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Guy-Bertrand Mapangou s’est-il disqualifié ?

Guy_B-Mapangou11Le ministre de l’Intérieur a toujours brillé par sa fougue, son zèle et sa volonté de se poser en garantie d’une éventuelle longévité d’Ali Bongo au pouvoir. Seulement, dans les moments de trouble, en période de crise, la passion et la dévotion sont mauvaises conseillères.

Comme la passion, la dévotion et le zèle ont quelque chose de particulier : ils peuvent être à l’origine du meilleur ou du pire. Antoine Mboumbou Myakou affichait ouvertement sa dévotion à Omar Bongo Ondimba. Cette attitude l’a fait entrer dans l’histoire comme un des pires fossoyeurs de la démocratie, un adversaire résolu du suffrage universel et des scrutins sincères. La présidentielle de 1993 restera dans les mémoires comme l’une des plus burlesques jamais organisées dans le pays. Jean-François Ndongou voulait absolument s’affirmer comme le meilleur rempart contre l’opposition, il a fini par tomber dans l’indécence et le déni des droits fondamentaux. Son cynisme face à l’état de santé de son prédécesseur André Mba Obame et son empressement à dissoudre l’Union Nationale resteront des tâches indélébiles dans son parcours humain et politique.

Arrivé au ministère de l’Intérieur précédé d’une réputation de fidèle, de proche parmi les proches d’Ali Bongo, Guy-Bertrand Mapangou a tout de suite voulu se montrer à l’avenant. Cherchant à en imposer par une prétendue rigueur, une certaine vigueur, une supposée fermeté, il est parvenu à une fermeture réelle. Seulement, en démocratie, les principes valent pour tous. Ils s’imposent aux gouvernants et aux gouvernés, à la majorité et à l’opposition. Un an à peine après sa nomination à cette fonction hautement stratégique et sécuritaire, cette règle immuable se rappelle à lui. Ayant proclamé que «force doit rester à la loi», il se doit maintenant de répondre à la démonstration de Jean de Dieu Moukagni-Iwangou. Fort de sa maîtrise des lois et règlements, de sa fine connaissance des procédures juridiques et administratives, le président de l’une des tendances de l’Union du peuple gabonais (UPG) lui impute désormais la responsabilité des tragiques événements du 20 décembre dernier (lire par ailleurs l’article de Griffin Ondo Nzuey).

Retour de manivelle

On en conviendra : pour plus d’efficience, une loi d’être appliquée dans son esprit et sa lettre et en tenant compte du contexte. Malheureusement, sous nos latitudes, cette précaution fait trop souvent défaut. La lettre est généralement sortie de son contexte, galvaudée et finalement dévoyée. Trop emporté par sa fougue, trop convaincu d’agir à bon droit, trop décidé à user de la «violence légitime», le ministre de l’Intérieur cultive une image de va-t-en guerre. Là où il doit faire montre de flegme, de prudence et de froideur, il choisit systématiquement l’outrance, l’escalade et la confrontation. Avant le 20 décembre dernier, le climat socio-politique était déjà surchauffé. Or, il a choisi d’en rajouter. Et comme il fallait le redouter, tout ceci déboucha sur les malheureux événements de Rio, remplacés depuis par «l’affaire Mboulou Beka», du nom de ce jeune compatriote mort durant les échauffourées avec les forces de l’ordre dans des circonstances non encore élucidées.

Pour le ministre de l’Intérieur, il y a comme un retour de manivelle. Le maintien de l’ordre est d’abord une spécialité. Il requiert une logistique précise, des tactiques spécifiques et des intervenants formés à cet effet. A aucun moment, il ne doit servir de prétexte à la restriction des libertés individuelles. De tout cela, Guy-Bertrand Mapangou semble n’avoir nullement tenu compte : sur les photos des événements diffusés à travers les réseaux sociaux, on peut voir des hommes en armes côtoyant d’autres munis de matraques, des individus cagoulés aux côtés d’autres masqués. Visiblement, le dispositif était hybride, hétéroclite et pas toujours adapté. Est-ce une surprise ? Cette opération visait à faire respecter la loi. Mais le film complet des événements laisse songeur.

