Entre l’opposition et le pouvoir gabonais, depuis les violences de 2009, la situation n’avait jamais été aussi tendue. Une manifestation a dégénéré samedi à Libreville, faisant au moins une victime, entre un camp qui exige le départ d’Ali Bongo et un autre déterminé à ne rien céder.
La période précédant l’élection présidentielle de 2016 s’annonce de plus en plus tendue au Gabon. Samedi 20 décembre, une manifestation a dégénéré à Libreville alors que la police a dispersé les participants, parmi lesquels elle dénonce la présence de jeunes armés.
Les versions divergent toutefois entre le pouvoir et l’opposition et le dialogue apparaît inéluctablement bloqué entre les deux camps qui s’affrontent, notamment autour de la personnalité même du chef de l’État, Ali Bongo Ondimba.
Voici, en quatre points, les tenants et les aboutissants de la crise actuelle.
Que s’est-il passé samedi 20 décembre ?
Deux versions s’opposent au sujet de la manifestation du 20 décembre, qui avait été interdite la veille afin d’éviter d’éventuels « troubles à l’ordre public ». « De 1 000 à 1 500 manifestants », selon la présidence, – de « 20 à 25 000 », selon Jean Eyeghé Ndong, dernier Premier ministre d’Omar Bongo Ondimba et cadre du Front de l’opposition pour l’alternance – se sont rassemblés près du carrefour Rio. Plusieurs ténors de l’opposition étaient présents, parmi lesquels l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA), Jean Ping.
Vers 15 heures, les forces de l’ordre ont dispersé le gros de la foule. Des heurts ont alors éclaté dans les quartiers adjacents, le ministère de l’Intérieur faisant état de barricades construites par des groupes de jeunes. « Il n’y avait aucune banderole, aucun slogan mais des jeunes gens avec des armes blanches », estime Alain Claude Bilié By Nzé, porte-parole de la présidence, contacté par Jeune Afrique.
Il n’y avait aucune banderole, aucun slogan mais des jeunes gens avec des armes blanches.
Alain Claude Bilié By Nzé, Porte-parole de la présidence
Faux, répond Jean Eyeghé Ndong, présent sur les lieux : « La police a chargé, c’est cela qui a provoqué les heurts et c’est peut-être la présidence qui a armé certains jeunes gens pour contrecarrer le mouvement ». « Si le pouvoir n’avait pas interdit la manifestation, tout ça ne serait pas arrivé », explique-t-il. Ce que réfutent les autorités.
« La situation de vendredi était courue d’avance », estime Alain Claude Bilié By Nzé. « Cela faisait plusieurs semaines que l’opposition appelait à l’insurrection et à la violence, malgré l’interdiction, légitime et motivée des autorités », ajoute-t-il.
Quel est le bilan des manifestations ?
Les bilans divergent. Le ministère de l’Intérieur confirme la mort d’un jeune homme, indiquant qu’une enquête a été ouverte et que huit personnes ont été interpellées. Le ministre Guy Bertrand Mapangou a fait état de blessés au sein des forces de l’ordre, ainsi que d’une centaine d’interpellations, dont dix ressortissants étrangers.
Du côté de l’opposition, on parle « d’au moins trois personnes » décédées. Jean De Dieu Moukagni Iwangou, porte-parole du Front uni de l’opposition pour l’alternance, accuse ainsi le ministère de l’Intérieur d’avoir mobilisé des moyens disproportionnés « devant des citoyens aux mains nues ». « Des civils ont été brutalisés », renchérit Jean Eyeghé Ndong, qui estime qu’une dizaine de personnes a été blessée, parfois gravement.
Pourquoi pouvoir et opposition ne se parlent pas ?
L’ONU a récemment appelé au dialogue national au Gabon. Mais depuis la parution du livre de Pierre Péan, Nouvelles affaires africaines, qui conteste les origines du président Ali Bongo Ondimba, la situation s’est encore envenimée entre pouvoir et opposition. Celle-ci a déposé une plainte contestant l’authenticité de l’acte de naissance du chef de l’État. Le parquet de Libreville l’a rejetée en précisant pouvoir traiter uniquement une affaire concernant des faits « de haute trahison ou de violation de serment » du président en exercice.
Le Gabon est malade. On ne peut pas avoir un président qui n’a pas été élu.
Jean Eyeghé Ndong, cadre du Front de l’opposition pour l’alternance.
« Le livre de Péan a été écrit pour mettre le feu aux poudres », estime Alain Claude Bilié By Nzé. « Il y a ce livre et il y a les propos de Jean Ping qui appelle à la violence », ajoute-t-il, précisant que la présidence n’avait pas compris l’appel de l’ONU, ne voyant pas où était le blocage.
« C’est Jean Ping qui a dit qu’il n’avait rien à faire avec le pouvoir et qui s’est radicalisé. Mais Ali Bongo Ondimba est prêt à discuter avec tous les Gabonais », explique-t-il. Et de dénoncer « une manipulation de la part d’un groupuscule de l’opposition ».
Déjà envenimé, le dialogue national réclamé par l’ONU semble désormais impossible. « Il n’en est pas question », tranche encore Jean Eyeghé Ndong : « Il faut qu’Ali Bongo parte », répète-t-il.
La situation peut-elle dégénérer ?
« On sait quand les violences démarrent mais on ne sait pas quand elles vont s’arrêter et jusqu’où cela peut aller », s’inquiète Alain Claude Bilié By Nzé, tandis que l’opposition semble clairement résolue à poursuivre le bras-de-fer.
On sait quand les violences démarrent mais on ne sait pas quand elles vont s’arrêter.
Alain Claude Bilié By Nzé, Porte-parole de la présidence
« On prévoit beaucoup de choses, l’opposition ne doit pas rester les bras ballants », confie Jean Eyeghé Ndong, qui refuse d’en dire plus sur les actions en préparation. « Il y aura beaucoup de manifestations », ajoute toutefois l’ancien Premier ministre.
« Nous étudierons les situations au cas par cas », explique quant à lui le ministre de l’Intérieur, concernant l’autorisation ou l’interdiction des manifestations. « Il y a peu, nous avons autorisé une manifestation dans le stade de Port-Gentil, là où il n’y avait pas de risques de débordement », rappelle-t-il.
Et de résumer le manque de confiance totale entre les deux camps : « Ce que recherchent les leaders de l’opposition, c’est qu’il y ait des morts pour faire pression sur le gouvernement ».
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Par Mathieu OLIVIER