Décidément, le Gabon ne changera jamais… Sa classe politique, en tout cas. Ici se joue une sorte de Game of Thrones à la sauce nyembwe, où premier et second rôles changent sans cesse de camp, multipliant alliances plus ou moins éphémères et trahisons amères, batailles acharnées et retraites précipitées. La conquête du Palais du bord de mer fait tourner bien des têtes. Tout le monde veut poser son séant sur le fauteuil présidentiel, dans ce gigantesque bureau du premier étage, et peu importent les armes utilisées pour assouvir ce rêve. Ce pourrait être une noble conquête, nourrie de nobles idéaux. Cela ressemble surtout à une guerre des clans, dont le seul but est de s’emparer du pouvoir pour les siens.
Comme dans la célèbre série américaine adaptée des romans de George Raymond Richard Martin, difficile de discerner belligérants et factions. Essayons. D’un côté, Ali Bongo Ondimba (ABO), élu à la présidence en août 2009 et investi dans ses fonctions en octobre la même année. Il est l’héritier d’une dynastie fondée par son père Omar, qui régna sur le Gabon plus de quatre décennies durant. Pourtant, ce dernier, contrairement aux fantasmes, n’a rien fait – ou si peu – pour asseoir son fils là où il est. « Ali », profitant des circonstances, des divisions politiques ou ethniques, des inquiétudes de ses compatriotes mais aussi de la France, liées à l’après-ABO, s’est emparé du pouvoir.
Face à lui, une opposition hétéroclite, essentiellement formée d’anciens caciques du régime de son père. Des Fangs (Casimir Oyé Mba, André Mba Obame, Jean Eyéghé Ndong), l’ethnie majoritaire (environ 30 % à 35 % de la population), mais pas seulement. Il y a aussi, entre autres, Zacharie Myboto et, désormais, Jean Ping. La plupart se détestaient hier, ils marchent aujourd’hui main dans la main. D’autres étaient très proches d’Ali, du temps d’Omar. Ils le vouent désormais aux gémonies.
Que peut comprendre un électeur gabonais, à quelques encablures de la présidentielle ? Que les mêmes, toujours les mêmes, se disputent le pouvoir, empêchant l’émergence de figures qui incarneraient le renouvellement générationnel des élites politiques.
Personne ne peut dire pour l’instant comment se déroulera le scrutin présidentiel de 2016 – à un tour, faut-il le rappeler -, ni même qui, en dehors d’ABO, sera sur la ligne de départ. L’opposition, inextricable écheveau de personnalités et d’ego dont les seuls dénominateurs communs sont l' »Omarophilie » et l' »Aliphobie », se présentera-t-elle en rangs serrés ou en ordre dispersé ? C’est l’une des clés de cette guerre sans merci. Il lui faudra cependant également proposer une alternative au pouvoir actuel autre que le dénigrement de ce dernier, c’est-à-dire en proposant aux électeurs, qui n’attendent que cela, du contenu : un programme, une vision, des mesures, des remèdes aux maux qu’ils dénoncent.
L’autre clé, peut-être la plus déterminante, c’est la capacité d’ABO à convaincre ses compatriotes de lui faire confiance pour un nouveau septennat. Il a obtenu des résultats importants et tangibles, notamment en matière d’infrastructures, de relance et de diversification économiques. Mais il a aussi formulé en 2009 d’innombrables promesses, surtout sur le plan social, qui ne sont pas toutes tenues.
Diriger un pays comme le Gabon, où le culte de l’argent facile et rapidement dépensé confine au sport national et où le mot « travail » ressemble parfois à une insulte, n’est guère une sinécure. Il est cependant responsable, car c’est lui le chef et c’est lui seul qui devra assumer le bilan des objectifs non remplis. La faute à certaines erreurs de casting, à la mauvaise évaluation des nombreux écueils à surmonter, à une communication fantomatique et à moult tâtonnements en matière d’organisation de sa gouvernance. Sa stratégie, il le sait, ne pourra être uniquement politique. Eau, électricité, logements, écoles et universités, hôpitaux, transports, emploi : voilà les seuls champs de bataille qui intéressent les Gabonais.