Suite de l’entretien accordé à Gabonreview par l’ex-Premier ministre quelques jours après sa rupture avec le Parti démocratique gabonais (PDG). La responsabilité d’un Premier ministre au Gabon, l’agenda personnel de Ndong Sima, la présidentielle de 2016, l’alternance par les urnes, la Francafrique, autant de sujets abordés ici. Le reste des quatre vérités de Raymond Ndong Sima…
Gabonreview : Dans votre ouvrage, «Quel renouveau pour le Gabon ?», vous dressez un bilan critique de la gouvernance d’Ali Bongo. Or, l’histoire vous tiendra également comptable de ce bilan, du fait de vos postes de ministre de l’Agriculture et Premier ministre. Direz-vous comme l’autre que «je n’ai jamais gouverné» ?
Raymond Ndong Sima : Je pense que mon ouvrage explique très bien le mécanisme de la gouvernance tel qu’il se vit, aussi bien à l’intérieur du gouvernement qu’au sommet de l’Etat. En réalité, comme je l’indique, les conflits entre les articles 8 et 28 de la Constitution que j’aborde très longuement dans mon livre, montrent clairement que le Premier ministre est juste là pour le décor. Il n’a aucune influence sur les choses. Cela veut-il dire que nous nous dédouanons ? Non.
Toutefois, je considère, par exemple, que le Premier ministre n’a pas prise sur la question financière. Pour moi, le chef du gouvernement est comparable au directeur général d’une société. Il dépend d’un président de conseil d’administration envers qui il est comptable de la société qui appartient au conseil. Ainsi le Premier ministre n’a pas la capacité d’assurer la surveillance de la partie financière : il est là pour assurer l’exécution des choses. Non pas que je dirai que je suis comptable ou non… L’histoire ne jugera pas dans l’abstrait, mais selon les faits. Dans les parties sur lesquelles j’avais la mainmise, j’ai fait mon devoir. A ce titre, signer, par exemple, 48 000 actes administratives de sa main, c’est assumer une responsabilité. Mais je n’ai rien vu en ce qui concerne la modernisation de l’administration. Je vous renvoie d’ailleurs à mon discours des vœux de janvier 2014, dans lequel j’avais notamment dit qu’il fallait qu’on revienne à la promotion au mérite. Or, cette dernière suggère la remise en ordre de l’administration. Malheureusement, je n’ai pas pu le faire que j’ai quitté le gouvernement. L’histoire jugera ce que chacun de nous a fait. Mais, en ce qui me concerne, je peux l’affronter sans avoir à m’inquiéter.
Vous évoquiez à l’instant une contradiction entre les articles 8 et 28 de la Constitution. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un des nombreux points sur lesquels il faut qu’on débatte à nouveau sur le plan national. L’article 8 de la Constitution nous enseigne que lorsque le président est élu, il définit la politique de la nation et nomme ensuite un Premier ministre. L’article 28.a, quant à lui, dit que le Premier ministre conduit la politique sous l’autorité du président de la République. Au regard de ce qui précède, il y a, en permanence, une espèce de conflit structurel entre celui est allé devant les urnes et qui définit la politique et celui qui la conduit, et qui peut à tout moment être démis, soit par celui qui l’a nommé, soit par l’Assemblée nationale sous le motif, par exemple, qu’elle n’est pas d’accord avec son action. Je pense que cette façon de faire mérite, dans le futur, une réflexion très large car c’est un copié-collé qui n’a pas été heureux.
Dans tout bilan il y a un actif et un passif. N’y a-t-il donc rien de bon sur celui d’Ali Bongo ? Si oui, pouvez-vous évoquer avec nous deux ou trois exemples concrets ?
