André Mba Obame en janvier 2013 à Libreville. André Mba Obame en janvier 2013 à Libreville. © Patrick Fort/AFP
Exilé à Niamey, physiquement diminué, le « frère ennemi » d’Ali Bongo Ondimba se mure dans le silence, laissant l’opposition orpheline ou presque. À moins de deux ans de l’élection présidentielle, aurait-il déposé les armes ?
Deux ans que ses partisans attendent le retour de cet homme qui ne s’est jamais rêvé d’autre destin que celui de président. En vain. André Mba Obame, candidat malheureux (il est arrivé en troisième position) à l’élection de 2009 contre Ali Bongo Ondimba avant de s’autoproclamer chef de l’État en 2011, n’a plus donné de nouvelles depuis des mois. Même ceux qui assurent que « son état de santé s’est amélioré » en parlent sans l’avoir vu.
L’ancien ministre de l’Intérieur est aux abonnés absents : ses téléphones sonnent dans le vide depuis qu’il a quitté le Gabon en 2013 pour recevoir plusieurs mois durant des soins médicaux à Tunis. Les sollicitations des journalistes, des politiques et même de ses amis de l’Union nationale (UN), le parti d’opposition fondé en 2010 et dont il assure encore le secrétariat exécutif (même s’il a été officiellement dissous en 2011), restent sans réponse. Tous se heurtent au mur du silence qu’il a érigé autour de lui. Pas de doute : Mba Obame, 57 ans, ne s’est pas remis du mal mystérieux qui le ronge, et, à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle, son mutisme inquiète ses partisans.
Il vit désormais loin du Gabon, reclus dans une maison de Niamey. Seuls des membres de sa famille – à l’exception de sa femme, dont il est séparé – et quelques proches de passage au Niger sont autorisés à lui rendre visite sous l’oeil vigilant d' »Amiral », son fidèle chauffeur et garde du corps. Est-ce une volonté de sa famille, soucieuse de ménager ce leader qui aimait tant accorder d’interminables audiences à ceux qui fréquentaient sa résidence du Haut de Gué Gué, un quartier chic de Libreville ?
Est-ce par pudeur qu’il refuse de montrer la spectaculaire déchéance physique qui le frappe ? Son isolement est-il lié aux soupçons d’empoisonnement dont son entourage se fait largement l’écho ? À moins que le stratège ne se retienne à dessein : la rareté de sa parole entretient le désir… Avec ce politicien madré, difficile de distinguer ce qui est du domaine du calcul de ce qui relève du cynisme ou encore de la fissure humaine.
Et pourquoi le Niger ? Ses proches répondent en creux. Le prédicateur évangélique Mike Jocktane, qui fut en 2009 son directeur de campagne, lui a rendu visite en Tunisie à l’époque où il ne recevait que des soins médicaux classiques. Il ne l’a plus revu depuis. Jocktane explique qu’il s’interdit d’aller jusqu’à Niamey « pour des raisons liées à [ses] convictions religieuses », laissant entendre que les évangéliques comme lui réprouvent le recours aux guérisseurs traditionnels. C’est oublier qu’au Gabon la lutte pour le pouvoir se mène sur le champ politique, certes, mais aussi parfois sur celui de la sorcellerie, à coups de poisons, « fusils nocturnes » et autres sortilèges.
Une photo le montre en chaise roulante
La dernière apparition publique de l’opposant remonte à la fin d’avril 2014. Ancien séminariste et catholique pratiquant, Mba Obame a effectué le voyage à Rome pour assister à la canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II à la basilique Saint-Pierre. Prise par un évêque gabonais dans la cité du Vatican, une photo le montre sur une chaise roulante extrêmement amaigri, le visage émacié, à peine reconnaissable. Contre l’avis de sa famille, Mba Obame autorise la publication de l’image disgracieuse en une du quotidien privé Échos du Nord dans son édition du 5 mai – par « souci de transparence », présume l’un de ses neveux. « Il a voulu montrer ce que [ses adversaires] ont fait de lui », renchérit un journaliste proche de lui. C’est un choc pour ses soutiens, qui espéraient qu’un miracle leur ramènerait leur champion. À l’époque, il semble si mal en point qu’un médecin se hasarde à pronostiquer qu’il ne lui reste « plus que quelques semaines à vivre ».
