Malgré la chute des cours du brut, l’État continue d’investir, quitte à s’endetter. Ses bons indicateurs le lui permettent. Il ne faudrait toutefois pas que la situation s’éternise.
Depuis l’élection d’Ali Bongo Ondimba à la présidence en 2009, le Gabon s’est lancé dans une véritable course contre la montre. Atteignant près de 6 % en moyenne depuis cinq ans, la croissance ne profite certes pas à tous mais elle est plus forte et plus constante que du temps de son père, Omar. L’objectif ? Faire « émerger » le pays d’ici à 2025 grâce au plan stratégique Gabon émergent (PSGE). Les moyens ? Des investissements publics massifs, en particulier dans les infrastructures.
Le voici pris à contre-pied par la chute vertigineuse du prix du baril, qui, passé sous la barre des 50 dollars en janvier, a perdu près de 50 % de sa valeur par rapport à la mi-2014. Moment où le chef de l’État tentait de corriger les insuffisances sociales de sa politique volontariste en lançant un pacte social de 250 milliards de F CFA (381 millions d’euros) sur trois ans, privilégiant santé, famille, emploi et pouvoir d’achat… dans la perspective de l’élection présidentielle de 2016.
Dépendant
Croissance Gabon JA 2824Le gouvernement peut d’autant plus se faire du souci que l’effondrement du prix du brut s’accompagne d’un recul inexorable de la production d’hydrocarbures, tombée à 237 000 barils/jour contre 350 000 à la fin des années 1990. Or, le Gabon est extrêmement dépendant du pétrole : la filière représente 43 % du PIB du pays, 50 % de ses recettes budgétaires et 85 % de ses recettes d’exportation.
Les mauvaises nouvelles n’ont pas tardé à tomber. Le Fonds monétaire international (FMI) a revu ses prévisions de croissance 2015. Elle ne serait plus que de 4,5 % et, à moyen terme, devrait rester inférieure d’un point aux voeux du gouvernement. Les excédents budgétaire et commercial fondent comme neige au soleil et tendent vers zéro.
« C’est un moment assez critique pour le gouvernement, confirme Bakary Dosso, conseiller économique au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), car il y a beaucoup d’attentes dans le pays en raison des promesses faites. L’agitation chez les fonctionnaires en témoigne. En effet, la redistribution se fait à travers l’État, dont le budget dépend du pétrole. Or ce dernier a été bâti sur un baril à 80 dollars, et le gouvernement doit désormais élaborer une loi rectificative pour l’adapter à la nouvelle donne. Le budget d’investissement était déjà tombé de 900 milliards de F CFA en 2013 à 600 milliards en 2014 et il devrait revenir à quelque 500 milliards en 2015. Il sera nécessaire de couper encore dans la dépense publique… »
Cela semble une gageure. En effet, toutes les solutions présentent de graves inconvénients économiques et politiques. Réduire les investissements publics, qui avaient triplé de 2010 à 2013 ? Ce serait reculer la date de l’émergence et étouffer la demande au point de réduire encore la croissance. Tailler dans la masse salariale de la fonction publique ? On peut en attendre des manifestations violentes, dont personne ne sait ce sur quoi elles pourraient déboucher.
Échappatoire
À quelque chose malheur étant bon, le FMI a conseillé au gouvernement de profiter de la baisse du prix des carburants pour réduire les subventions à la pompe, qui profitent surtout aux classes moyennes, et de réserver ses aides aux plus démunis. Il le pousse aussi à agir sur les recettes, en limitant les exonérations fiscales – « généreuses », selon lui – qui profitent aux activités non pétrolières.
Le manganèse prend de la valeur
Le gouvernement gabonais veut accélérer l’industrialisation, qui, malgré les mesures prises depuis 2010 pour interdire l’exportation de matières premières brutes au profit d’une transformation locale à haute valeur ajoutée, ne s’est pas concrétisée aussi vite qu’escompté. Surtout, peu d’unités de deuxième et troisième transformations ont été créées en aval de la filière bois et du secteur minier. C’est enfin le cas pour le manganèse, dont le Gabon est le deuxième producteur mondial.