En réalité, je me suis toujours refusé à établir le bilan de la politique d’Ali Bongo. A chaque fois que cela m’a été demandé j’ai toujours répondu que l’heure n’était pas au bilan, car ce dernier se fait à la fin du mandat. Le président actuel a encore un an de travail. Et il serait mal venu de dire aujourd’hui : «Voici le bilan !» Parce que, que ferions-nous des choses que nous aurions condamnées, que le président achèverait au terme de son mandat ? Qu’à cela ne tienne, nous constatons qu’il y a des choses qui ont été bien faites et d’autres non. A titre d’exemple le stade de l’Amitié à Angondjé est un beau stade. On ne peut pas le nier, à moins de ne pas être objectif. En gros, l’heure n’est pas au bilan : assurons que le chef de l’Etat n’a effectivement pas terminé tel ou tel projet avant de faire un inventaire en bonne et due forme.
© Gabonreview
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Maintenant que vous êtes un homme libre, quel est votre agenda politique ? Candidat à la prochaine élection présidentielle ou membre actif de l’opposition ?
Pour moi et tous les Gabonais, la candidature à l’élection présidentielle est une question prématurée. Je crois que la priorité pour tout le monde, est à la définition d’un projet. Et pour ce faire, il faut commencer par un diagnostic clair : quel est l’état de la nation ? Où en sommes-nous ? La situation est-elle aussi limpide qu’on le dit ou alors est-elle aussi noire que le décrivent d’autres ? Les deux extrêmes doivent être vérifiés. Il faut qu’on ait une meilleure visibilité de la situation du diagnostic. Il faut ensuite travailler à la réalisation d’un projet. Je disais il n’y a pas si longtemps que la crise est comparable à un bourbier qu’il faut traverser. Se battre pour savoir qui est candidat, c’est se battre pour savoir qui va conduire le véhicule qui va nous permettre de traverser le bourbier. En revanche, l’on ignore si le véhicule est une motocyclette, une brouette, une berline, un 4X4, un bull à chenilles, etc. Et donc choisir un candidat aujourd’hui serait prématuré car, saura-t-il conduire le véhicule adapté ? J’estime en définitive que la question de la candidature est une question subsidiaire qui doit venir plus tard. La priorité, de mon de vue, est à la définition d’un projet viable.
Dans quel cadre se ferait ce diagnostic ? N’êtes-vous pas là en train de militer pour le dialogue national appelé par une partie de la classe politique ?
Pas du tout ! Je pense que nous ne pouvons échapper à une formule qui existe partout dans le monde : les partis politiques, les groupes, se constituent autour des projets. Ces derniers s’affrontent car ayant une cohérence interne. Et le meilleur s’enrichit des bons apports ou des bonnes contributions que d’autres projets en compétition peuvent avoir. Je crois que les différents groupes (associations, partis politiques, et.) doivent travailler à leurs projets pour montrer la cohérence de ce qu’ils ont et défendre ces derniers. Et lorsque le peuple sera mis à contribution, parce que le travail explicatif qui sera mis en place aura permis de le faire, ce dernier adoptera le meilleur projet. Et dans ce cas-là, il s’enrichira des apports que les autres auront développés. Je ne crois donc pas à un projet unique, car les philosophies varient selon les sensibilités. A titre d’exemple, certains ne sont pas favorables aux subventions à l’économie, tandis que d’autres estiment qu’on ne peut faire autrement qu’avec des subventions. C’est une approche totalement différente de l’économie. Ainsi, lorsqu’on est favorable il faut expliquer à ces interlocuteurs les mécanismes de financement de ces subventions. Et dans le cas contraire, il faut convaincre sur les moyens palliatifs pour supporter le poids de cette absence d’aide. Ces philosophies doivent donc se déployer, développer leur logique jusqu’au bout pour que la population qui est consultée, se prononce.
Croyez-vous en la possibilité d’une alternance par les urnes au Gabon ?