Pourtant, André Mba Obame lutte encore et toujours contre la maladie, dont il a ressenti les premières manifestations en mars 2011. D’abord une douleur à la jambe, qu’il attribue alors en plaisantant à un « fusil nocturne ». Le 13 mai suivant, un examen radiologique effectué dans une clinique de la capitale révèle la présence d’une « hernie discale postéro-latérale ayant entraîné une sciatique paralysante et hyperalgique ». Il faut opérer d’urgence. Le 14 juin, Mba Obame s’envole pour l’Afrique du Sud. Le 28, il passe plus de trois heures entre les mains des chirurgiens. Le 4 juillet, enfin, il quitte l’hôpital. Au bout de treize mois de convalescence, il est de retour au pays en août 2012, vêtu d’un corset, amaigri et muni de béquilles.
Las, victime d’un accident vasculaire cérébral qui va accélérer la dégradation de sa santé, il doit de nouveau quitter le pays. Commence alors la tournée des hôpitaux mais aussi le recours à toutes sortes de cultes thérapeutiques traditionnels et d’églises syncrétiques. Avec une efficacité toute relative : les problèmes de motricité et les difficultés d’élocution persistent. « Il n’avait plus assez de forces pour tenir son téléphone portable, raconte son neveu. Pendant deux à trois mois, il fallait deviner ce qu’il disait. »
Deux ans plus tard, André Mba Obame n’a pas recouvré la santé. Alors l’imaginer se relancer à la conquête du pouvoir… L’échéance de la présidentielle se rapproche à grands pas, hypothéquant chaque jour davantage les chances de le compter parmi les candidats. Même s’il décidait de déposer sa candidature, elle passerait difficilement le filtre de la Cour constitutionnelle, qui impose aux prétendants un examen médical certifiant qu’ils ont des capacités physiques suffisantes pour exercer la magistrature suprême.
Le parti est déboussolé
Peut-être a-t-il lui-même pressenti qu’il ne pourrait pas se rétablir avant 2016 ? « Ne m’attendez pas », a-t-il lancé à ses partisans dès 2012. « Nous l’avons pris pour une exhortation à continuer le combat sans lui », explique l’un de ses proches, Joseph John-Nambo. « La question de sa disponibilité pour 2016 n’est pas encore à l’ordre du jour », élude Francis Aubame, un cadre de l’UN. Reste que tout, dans l’activisme du parti, indique que ses membres ont compris que Mba Obame ne reviendrait pas avant la présidentielle.
Sa maladie a créé un vide à l’UN. Le parti est déboussolé, aucune autre forte tête n’a émergé. Casimir Oyé Mba, candidat menacé par les soutiens de Mba Obame qui trouvaient qu’il lui faisait de l’ombre lors de l’élection de 2009, a pris du recul. Jean Eyéghé Ndong s’est aliéné la frange radicale du parti en briguant – en vain – la mairie de Libreville, fin 2013, alors que l’UN boycottait le scrutin. Peu enclin à prendre des initiatives, le président Zacharie Myboto, ex-rempart antidémocratie sous feu Omar, à l’époque du parti unique, n’est pas non plus parvenu à imposer ses idées.
L’absence de Mba Obame et la mort, en 2011, de Pierre Mamboundou, charismatique fondateur de l’Union du peuple gabonais (UPG), ont favorisé la naissance du phénomène Jean Ping. L’ex-président de la Commission de l’Union africaine et ancien ministre des Affaires étrangères a fait une entrée fracassante dans une opposition devenue acéphale. Ping s’est imposé comme la nouvelle figure de proue, tout en évitant habilement de défier Mba Obame. « S’il revient parmi nous, je me rangerai à ses côtés », jure-t-il à ceux qui lui reprochent d’aller un peu vite en besogne.
