Daniel Mengara sera au Gabon le jeudi 6 août prochain. Dans l’interview qu’il nous a accordée, l’homme indique sans détour ce qu’il vient faire au Gabon après 17 ans d’exile politique aux Etats Unis. Il parle entre autres de son ambition de faire partir Ali Bongo Ondimba du pouvoir et d’obtenir la mise à plat des institutions, avant la tenue de la prochaine élection présidentielle. En même temps, il propose aux gabonais l’idée d’instaurer une assemblée constituante qui permettra au Gabon de se doter d’une constitution à la hauteur de son aspiration à la démocratie.
EDN: Quels sont les objectifs que vous visez au travers de ce retour. Surtout que vous venez de vous concerter avec l’opposition gabonaise aux USA et vous avez mené avec d’autres, la bataille de l’acte de naissance à Nantes ?
D.M: Ce retour vise plusieurs objectifs, dont celui, dans un premier temps, de travailler avec le reste de l’opposition pour mettre fin à la prise en otage du Gabon par une seule famille, un seul clan. Dans un second temps, il s’agit de renouer le contact avec le peuple gabonais, le terroir, la culture, le village, toutes ces choses qui m’ont tant manqué en près de 17 ans d’exil politique aux Etats-Unis, exil qui a commencé en décembre 1998 quand j’ai créé le mouvement « Bongo Doit Partir » en vue d’amener les Gabonais à voir que rien de bon ne peut se passer au Gabon tant qu’un Bongo sera au pouvoir, que le changement ne viendra au Gabon ni par le miracle de Jésus-Christ ni par la bonne volonté des Bongo, que le changement ne viendra pas non plus au Gabon par les urnes, mais bel et bien par le pouvoir démocratique de la rue. Ces prédictions émises il y a 17 ans n’ont pas été démenties et aujourd’hui je crois que toute la classe politique et la très large majorité de notre peuple meurtri par près de 50 ans de bongoïsme me donnent raison.
Mais il y a aussi l’urgence du moment, cette urgence qui nous interpelle tous en tant que nation, et qui nous dit que si rien n’est fait, dans l’immédiat, pour mettre fin à la prise en otage de notre pays, nous risquons, dès 2016, de nous retrouver dans une situation où le Gabon risquera d’être dirigé par une seule famille, un seul clan, pendant au moins 70 ans. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que si nous allons aux élections de 2016 dans les conditions actuelles, Ali Bongo s’imposera de nouveau par la fraude comme en 2009 et se garantira, à partir de là, au moins, 28 ans de pouvoir.
Quand vous ajoutez ces 28 ans aux 42 ans du père Bongo, vous avez 70 ans de règne par la même famille. Une telle situation est inacceptable, intolérable.
Le Gabon n’est pas une monarchie et personne n’a décrété que seuls les Bongo Ondimba pouvaient diriger ce pays. Les Gabonais se doivent de tout faire pour éviter que cette situation ne se perpétue au-delà de 2016. Ali Bongo doit donc partir. Maintenant.
Voilà pourquoi mon retour politique au Gabon s’impose aujourd’hui car il nous faut, en tant qu’opposition, engager de toute urgence avec le peuple gabonais le vrai débat sur le changement immédiat dans notre pays. Ceci veut dire, en effet, qu’il nous faut trouver le moyen de redynamiser une opposition qui tourne en rond depuis 1990 et qui n’a cessé de se perdre dans des contorsions politiques à n’en plus finir, un peu comme elle le fait en ce moment avec ses projets de candidatures uniques à des élections perdues d’avance au moment même où s’impose à tous, pourtant, le devoir de tout remettre en cause, de tout remettre à plat, avant toute nouvelle élection au Gabon. Mes pourparlers avec les leaders de l’opposition gabonaise à Washington au mois de juillet ont donc eu pour but, de commencer avec eux la nécessaire conversation autour de l’impératif du « Bongo doit partir », c’est-à-dire l’impératif de débarrasser le Gabon de l’imposture et de la véritable malédiction nationale que constituent aujourd’hui Ali Bongo Ondimba et le régime bongoïste.
