Nouveau mode de gestion, réduction des dépenses dans certains secteurs, diversification des modalités de financement des chantiers… Le Premier ministre explique les choix de l’exécutif. Et sait qu’il doit accélérer la cadence.
Depuis un an, c’est au Premier ministre Daniel Ona Ondo, 69 ans, que revient la charge de mettre en oeuvre le plan stratégique Gabon émergent (PSGE) engagé par Ali Bongo Ondimba. L’agrégé d’économie a été doyen, puis recteur de l’université Omar-Bongo (UOB). Avant de devenir chef de gouvernement, il a été nommé successivement ministre de la Culture, de l’Éducation nationale, des Postes et Télécommunications (de 1997 à 2007) puis élu vice-président de l’Assemblée nationale (2007-2014). À l’approche de la présidentielle de 2016, sa mission est claire. Il doit accélérer les réformes, tant sur le plan économique que sur le plan social, et obtenir rapidement des résultats.
Propos recueillis par Georges Dougueli
Jeune Afrique : Quelles sont vos priorités économiques pour 2015 ?
Daniel Ona Ondo : Nous allons concentrer nos efforts sur le développement des infrastructures de transports et d’énergie afin de renforcer l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers. La mise en oeuvre de notre stratégie nationale d’industrialisation va être accélérée et nous allons favoriser le développement des PME-PMI, qui sont au coeur de la diversification et de la lutte contre le chômage. Mais la grande nouveauté sera budgétaire. Les réformes engagées se traduisent en effet par un basculement, à partir de cette année, vers une budgétisation par objectif de programme. Cela va nous permettre de maîtriser les dépenses de fonctionnement et, donc, de dégager des marges plus significatives en faveur des dépenses d’investissements qui soutiennent la croissance et la diversification.
En quoi votre feuille de route diffère-t-elle de celle de vos prédécesseurs ?
À ma nomination, le chef de l’État m’a demandé d’insuffler une nouvelle dynamique dans notre marche vers l’émergence, en accélérant la croissance inclusive et en assurant la mise en oeuvre du Pacte social pour réduire la pauvreté et l’exclusion. Mon équipe doit également poursuivre les réformes entreprises depuis 2010 pour réduire notre dépendance vis-à-vis du secteur pétrolier. À cet égard, il est impératif de continuer à mettre en oeuvre le schéma directeur national d’infrastructures. Sans négliger pour autant la lutte contre le chômage des jeunes, qui reste élevé, ni le renforcement des secteurs de l’éducation, de la santé et du logement social.
La baisse des recettes pétrolières va-t-elle vous contraindre à réduire la voilure et à tailler dans les budgets sociaux ?
Compte tenu de la contribution encore importante du secteur pétrolier aux recettes budgétaires, la chute des cours observée depuis mi-juin 2014 va se traduire par une baisse significative des revenus de l’État, nous contraignant à élaborer un plan d’ajustement de nos dépenses publiques. C’est ce que le gouvernement vient de décider, tout en veillant, comme l’a prescrit le chef de l’État, à ce que les efforts d’ajustement ne se fassent pas au détriment des plus démunis.
Malgré la conjoncture du marché pétrolier, le taux de croissance prévu pour 2015 sera de 5 %, avec une dynamique davantage tirée par les activités hors pétrole.
La solidité des indicateurs macroéconomiques et les fruits des réformes engagées depuis 2010 vont nous permettre de limiter les conséquences négatives de la baisse des prix du pétrole sur notre économie. Celle-ci est de toute façon assez forte pour tenir le choc : nous disposons de réserves consistantes, nos avoirs extérieurs représentent environ onze mois d’importations et notre taux d’endettement est d’environ 30 % du PIB. Malgré la conjoncture actuelle du marché pétrolier, le taux de croissance prévu pour 2015 sera de 5 %, avec une dynamique davantage tirée par les activités hors pétrole, dont les services et, en particulier, les TIC [technologies de l’information et de la communication]. Et cette conjoncture ne fait que renforcer notre volonté de nous diversifier et d’accélérer les réformes structurelles.
Certes, de légères tensions sont annoncées pour 2015, mais les mesures budgétaires courageuses que nous avons prises, conjuguées à la mise en oeuvre du Pacte social et du Schéma d’investissement humain, permettront de les contenir à un niveau soutenable pour le pouvoir d’achat des ménages.
