Guy Rossatanga-Rignault est professeur à la faculté de droit et de sciences économiques. Guy Rossatanga-Rignault est professeur à la faculté de droit et de sciences économiques. © David Ignaszeweski pour J.A.
Guy Rossatanga-Rignault est professeur à la faculté de droit et sciences économiques de l’université Omar-Bongo de Libreville (UOB).
Selon les chiffres du dernier recensement (2014), le Gabon compte 1 802 728 habitants. Dans cette masse, qui est gabonais et, surtout, qu’est-ce qu’être gabonais ? Le code de la nationalité répond à la première question. Selon son article 11, possède la nationalité gabonaise, à titre de nationalité d’origine, celui qui « a un parent au moins de nationalité gabonaise ; celui qui est né au Gabon de parents inconnus ou apatrides ; celui qui est né au Gabon de parents étrangers si l’un d’eux y est lui-même né ».
Il prévoit aussi que peuvent prétendre à la nationalité gabonaise le conjoint d’un Gabonais après trois ans de mariage (art. 22), le mineur bénéficiaire d’une adoption plénière (art. 25) et, enfin, tout étranger résidant depuis cinq ans et ayant investi dans le pays (art. 31).
Une identité ne saurait pourtant se réduire aux papiers du même nom. Être gabonais, c’est partager avec d’autres un ensemble de « signes », d’associations et de modes de comportement et de communication (la culture), qui font qu’un groupe est ce qu’il est et non autre chose, ainsi que je l’ai développé par ailleurs.
Cet « être gabonais » est le fruit d’éléments divers (démographie, géographie, histoire, économie, politique, anthropologie, etc.). La faiblesse du peuplement a constitué un puissant facteur d’intégration des différents groupes humains présents sur ce territoire depuis le moment colonial. Ainsi, c’est à juste titre que l’universitaire américain Brian Weinstein a affirmé que le « Gabon était une nation bâtie sur l’Ogooué » (M.I.T., 1966) pour signifier l’importance de ce fleuve dans la construction nationale.
Son histoire, c’est celle d’une expérience coloniale vécue comme une Cendrillon de l’Afrique française. La « cohésion sociale » née d’une certaine prospérité a cimenté l’identité en lubrifiant le récit national. De fait, il n’y a eu « crises » que lorsque l’économie se grippait et que s’aggravait la perception d’un partage inégal de la richesse commune.
Quant à l’identité politique, elle s’est façonnée, dès les premiers matins de la République, sur l’obsession de l’unité, de la paix et la hantise subséquente de la disparition. D’où une pratique fondée sur l’exclusion symbolique de la violence. Toute sortie de ce paradigme s’est soldée par l’échec, faute de réelle adhésion populaire. Enfin, le « vouloir vivre ensemble » des Gabonais a été facilité par l’appartenance commune au fonds culturel bantou.
Être gabonais, c’est pouvoir penser gabonais avant de penser ethnie, couleur, parti, religion, province, etc. C’est admettre que le Gabon n’appartient à personne en particulier ; ni à une ethnie, ni à une province, ni à un parti, mais à tous les Gabonais. L’oublier ou l’ignorer est cause de malheur. Être gabonais, c’est assumer et assurer que les intérêts du pays priment sur toute autre considération, au-delà des amitiés et fraternités éventuelles, quand bien même la réalité conduit à s’insérer dans un dispositif de cercles concentriques manifestant des solidarités diverses : muntu parmi les Bantous, africain du centre en Afrique centrale, africain en Afrique, francophone en Francophonie, citoyen du monde dans le monde, mais d’abord et toujours gabonais.
Ne résistons pas à l’envie de citer Léon Mba : « Il faut penser gabonais le matin, penser gabonais en mangeant, penser gabonais même en embrassant une belle femme. J’ai fait faire une affiche « Gabon d’abord ». On m’a accusé de racisme. Eh bien non ! C’est un devoir. Nous devons nous souvenir que nous sommes gabonais avant tout, car on semble souvent l’oublier. »
Oui, est gabonais qui aime sincèrement ce pays et qui est aussi à l’aise en écoutant Pierre-Claver Akendengué que Pierre-Claver Zeng sans craindre d’écouter Brassens ou Bob Marley. Est vraiment gabonais qui peut passer de l’ikoku de Mackjoss à l’empire d’Amandine [surnommée la Reine d’empire] tout en prenant la ligne « Libreville-Oyem sans escale » du groupe Binvouroux. Tout le reste n’est que vanité et poursuite du vent. En définitive, pour chacun de ceux qui y sont nés ou qui ont choisi cette terre où la nature montre à l’homme sa petitesse, être gabonais, c’est se vivre comme tel, sans calcul ni exclusive. Sans intérêts ni prétentions. Sans cosmopolitisme béat ni quête de vaine pureté.
Cette terre qui accueillit Albert Schweitzer, Cheikh Amadou Bamba et Samory Touré restera fidèle à sa tradition, en s’ouvrant à tous ceux qui témoignent d’une réelle passion pour elle et d’une sincère fraternité pour ses enfants.
L’État au Gabon. Histoire et institutions Par Guy Rossatanga-Rignault (Éditions Raponda-Walker, Libreville, 2000)
L’Afrique existe-t-elle ? À propos d’un malentendu persistant sur l’identité Par Guy Rossatanga-Rignault et Flavien Énongoué (Éditions Dianoïa, Paris, 2006)