une mission de tout repos ?
Non, mais elle a changé ma vie, comme elle peut parfois changer la vie des autres. C’est effectivement une responsabilité lourde. Quand j’ai quitté mes fonctions en juillet dernier, 18 opérations de maintien de la paix étaient en cours de par le monde, mobilisant 130 000 personnes et un budget de 7 milliards de dollars. En huit ans, le personnel déployé a été multiplié par quatre ou cinq. Aujourd’hui, on vit au rythme d’une crise par semaine. C’est donc une tâche lourde, mais qui en vaut la peine. Et puis il y a une telle attente dans nos missions. Une attente immense…
Des missions difficiles. Mais peut-être aussi et surtout des missions impossibles ?
Difficiles, oui. Impossibles, non. Il suffit de regarder les statistiques. Beaucoup de situations ont été stabilisées grâce à notre intervention. On oublie trop souvent la stabilisation constatée en Namibie, au Mozambique, au Cambodge, au Salvador. Quand vous observez aujourd’hui la situation de l’Afrique de l’Ouest, la situation s’est améliorée, que ce soit au Sierra Leone, en Côte d’Ivoire ou au Liberia. Depuis la fin de la guerre froide, la diminution des conflits a été sensible. Des progrès ont donc été faits.
Il reste tout de même des points névralgiques…
Bien sûr. On pense à l’Afghanistan, au Pakistan. Et puis à l’Afrique. Les polarisations du Moyen-Orient commencent à entrer sur le continent africain par la Corne. C’est très grave et cela posera un problème stratégique : le monde doit s’engager davantage en Afrique. Que ce soit au Darfour ou dans la région des Grands Lacs, le monde n’est pas assez présent. Mais la force ne règle à elle seule aucun problème. C’est une illusion. Elle peut aider à construire un processus de paix mais pas le remplacer. La vraie question reste toujours : comment trouver un accord politique dans des situations brûlantes ?
Huit ans à tenter de maintenir la paix de par le monde vous rend-il optimiste sur la nature humaine ?
Vous savez, dans les situations de conflit, on voit le pire et le meilleur chez l’homme. J’ai appris durant toutes ces années intenses à quel point la société humaine est un tissu fragile qui se défait très vite, mais qui est surtout très difficile à recomposer.
Quel impact pourrait avoir l’actuelle crise financière sur la stabilité du monde ?
Ce qui m’inquiète dans cette crise, ce ne sont pas d’abord les pays riches. Ils sont touchés mais ils ont les moyens de faire face. L’impact sur les pays pauvres sera beaucoup plus grave et risque de provoquer des déstabilisations. J’espère qu’au cours des douze prochains mois, le monde riche saura être solidaire.
Vous avez 59 ans. Qu’allez-vous faire désormais ?
Je vais d’abord écrire pour partager ce que j’ai acquis durant ces huit ans : une certaine proximité avec la diversité du monde. Et je vais rester actif et engagé. Je veux continuer d’essayer de changer la vie des autres.
L’autobiographie de votre père vient d’être publiée. (1) Il évoque 14-18 et son implication comme officier chargé de haranguer les soldats sur la nécessité de combattre. Vous avez été confronté à cette responsabilité : la mort des autres.
Effectivement, la guerre, c’est toujours la mort des autres, et dans mon métier, j’ai essayé d’aider les autres à faire la paix. Toute guerre nous ramène à notre destin collectif, mais elle ne nous décharge pas de notre responsabilité individuelle. Dans son livre, mon père a magnifiquement exprimé cette grande tension qui reste plus que jamais d’actualité.