Ancien député de Moanda, ancien administrateur du Fonds d’entretien routier du Gabon, signataire de l’accord pour le Pacte social avec Ali Bongo et surtout expert en économie et finance, Jean Valentin Leyama revient sur la «Graine» (Gabonaise des réalisations agricoles et des initiatives des nationaux engagés) pour poser des questions, essentielles, d’articulation de ce projet avec l’existant en matière de développement agricole. Ci-après, l’intégrale de son libre propos.
Comment comprendre que, dans un pays «béni des dieux» comme le Gabon, au climat équatorial, où tout est susceptible de pousser, on puisse importer annuellement entre 250 et 300 milliards de FCFA de denrées alimentaires ? Ce paradoxe est ancien, disons structurel. Pourtant, toutes les politiques agricoles mises en œuvre depuis plus de quarante ans n’ont manifestement pas enrayé le phénomène ou tout au moins contribué à inverser la tendance. Bien au contraire, le dépeuplement des campagnes consécutif à l’exode rural a favorisé l’insécurité alimentaire. Avec la Gabonaise des Réalisations Agricoles et des Initiatives des Nationaux Engagés (ouf !), en abrégé «Graine», tout ceci relève désormais du passé.
Devant un parterre de personnalités politiques – présidents des institutions, membres du Gouvernement, leaders des partis politiques signataires du Pacte Social – des responsables des associations, des confessions religieuses, des syndicats ainsi que des hauts fonctionnaires réunis lundi 22 décembre dernier à l’auditorium de la Présidence de la République, Ali Bongo Ondimba a décliné les ambitions de ce énième projet : création de milliers d’emploi – on avance un chiffre de 20.000, autosuffisance alimentaire, réduction des importations alimentaires, développement rural. Dans le genre de mise en scène solennelle auquel l’Emergence nous a habitués, le Président de la République a annoncé l’éclosion sur l’ensemble du territoire d’une classe d’entrepreneurs agricoles regroupés en coopératives.
Sélectionnés selon des critères stricts, ceux-ci auront droit à de la formation à l’étranger, en Malaisie en particulier, en raison de 80 candidats tous les trois mois. Ils se verront en outre attribués des parcelles de terrains avec titre foncier en vue de l’activité agricole et auront accès des financements spécifiques. Vive la révolution verte à la gabonaise ! Bref, un véritable concentré de toute la politique agricole du pays que les ministres successifs de l’agriculture ont échoué à mettre en œuvre – Biyoghe Mba, Ndong Sima, Nkoghe Bekale, Oyoubi, pour ne citer que les titulaires du poste au cours des 5 dernières années. Et c’est là que l’on retrouve la formule éprouvée de l’Emergence : création d’agences et marginalisation de l’Administration. Car le projet ne sera pas géré par le Ministère de l’agriculture mais par…une société privée, la SOTRADER, filiale de la très controversée OLAM ! Signes qui ne trompent pas, la co-présentation des détails du projet a été faite par le Ministre de la Promotion des Investissements et… le patron de Olam Gabon ! Sur certains points du reste, ce dernier avait manifestement plus de réponses que le Ministre.
Tout ce spectacle se déroule devant un ministre de l’agriculture – Luc Oyoubi – et ses collaborateurs médusés, lesquels auraient découvert le projet dans la salle comme tout le monde ! Graine étant un projet intégré, c’est-à-dire, de la production à la commercialisation, du coup, plusieurs questions non abordées lors de l’exposé subsistent. Comment ce projet va-t-il s’insérer dans la politique agricole du Gouvernement ? Comment va-t-il s’articuler avec les services et les organes du Ministère de l’agriculture : la COPA, l’ONADER, l’AGSA, l’IGAD, le PRODIAG, etc. sans compter l’INSAB de Masuku et l’ENDR d’Oyem pour la formation ? Alors qu’il est annoncé plusieurs milliards de FCFA pour ce projet, les structures du Ministère de l’Agriculture ont beaucoup de mal à fonctionner, faute de budgets conséquents. Pourquoi, par exemple, ne pas consacrer les fonds destinés à la formation à l’étranger au renforcement des capacités des structures de formation locales, quitte à faire venir des experts en vue d’un transfert de compétences ? En dernier ressort, ce projet fait un heureux : la société OLAM qui tisse sa toile et s’achemine irrémédiablement, patiemment, vers un contrôle à la fois de l’économie du pays et du territoire national.
Jean Valentin Leyama
Expert Économiste et Financier