Son discours musclé à l’encontre du pouvoir et ses appels à prier pour « André » rassurent et lui attirent la sympathie des orphelins de Mba Obame. Le gros des troupes de l’UN l’apprécie. Il n’a pas de parti politique ? Les « souverainistes » lui offrent leur infrastructure. Outre Joseph John-Nambo, qui est par ailleurs son cousin, Ping peut s’appuyer sur Fabien Mbeng Ekorezok, Michel Ongoundou Loundah, Francis Aubame… L’opposition renaît grâce à Ping, qui finance sur fonds propres les très onéreuses initiatives de cette campagne avant l’heure. Mba Obame lui-même a mis la main à la poche pour organiser à Paris le congrès de l’opposition, du 5 au 7 décembre 2014, et son fils, Tony, étudiant en France, a servi d’intermédiaire lors de ces assises.
Si plusieurs dizaines de personnes ont effectué le voyage aux frais des deux hommes, une partie de la garde rapprochée de Mba Obame a boudé le rendez-vous parisien. Eux refusent d’enterrer trop vite le chef. Mike Jocktane exclut ainsi de faire de Ping un « candidat naturel » du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fuopa), la coalition récemment mise en place.
Il suggère de désigner le candidat lors d’un « processus démocratique » qui tiendra compte du « vote » de Mba Obame. « Sa parole influencera une grande partie de l’électorat et contribuera à légitimer le candidat de l’opposition », explique-t-il. Autres indécrottables partisans de Mba Obame, l’énarque Jean Gaspard Ntoutoume Ayi et Gérard Ella Nguema, secrétaire exécutif adjoint de l’UN, gardent eux aussi leurs distances. Et plusieurs membres de son entourage familial entretiennent l’idée de son retour dans l’unique but de gêner Ping.
Communiquer par émissaires interposés
Qu’en pense ce dernier ? Lui-même reste ambigu. Quelques semaines après avoir rejoint les rangs de l’opposition, Ping a essayé de rencontrer Mba Obame à deux reprises. Ce fut un échec. L’insaisissable exilé préfère communiquer par émissaires interposés avec son ex-collègue du gouvernement. « Mba Obame est dans une position inconfortable, relève un bon connaisseur de la politique gabonaise. S’il ne veut pas tomber dans l’oubli, il ne doit pas tout de suite donner son blanc-seing à Ping. Entretenir le suspense lui donnera les moyens de peser lors de la présidentielle de 2016. De plus, il doit ménager ses partisans qui prient pour son retour. »
En tout état de cause, Ping aura besoin de Mba Obame, de son parti et de sa chaîne de télévision, TV+ (dont il a confié la direction à l’un de ses neveux et hommes de confiance, Franck Nguema), pour affronter Ali Bongo Ondimba dans les urnes. Le reclus de Niamey a peut-être fait le deuil de ses ambitions présidentielles, mais il n’a pas renoncé au pouvoir.
Quand ABO parlait d’AMO
Entre Ali Bongo Ondimba (ABO) et André Mba Obame (AMO), il y a d’abord eu une amitié, longue de vingt-cinq années. Puis une guerre, terrible et fratricide. Mêlant le politique et l’intime, elle s’est déclarée lors des obsèques d’Omar Bongo Ondimba en 2009. En août 2012, interrogé par J.A., le chef de l’État gabonais admettait avoir entretenu avec Mba Obame « une relation particulière ».
C’était la première fois – et à ce jour la seule – qu’il acceptait de parler aussi longuement de son frère ennemi. Son père, expliquait-il, les avait fait se rencontrer. « À l’époque, en 1984, je ne le connaissais pas. Le président me le présente en disant : « J’ai connu son père, nous étions de très grands amis, et je te demande de te rapprocher de lui, il vient nous rejoindre. » Je l’ai fait. […] Cette amitié m’a beaucoup coûté, car un certain nombre de membres du PDG [Parti démocratique gabonais, au pouvoir] n’ont jamais été réellement convaincus de sa sincérité. »
ABO disait ne pas comprendre que son ancien ami se soit présenté face à lui, en 2009, en menant une campagne « tribaliste », et refusait de recevoir de lui « des leçons de démocratie » : « C’est un homme intelligent, certainement très doué, mais qui ne fait que mentir. » Il affirmait être « pour beaucoup dans l’évolution de sa carrière » et l’avoir même « protégé des gens avec qui il est en accointance circonstancielle, dont Zacharie Myboto » : « Ce sont ces personnes qui l’exécraient hier qui aujourd’hui deviennent ses nouveaux amis. Je pense qu’André se fait manipuler, et il y risque sa peau. »