De la filiation du président de la République à son parcours scolaire, en passant par le scrutin de 2009, Pierre Péan ravive quelques braises contenues dans son ouvrage «Nouvelle affaires africaines». Ci-dessous, l’interview in extenso de l’auteur accordée à Christophe Boisbouvier de RFI.
Vous dites que le président Ali Bongo n’est pas né Gabonais. Qu’est-ce qui le prouve ?
Je tiens d’abord à dire que je sais ça depuis très longtemps. Déjà, quand j’ai écrit «Affaires africaines» en 1983, je parlais des enfants biafrais de Bongo. Et donc la seule chose que j’ai eue à faire, c’est de chercher des anciens qui ont du mal à parler, parce que la plupart ont encore des relations avec le Gabon. Mais je veux dire que le fait qu’il (Ali Bongo) soit d’origine biafraise c’est noël en décembre : ce n’est pas du tout un scoop. Et puis même dans le livre qui s’appelle «Kala-Kala» de Maurice Delaunay, ancien ambassadeur et homme de Foccart…. C’est lui qui a monté toute cette affaire. Là non plus il n’y pas le nom d’Ali mais les enfants Biafrais. C’était un projet totalement politique, parce qu’on voulait impliquer davantage celui qui s’appelait encore Albert Bernard Bongo dans la guerre du Biafra.
En fait, vous vous fondez beaucoup plus sur des témoignages que sur des documents ?
C’est essentiellement sur des témoignages. Moi je l’ai écrit déjà en 1983. Je mets juste un peu plus de lignes que dans le livre «Affaires africaines».
Vous soutenez qu’il y a des témoignages, mais il y a également des contre-témoignages. Et pas de n’importe qui puisque l’une des filles de l’ancien président Léon Mba, Delphine Ayo Mba, affirme que bien avant la guerre du Biafra, avant les années 67-68, elle jouait dans les jardins du palais présidentiel avec le futur Ali Bongo, qui s’appelait alors Alain Bongo.
Il y a quelque chose de très simple pour nous départager : il suffit que le président Ali Bongo fasse un test ADN et que Patience Dabany, celle qui est censée être sa mère, du moins sa mère adoptive pour moi, en fasse également un. Il y a autre chose aussi : c’est l’acte de naissance. Personne ne peut affirmer que l’acte de naissance qu’il a produit avant le démarrage de la campagne présidentielle de 2009 est un vrai. Même un enfant de 10-12 ans peut voir que c’est un faux ! Pourquoi ? Si véritablement il est né à Brazzaville, pourquoi ne pas fournir l’acte de naissance véritable de Brazzaville ou un acte qui se situe probablement à Nantes.
Vous dites que l’élève Alain Bongo n’a jamais été à l’école à Alès, dans le sud de la France, car vous n’avez trouvé aucune trace de son inscription dans un établissement de la ville. N’est-ce pas une preuve un peu faible ?
J’ai vu le président de l’association des anciens élèves, j’ai vu le patron du collège Cévenol pendant 15-20 ans…Cette affaire ne me gène pas du tout. Si véritablement on m’apporte la preuve que cet aspect là est faux, je le reconnaitrai. Ce qui ne pose aucun problème.
Le fait que Pascaline Bongo, sa sœur aînée, qui a des rapports compliqués avec lui depuis 2009 prenne sa défense, n’est-ce pas là un élément que vous êtes obligé de prendre en compte ?
Ecoutez, la famille s’est resserrée pour des raisons qui sont assez compréhensibles. Il fallait bien qu’elle fasse quelque chose mais cela ne me trouble pas outre mesure.
Qu’est-ce qui vous prouve qu’Ali Bongo a menti sur ses diplômes universitaires ?
(Rires)…Je peux dire que j’ai vu la personne qui a monté l’opération, mais je ne citerai pas son nom. Par contre je citerai les autres participants. Ca s’est passé par le cabinet d’Abelin, qui était ministre de la Coopération sous Giscard et que probablement, c’est remonté jusqu’à Valéry Giscard d’Estaing. Certes on peut me dire que je n’ai aucun document. Ok ! Mais je suis totalement sûr de mon coup.
«Elections truquées en 2009», dites-vous. Selon vous le vrai vainqueur aurait été André Mba Obame. Alors là aussi, quelles sont vos preuves ?
De quoi je tiens ça ? Alors déjà j’ai avec moi un papier de la Cenap (Commission électorale nationale autonome et permanente), qui rend impossible la victoire d’Ali. Mais surtout, j’ai quelqu’un qui était dans la mécanique et qui m’a raconté tous les détails. Et comme il est encore proche du pouvoir, je ne peux évidemment pas donner son nom, ce qui serait une trahison à son égard. Qu’à cela ne tienne, il a participé et il m’a expliqué : on ne voulait tout simplement pas d’un Fang.
Vous dites qu’à l’époque Ali Bongo était soutenu par Nicolas Sarkozy et que 2 ans plus tôt, la campagne du futur président français aurait été alimentée par les caisses gabonaises à hauteur de plusieurs millions d’euros…
Evidemment si vous me demandez les preuves je ne les ai pas…C’est toujours par du liquide. Mais là aussi, ce sont des gens qui sont à l’intérieur du système qui me l’ont dit.
Ce lundi (10 novembre), l’Etat gabonais a annoncé qu’il portait plainte contre vous pour des propos gravement diffamatoires. Votre réaction ?
Enfin une bonne nouvelle, car l’affaire sera portée sur la place publique. On verra donc ce sur quoi il m’attaque et ma capacité à me défendre. J’attends ça donc très sereinement et j’ai tendance à penser que c’est une bonne nouvelle.
La semaine dernière le site Mediapart a écrit que les hommes d’affaires Ziad Takieddine et Fara M’Bow auraient proposé à la présidence gabonaise, en échange de 10 millions d’euros, que votre ouvrage ne soit jamais publié. Comment réagissez-vous à ça ?
C’est totalement scandaleux, que des journalistes puissent reprendre ça, en laissant le soupçon que j’ai participé à cette opération. Ça me tord les tripes. Alors l’essentiel c’est qu’il y a un an, il n’y avait pas de livre prévu sur le Gabon. J’ai signé mon contrat avec Fayard le 31 juillet de cette année.
Mais si jamais cette opération a eu lieu, envisagez-vous de porter plainte contre ses auteurs ?
Je suis en train d’y réfléchir. Il y a bien eu protocole d’accord avec Ziad Takieddine. Mais je n’étais bien évidemment pas au courant.