Le gouvernement va donc à la fois maintenir ses efforts d’investissement dans le domaine des infrastructures, et poursuivre la mise en oeuvre de la Stratégie d’investissement humain et du Pacte social qui assurent, d’une part, une meilleure prise en charge par l’État des populations économiquement faibles et, d’autre part, la promotion de l’autonomisation des Gabonais, pour qu’ils contribuent à l’amélioration de leur cadre de vie.
Pourquoi certains grands chantiers ont-ils pris du retard ?
Quelques projets sont confrontés à des difficultés liées notamment à la qualité des études, mal ficelées, qu’il a fallu compléter ou actualiser. Parfois, la programmation des travaux n’était pas compatible avec les décaissements. Nous avons aussi constaté des lenteurs dans la mobilisation des financements complémentaires que nécessitaient les travaux additionnels sur certains chantiers. D’autres problèmes ont eu un impact sur les délais de livraison, comme le non-respect par quelques entreprises des clauses contractuelles ou encore les tensions de trésorerie liées aux grèves à répétition des régies financières…
Comment comptez-vous y remédier ?
Dès cette année, nous allons veiller à diversifier les modalités de financement de nos investissements lourds, notamment en adoptant une stratégie d’endettement plus hardie. Nous avons aussi engagé un processus pour rationaliser nos investissements, afin qu’ils soient compatibles avec nos capacités administratives et nos disponibilités de trésorerie. Certaines dispositions du code des marchés ont été révisées, de manière à garantir la qualité des travaux et leur exécution normale.
Enfin, la réorganisation en cours de certaines administrations en charge du Budget devrait nous permettre de corriger les dysfonctionnements évoqués, afin de renforcer l’efficacité de la dépense publique et la bonne exécution des chantiers. Nous avons aussi entrepris d’apurer les arriérés de paiement dus aux entreprises. Près de 550 milliards de F CFA [838,47 millions d’euros] ont été décaissés à ce titre en 2014. Le cadre budgétaire révisé que nous comptons mettre en oeuvre très prochainement prévoit que nous poursuivions ces régularisations au profit des entreprises, dont le développement, faut-il le rappeler, détermine la création des richesses et, donc, la réduction de la pauvreté.
Le secteur forestier a souffert de l’interdiction d’exporter les grumes depuis 2010. Comment se porte-t-il aujourd’hui ?
Le Gabon n’a plus vocation à être un exportateur de bois, mais à devenir un producteur et un exportateur de produits manufacturés. Il s’agit de produire de la valeur ajoutée, de créer un savoir-faire, des emplois et, donc, des revenus. Grâce à cette mesure, des usines sont nées, qui ne se limitent plus au sciage et au déroulage. La zone économique spéciale de Nkok leur est consacrée. Une politique de gestion durable de nos forêts est engagée, un dispositif de formation aux métiers du bois et une agence chargée du développement de la filière ont été mis en place… Au contraire, le secteur est en plein renouveau !
Plusieurs personnalités sont soupçonnées de détournement de fonds dans le cadre du financement des chantiers liés aux fêtes tournantes du 17 août [célébrations du jour de l’indépendance]. Les procédures visent cependant essentiellement d’anciens dignitaires passés dans l’opposition…
Il est logique que les personnes mises en cause soient d’anciens dignitaires, puisque ce sont eux qui étaient en charge de ces dossiers. Des structures avaient été mises en place et des responsables désignés pour que ces crédits soient utilisés de manière judicieuse et correcte. Or, on a constaté que les fonds ont été détournés. Il est donc normal que la justice fasse son travail et, si ces personnes sont reconnues responsables, elles devront en assumer les conséquences légales. Une chose est sûre : d’importantes sommes d’argent ont disparu. Que fallait-il faire ? Rien ?
Je suis triste de voir Pierre péan, soi-disant notre ami, salir le pays.
Le chef de l’État a été durement attaqué dans un livre publié fin octobre 2014 par le journaliste français Pierre Péan. L’avez-vous senti déstabilisé ?
Ali Bongo Ondimba est un dirigeant qui impressionne par son sang-froid, son courage et sa ténacité face à l’adversité. Nous, ses collaborateurs, le constatons tous les jours. Et il n’est même pas envisageable que la conduite des affaires de l’État puisse avoir été affectée, car le Gabon est une République démocratique, dotée d’institutions fortes.
En revanche, je suis triste de voir qu’un journaliste, soi-disant ami du Gabon et des Gabonais, peut, au mépris des règles de déontologie de sa profession, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la recherche de la vérité, créer la rumeur, nourrir la calomnie, salir un pays et le mettre en danger en cherchant à déstabiliser ses institutions.