Entre Pierre Péan et le Gabon, c’est une vieille histoire. Cela fait plus de cinquante ans que l’enquêteur fréquente ce pays, plus de trente que « [son] petit Etat équatorial », comme il le surnomme, nourrit ses écrits. Son dernier livre, Nouvelles affaires africaines. Mensonges et pillages au Gabon (Fayard, 260 p., 18 €), est un brûlot anti-Ali Bongo.
L’auteur accuse le chef de l’Etat gabonais d’avoir ordonné l’assassinat d’opposants, d’avoir volé l’élection présidentielle de 2009 avec la complicité de Nicolas Sarkozy, de s’être fait fabriquer de faux diplômes en France ou bien encore d’être à la tête d’une « légion étrangère » qui a fait main basse sur le pays. Cependant, l’accusation la plus sensible porte sur les origines d’Ali Bongo. L’occupant du Palais du bord de mer est, selon M. Péan, né au Biafra et a été adopté à la fin des années 1960 par Omar Bongo et son ancienne épouse Joséphine lorsqu’il était âgé d’une dizaine d’années. Cette rumeur circule de longue date mais l’écrivain assure n’avoir « aucun doute » sur la véracité de ce qu’il affirme.
« Ça n’a jamais été un secret. Je l’avais déjà écrit il y a trente ans mais je n’avais pas mis son nom, car il n’était rien à l’époque. Toute l’opération d’adoption a été montée par Maurice Delauney [l’ambassadeur de France au Gabon à l’époque des faits] », avance Pierre Péan, qui fonde sa démonstration sur des témoignages principalement anonymes. Selon lui, il s’agissait alors pour Paris d’impliquer davantage le régime gabonais aux côtés des sécessionnistes biafrais, en guerre contre le pouvoir nigérian entre 1967 et 1970 avec le soutien discret de la France.
Cette polémique, qui avait déjà été soulevée au lendemain de l’élection de 2009, n’est pas sans conséquences politiques. L’article 10 de la Constitution du Gabon dispose que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut se présenter comme candidat à la présidence de la République ». En tant qu’enfant adopté à l’étranger, l’actuel chef de l’Etat n’aurait donc pas le droit de briguer la magistrature suprême. L’antienne est devenue l’un des principaux thèmes de campagne de l’opposition.
Deux documents obtenus par Le Monde viennent cependant affaiblir cette thèse de l’adoption. Le premier est une photographie d’un registre d’état civil que des proches de la présidence gabonaise affirment avoir découvert ces dernières semaines dans les archives de la mairie de Brazzaville. Ali Bongo a toujours prétendu être né en 1959, un an avant l’indépendance du Gabon, dans la capitale de l’actuelle République du Congo.
Présenté comme ayant été retrouvé à la mairie de Brazzaville, ce document attesterait qu’Ali Bongo est le fils naturel de son père Omar. Les deux hommes ont changé de prénom lors de leur conversion à l’islam.
Sur ce cahier aux pages jaunies et écornées, on peut y lire, rédigé à l’encre bleue, que « le neuf février mil neuf cent cinquante-neuf à une heure quarante-cinq minutes est né à l’hôpital général : Alain-Bernard(…) de : Albert Bongo [les prénoms respectifs des père et fils Bongo avant leur conversion à l’islam] (…) qui déclare le reconnaître et de : Joséphine Kama (…). Dressé le dix février mil neuf cent cinquante-neuf à onze heures, sur la déclaration du père de l’enfant… » Suit la signature de celui, qui huit ans plus tard, débutera son règne sur le Gabon jusqu’à sa mort en 2009.
Pour Pierre Péan, ce registre est un faux établi fin 2013 à la demande de la mère d’Ali Bongo. Celle-ci, dit-il, a sollicité l’aide du maire de Brazzaville qui n’est autre que le gendre de Denis Sassou-Nguesso. Soit, mais cela soulève une question : pourquoi le président congolais aurait fait cette faveur à son homologue gabonais alors que leurs relations sont notoirement mauvaises ?
Plainte en diffamation
Le second document obtenu par Le Monde est une photo de famille sur laquelle posent deux adultes, le général Teale, qui fut l’aide de camp du premier président du Gabon, Léon Mba, puis de son successeur M. Bongo, et Joséphine Bongo, ainsi que cinq enfants.
Photographie datée de 1963 appartenant à la famille Teale.
L’aîné Michel (deuxième en partant de la gauche, voir photo plus haut) est aux côtés de son père. Alain-Bernard Bongo (le deuxième en partant de la droite) est devant sa mère Joséphine.
Michel Teale assure se souvenir avec précision de l’instant où a été pris ce cliché : « C’était en 1963, j’avais 13 ans. Notre père est venu nous rendre visite dans le Loiret où nous étions élevés avec mon frère par la famille Imbault. Il est venu avec tonton Albert, qui n’était pas encore président, et tata Joséphine. C’est ainsi que nous les appelions. C’était la première fois que je voyais le petit Alain-Bernard. Il devait avoir 4 ans, 4 ans et demi. C’est tonton Albert qui a pris la photo… Environ un an plus tard, je l’ai recroisé avec sa mère dans une salle d’attente de l’ambassade du Gabon à Paris. » Michel Teale, qui a longtemps servi le régime de Bongo père, se dit étonné que son témoignage n’ait pas été pris en compte plus tôt alors que « cette photo est connue depuis des années ». Puis il conclut : « Si quelqu’un peut contester ce que je dis, qu’il vienne me contredire. »
ENTRE LE POUVOIR EN PLACE À LIBREVILLE ET PIERRE PÉAN, LA GUERRE EST DÉSORMAIS DÉCLARÉE.
Depuis la parution du livre de Pierre Péan, Delphine Ayo Mba, l’une des filles de Léon Mba, a également déclaré que, lorsque son père était aux commandes de l’Etat, elle jouait dans les jardins de la présidence avec le fils d’Omar Bongo. C’était avant 1967 et donc avant la guerre du Biafra.
Entre le pouvoir en place à Libreville et Pierre Péan, la guerre est désormais déclarée. Une plainte en diffamation a été déposée à Paris par les avocats de l’Etat gabonais. L’écrivain est par ailleurs accusé d’avoir voulu faire chanter la présidence en proposant, par l’intermédiaire de l’avocat de Ziad Takieddine, l’une de ses sources pour un précédent ouvrage, de ne pas publier son livre contre la somme de 10,15 millions d’euros. « C’est grossier et dégueulasse », réplique M. Péan.
La polémique, qui réveille des pulsions xénophobes au Gabon, est également assez nauséabonde. Pour la clore, Ali Bongo pourrait produire, s’il existe, un extrait d’acte de naissance archivé à Nantes ou se soumettre avec sa mère à des tests ADN. Cela permettrait d’aborder les vraies questions autour de la future présidentielle : peut-on accepter une succession dynastique du pouvoir ? Que propose l’opposition composée essentiellement d’anciens caciques du régime Bongo ? Comment se fait-il qu’après plus de cinquante ans d’indépendance, ce petit pays pétrolier d’environ 1,7 million d’habitants soit aussi peu développé ?