Au demeurant, le ministre de l’Intérieur a lui-même tendu le piège où il s’est enferré : celui du maintien de l’ordre transformé en opération de répression. Il a systématiquement fait preuve de zèle et d’intransigeance, a trop voulu apparaître comme la garantie d’une éventuelle longévité du régime actuel. Pis, il s’est contredit dans les heures précédant la manifestation, au point de donner l’impression d’être sous influence, d’obéir à des ordres précis et non pas à la volonté de faire respecter la loi. Dès lors, pour éviter le pire, il aurait dû songer à une médiation préalable, quitte à descendre lui-même sur le terrain des opérations afin de l’assurer. Au lieu de se claquemurer dans son bureau et tenter d’intimider les leaders de partis ayant formulé la demande de tenue du meeting, il aurait gagné à aller personnellement à Rio discuter avec l’ensemble des leaders de l’opposition. Etait-il déshonorant pour lui d’aller échanger avec des personnalités telles que Zacharie Myboto, Jean Ping, Jean de Dieu Moukagni Iwangou, Didjob Divungui Di Ndinge, Luc Bengono Nsi, Jean Eyéghé Ndong, Jacques Adiahénot, Casimir Oyé Mba, Pierre Amoughé Mba ou Paulette Missambo ?

Légalité de la manifestation

Cette phase, Guy-Bertrand Mapangou en a fait l’impasse. Comme on le craignait, comme on le pressentait, l’absence de médiation préalable a ouvert la porte au pire. La répression a pris le pas sur le maintien de l’ordre avec, à la clef, mort d’homme, arrestations et, sans doute, des disparus. Avec le recul, le zèle et la tendance à user du muscle là où le cerveau serait plus utile, ont été ses principaux ennemis dans cet épisode. Maintenant, il y a lieu d’en tirer enseignements et conséquences. Des familles, trop de familles, paient à ce jour le prix de cette curieuse conception de l’autorité, de la gouvernance et de la politique.

Plus grave, l’argument de l’application de la loi s’essouffle. Jean de Dieu Moukagni-Iwangou vient de le battre en brèche, démontrant que la manifestation était tout à fait légale. On en vient à se demander si le ministre de l’Intérieur maîtrise la lettre de la loi n°48/60 du 8 juin 1960 relative aux réunions publiques. On en arrive à demander aux uns et aux autres de toujours se souvenir de ce que l’administration n’est pas verbale mais écrite. Il faut également s’interroger sur la valeur juridique d’une déclaration à la presse, se demander si elle remplace valablement une notification en bonne et due forme et examiner la question du respect des délais. A y regarder de près, l’ensemble du dispositif sécuritaire est dans la tourmente, ébranlé par les événements de Rio. Les fondements des suites judiciaires de cette affaire suscitent légitimement des doutes. Au-delà, on est désormais fondé à exiger à la justice de s’intéresser au ministre de l’Intérieur. Guy-Bertrand Mapangou a-t-il fait preuve de maladresse ? Est-il allé trop loin ? Sa responsabilité personnelle est-elle engagée ? S’est-il disqualifié, grillé, carbonisé dans le brasier de Rio ? Du traitement judiciaire de cette affaire dépendront les réponses à ces questions.

Pour autant, avant de jouer la carte judiciaire, il faut trancher la question de la légalité de la manifestation. Une analyse minutieuse des démarches administratives entreprises avant le 20 décembre dernier, une audition des leaders ayant formulé la requête, une audition des principaux maillons de la chaîne de décision – gouverneur, directeur général de l’administration du territoire, ministre de l’Intérieur – voire une confrontation des parties s’avèrent nécessaires. La justice est théoriquement rendue au nom du peuple gabonais et au service du seul intérêt général et de l’ordre public. Le pouvoir exécutif, notamment le ministre de l’Intérieur, a toujours proclamé sa volonté de faire respecter la règle. Il a régulièrement claironné que «le Gabon est un Etat de droit». A l’autorité judiciaire et au gouvernement, il appartient désormais de clarifier cet imbroglio, dans le respect des droits des uns et des autres ainsi que des procédures. Au risque de faire passer leurs affirmations pour de simples incantations.

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