Non seulement j’y crois mais je considère en plus que c’est le seul mode d’alternance raisonnable. A mon avis, la vraie question est que peut faire pour arriver à cette alternance par les urnes ? Car, dans le cas contraire, nous serions une exception regrettable. Regardez par exemple le Nigeria, avec une population de près de 200 millions d’âmes, qui vient de nous faire une démonstration magistrale d’alternance. Et nous, pourquoi n’en serions-nous pas capables avec à peine 2 millions d’habitants ? J’estime que, comme les autres, nous sommes capables d’aller à la discussion sur des questions d’organisation et de mise en œuvre. C’est vrai cela n’a pas été le cas dans le passé peut-être, mais il faudrait que l’on trouve les modalités qui permettent d’assurer un changement par les urnes.
L’on a souvent critiqué les hommes, avec entres autres, les présidents de la Cour constitutionnelle ou encore de la Commission électorale nationale et permanente (Cénap). Est-ce que, caricaturalement, les changements ne passent pas par de nouveaux visages au sein de ces institutions ?
Les changements passent par les modalités que nous définissons. Et c’est dans ces modalités que se trouve la marge de manœuvre des personnes en charge des institutions. Car l’on peut très bien changer un président d’institution, et le remplacer par quelqu’un de bien pire encore, plus réfractaire à la lecture des textes qu’il sera chargé d’appliquer. La vraie problématique est de voir les modalités de la personne de qui est chargé d’occuper le fauteuil de telle ou telle institution. Il ne faudrait pas que l’occupation d’un office devienne une question personnelle. Il faut par contre qu’elle s’inscrive dans ce que j’appelle, dans mon livre, le «vivre ensemble». Ce dernier constitue, faut-il le rappeler, les règles que nous avons convenues et qui doivent être appliquées d’une façon satisfaisante pour tout le monde ; et non pas d’une façon partisane. Par principe, je refuse de faire de la position de certains individus un obstacle, car je crains qu’à l’avenir on puisse changer quelqu’un et que, plus tard, l’on se rende compte que non seulement les choses ne se sont pas améliorées, mais ont empiré.
Lorsqu’on est dans l’opposition, l’on critique la Françafrique. Mais lorsqu’on cherche le pouvoir ou quand on y accède, on cherche l’onction de Françafrique. Serait-ce votre cas dans l’éventualité d’une candidature ?
J’ai une opinion très différente sur cette question, je l’ai légèrement abordée dans mon livre. C’est une question qu’il faut étudier dans la perspective historique et non la prendre à la volée. Et la perspective historique est qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale, les blocs se sont formés avec l’Est d’un côté, et l’Ouest de l’autre. C’est un fait d’histoire, ça ne sert à rien de le nier. Va-t-on chercher l’onction de la Françafrique ? Je ne crois pas. Et d’ailleurs c’est une mauvaise lecture que les Gabonais sont en train de faire. Personne n’a intérêt à aller chercher l’onction de la France et personne n’a intérêt à se mettre la France à dos. Pourquoi ? Parce que les opérateurs français représentent 30 à 40% du tissu économiques gabonais. Ce n’est donc pas une question d’onction, mais de réalisme. Il faut parler à tous les opérateurs économiques du pays pour les rassurer : partout ailleurs, on rassure l’investisseur.
On doit donc parler, aussi bien à la France, qu’à d’autres investisseurs présents sur le territoire national. Sachant toutefois que l’investisseur français est traditionnellement et structurellement celui qui a la plus grande part dans l’économie gabonaise. C’est pour cette raison que je considère, personnellement, qu’il faut parler avec les Français dans un cadre explicatif. C’est l’investissement direct étranger qui est le premier support de la politique d’investissement que promeut tout gouvernement. Ce dernier repose sur la confiance des investisseurs. Aussi cette situation n’est-elle pas propre au Gabon, le monde est ainsi fait. Même en France, où lorsque Mitterrand a été élu, le débat tournait autour de la présence ou non des communistes au pouvoir et qui risquait de faire peur aux investisseurs. Il faut donc restituer les choses dans leur contexte car la France n’a aucun intérêt à ce que les choses dérapent ici. C’est donc à nous qu’il appartient de faire travail pédagogique sur la base d’un projet qui dit : «Voilà ce que nous avons l’intention de faire».