En août 2014, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog, filiale locale du français Eramet) a en effet mis en service le complexe métallurgique de Moanda (C2M), dans le Sud-Est, comprenant une usine de silicomanganèse (d’une capacité de 65 000 t/an) et une ligne de production de manganèse métal (20 000 t/an).
Une première pour le Gabon comme pour la Comilog, qui a investi 152 milliards de F CFA (231,7 millions d’euros) dans ce complexe et devrait y créer 400 emplois directs, en plus des quelque 1 600 salariés qu’elle compte déjà dans le pays.
Et le président Ali Bongo Ondimba dispose d’une échappatoire : s’endetter. Le crédit du Gabon est bon, comme l’a prouvé l’emprunt en eurobonds de 1,5 milliard de dollars (1 milliard d’euros) qu’il n’a eu aucun mal à placer en 2013. Même s’il augmente rapidement, le taux d’endettement du pays par rapport au PIB demeure raisonnable, puisqu’il s’élève à 28 % contre 20 % en 2011. Le gouvernement, qui entend ne pas dépasser les 35 %, disposerait ainsi d’une marge de manoeuvre pour mener de front la poursuite de ses grands chantiers et la mise en oeuvre d’une politique plus sociale, sans dégrader excessivement les comptes publics.
Reste que ce recours à l’emprunt présente deux risques. D’une part, les taux d’intérêt demandés pourraient augmenter dangereusement si la confiance des investisseurs à l’égard du Gabon venait à se dégrader. D’autre part, la monnaie dans laquelle serait libellé l’emprunt devra être soigneusement choisie, car le dollar présente l’inconvénient de pouvoir s’apprécier à court et moyen terme, ce qui alourdirait le fardeau des remboursements.
Les agences de notation Fitch et Standard & Poor’s ne s’inquiètent pas outre mesure de la capacité du pays à rembourser ses dettes. En décembre 2014, la première a exprimé une perspective négative, et la seconde vient d’abaisser la note du pays. Mais pas de panique : la croissance devrait demeurer robuste, et l’absence d’une opposition crédible ne laisse pas augurer de bouleversements politiques à Libreville.
En fait, tout dépend du baril. « Le Gabon a de la marge, conclut Sophie Chauvin, économiste à l’Agence française de développement (AFD). Il peut gérer le recul du prix du pétrole pendant une année. En revanche, si le phénomène se prolongeait, son économie serait inévitablement affectée. » Car ni le bois ni le manganèse (encore insuffisamment transformés localement), et encore moins le fer ou l’uranium (toujours en phase d’exploration) ne représentent des alternatives à cet « or noir » qui a fait hier la fortune du Gabon et menace aujourd’hui de compliquer sa croissance.
Régis Immongault : « Le manque d’infrastructures fait perdre des points au Gabon »Entré au gouvernement en octobre 2009, Régis Immongault Tatagani, 55 ans, a survécu à toutes les tempêtes du septennat.
Passé du portefeuille de l’Énergie (2009-2012) à celui de l’Industrie et des Mines (élargi en janvier 2014 à celui du Tourisme), il a été promu à la tête d’un grand ministère de l’Économie, de la Promotion des investissements et de la Prospective lors du remaniement d’octobre 2014. Il a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».
Regis Immongault DR GabonJeune Afrique : Faut-il craindre un ralentissement de la croissance en 2015 ?
Régis Immongault : Non, il n’y a pas de crainte à avoir. En dépit de la baisse des cours du pétrole, qui est de nature à nous fragiliser, notre économie se porte bien, et nos prévisions budgétaires sont réalistes.
Nous avons cependant conçu un mécanisme de sauvegarde, au cas où la situation se dégraderait davantage. Dans ce cadre, certains postes de dépense pourraient être revus sans pour autant que soient remises en cause les dépenses d’investissement, qui sont cruciales pour notre économie. En bref, la stabilité macroéconomique se renforce. Et les perspectives qu’ouvrent les mesures prises par le chef de l’État sont rassurantes.