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L’armée gabonaise brutalise et humilie les étudiants de Franceville

Des étudiants forcés de se mettre à genoux par les militaires, à Franceville (Gabon), le 29 novembre 2014. Toutes les images ont été prises par des étudiants et envoyées à nos Observateurs.
Des étudiants forcés de se mettre à genoux par les militaires, à Franceville (Gabon), le 29 novembre 2014. Toutes les images ont été prises par des étudiants et envoyées à nos Observateurs.
À Franceville, dans l’est du Gabon, les militaires et les bérets rouges – les agents des forces armées spéciales – ont investi le campus de l’université des sciences et techniques de Masuku (USTM) le samedi 29 novembre, à la suite de manifestations étudiantes. Outre les violences physiques et les arrestations, les étudiants ont subi un certain nombre d’humiliations de la part des forces de l’ordre.

Vendredi matin, l’arrestation et l’incarcération de onze étudiants accusés d’avoir bizuté l’un de leurs pairs – une pratique interdite au Gabon – ont mis le feu aux poudres. Lors d’une assemblée générale organisée en fin de journée, les étudiants de l’USTM ont décidé de manifester et d’ériger des barricades à proximité du campus dès le lendemain matin, afin de réclamer la libération de leurs camarades dont ils affirment qu’ils ont été accusés à tort. Samedi, des heurts ont rapidement éclaté entre étudiants et forces de l’ordre, qui ont ensuite pénétré dans le campus.

« Certains étudiants ont été forcés de ramasser des ordures avec leur bouche »
Brice Sekou (pseudonyme) est étudiant à l’USTM.

Samedi matin, on a barré une route, comme on le fait habituellement lorsque l’on souhaite exprimer notre mécontentement. Les militaires sont arrivés. Ils nous ont observés pendant 1h30 environ, avant de recevoir l’ordre d’agir. Ils nous ont alors dispersés à l’aide de bombes lacrymogènes et de balles à blanc. Ça ne nous a pas étonnés car on s’attendait à des représailles. Certains étudiants ont répliqué en lançant des pierres. Puis on a fui vers le campus.

Un étudiant a reçu une balle dans la cuisse gauche, le 29 novembre.

Les militaires et les bérets rouges y sont ensuite entrés à leur tour. Ils ont frappé et arrêté plusieurs étudiants. J’ai alors fui les lieux à ce moment-là, avec d’autres camarades.

Des amis m’ont raconté qu’ils ont défoncé des portes, cassé des ordinateurs portables ou encore des télévisions appartenant aux étudiants. Certains camarades ont reçu des coups de matraque. Quelques étudiants ont même reçu des coups de couteau. [Des photos de blessures pouvant être celles d’armes blanches nous ont été envoyées par des Observateurs].

Un étudiant blessé par les forces de l’ordre, à l’hôpital de Franceville, le 29 novembre.

En plus de cela, les bérets rouges ont humilié les étudiants qu’ils attrapaient. Certains ont été forcés de ramasser des ordures avec leur bouche. D’autres ont dû s’aligner en file indienne, les mains sur la tête. Certains étudiants ayant été arrêtés ont été relâchés depuis.

Je ne suis pas retourné au campus depuis samedi, car les militaires occupent toujours les lieux. Donc personne ne peut ou n’ose y retourner. Les étudiants se sont réfugiés où ils pouvaient, chez des amis par exemple. Le campus est totalement vide.

Un étudiant humilié par des militaires, à l’extérieur du campus de l’USTM, le 30 novembre 2014.

« Les bérets rouges nous ont lancé de l’eau sale, venant du caniveau, en disant qu’ils nous ‘baptisaient’  »
Sara Zombo (pseudonyme) étudie à l’USTM depuis quatre ans. Elle a été l’une des victimes de ces humiliations.

Quand les bérets rouges sont entrés dans le campus, ils sont allés dans mon bâtiment, où il n’y a que des filles, en cassant les portes pour nous faire sortir. Ils nous ont forcées à nous mettre à genoux sur le goudron, sous le soleil. On devait être 17 ou 18 filles. On a dû chanter des chansons qu’on ne connaissait pas, avec des paroles grossières. Puis, ils nous ont lancé de l’eau sale, venant du caniveau, en disant qu’ils nous « baptisaient ». Ils ont frappé deux filles avec une matraque. Heureusement, elles n’ont pas été blessées.

On a ensuite fui, en taxi. En quittant les lieux, j’ai vu que des garçons avaient été couverts de cendres et rasés au niveau de la tête. Hier, j’ai rendu visite à un garçon qui avait reçu plusieurs coups d’arme blanche samedi.

Un certain nombre d’étudiants sont toujours à l’hôpital, après avoir été blessés par les forces de l’ordre. Par ailleurs, les onze personnes arrêtées vendredi matin demeurent incarcérées, à la prison centrale de Franceville.

Selon plusieurs sources, la décision d’occuper le campus universitaire aurait été prise afin de ne pas troubler un rassemblement organisé dans la ville samedi en soutien au président Ali Bongo, à la suite de la publication du livre « Nouvelles Affaires africaines : mensonges et pillages au Gabon » du journaliste français Pierre Péan, très critique à l’égard du président gabonais. Le chef de l’État doit par ailleurs se rendre à Franceville mardi, afin d’inaugurer le mausolée de son père, Omar Bongo, ex-président de 1967 jusqu’à sa mort, en 2009.

Samedi, le recteur de l’USTM, Isaac Mouaragadja, a adressé une note aux étudiants, indiquant que « tous les accès au campus universitaire [seraient] dorénavant gardés par les forces de sécurité nationale jusqu’à nouvel ordre, pour garantir la sécurité des biens et des hommes ». France 24 n’a pas réussi à le joindre ce lundi.

Note du recteur de l’USTM Isaac Mouaragadja, adressée aux étudiants le 29 novembre.

Affrontements entre étudiants et forces de l'orde, le 29 novembre.
Affrontements entre étudiants et forces de l’orde, le 29 novembre.
Les étudiants sont fréquemment visés par les forces de l’ordre au Gabon. En avril dernier, un étudiant de l’université Omar Bongo (UOB) de Libreville avait été grièvement blessé à l’issue d’une assemblée générale dispersée par des gendarmes.

Ce billet a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à FRANCE 24.

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