La question de l’acte de naissance d’Ali Bongo Ondimba et du faux et usage de faux qui entoure cet acte est au centre même de ce débat du « Bongo doit partir ». C’est ce débat que je suis, justement, allé lancer à Nantes quand, en compagnie du Mouvement des Femmes et autres organisations de la diaspora, je suis allé demander à la France de nous dire ce qu’elle avait dans ses archives coloniales. La France est, bien évidemment, tombée dans le piège que nous lui avons tendu. En allant fabriquer de toutes pièces, au profit du dictateur, un extrait d’acte de naissance qui visait à montrer qu’il existerait à Nantes des archives attestant de la naissance d’Alain-Bernard Bongo à Brazzaville le 9 février 1959. La France a, sans le savoir, condamné Ali Bongo à n’aller plus qu’à Nantes et nulle part ailleurs pour prouver qu’il a un acte de naissance original délivré par l’AEF. Autrement dit, nous avons fermé toutes les voies de la fraude à Ali Bongo puisqu’il ne peut plus, maintenant, sortir un quatrième ou cinquième acte de naissance de source douteuse. Il ne peut plus aller qu’à Nantes. Mais le jour où il ira à Nantes, il prouvera automatiquement, par lui-même, que celui qu’il a utilisé en 2009 et celui qu’il a fait publier dans le journal Le Monde en novembre 2014 étaient des faux et, sur cette base, il sera destitué pour fraude, faux et usage de faux, haute trahison et atteinte à la dignité de la République. Sur cette base aussi, il ne peut plus se porter candidat à aucune nouvelle élection présidentielle au Gabon.
Il faut donc que les Gabonais comprennent clairement ce que ce débat sur l’acte de naissance d’Ali Bongo suppose. Il ne s’agissait pas pour nous d’aller à Nantes pour prouver qu’Ali Bongo était Gabonais ou non Gabonais puisque le débat sur sa gabonité peut être facilement évacué par un test d’ADN qui montrerait, sur un plan purement filial, qu’Ali Bongo est né ou non de Joséphine Kama. Nous savons néanmoins de Luc Bengono Nsi qu’il lui sera difficile d’établir cette filiation. Par contre, s’agissant de l’acte de naissance, notre but était, plutôt, d’attaquer le problème de la légitimité et de la légalité d’Ali Bongo sur le plan juridique et, donc, de mettre en place les mécanismes et arguments juridiques qui nous permettraient de prouver qu’Ali Bongo avait fait usage de faux dans son dossier de candidature en 2009 et que, si la Cour constitutionnelle du Gabon et la CENAP avaient fait leur travail, la candidature d’Ali Bongo aurait été disqualifiée en 2009, ce qui veut dire qu’il ne serait pas le président parjure du Gabon qu’il est aujourd’hui. Il appartient désormais au peuple gabonais de réparer cette grave erreur et de soigner notre République de sa malédiction bongoïste.
Vous me permettrez donc, à ce niveau, d’ajouter ceci : Il me semble que dans un État qui se voudrait de droit, l’on ne peut tolérer que la Constitution d’un pays soit à ce point bafouée. Comme a pu le démontrer le grand frère Luc Bengono Nsi, Ali Bongo Ondimba a fait usage de faux dans son dossier de candidature en 2009.
Dès lors que tout le monde, y compris Ali Bongo lui-même, a reconnu que l’acte de naissance introduit dans son dossier de candidature en 2009 était un faux, il s’ensuit automatiquement que c’est de manière frauduleuse qu’Ali Bongo s’est hissé à la magistrature suprême du Gabon. Quand on a un « président parjure » à la tête de l’État, il faut demander sa démission, et s’il refuse, il faut le destituer. Sur la base de son parjure, Ali Bongo Ondimba ne peut être candidat à l’élection présidentielle de 2016, et les Gabonais ne doivent aucunement accepter que se tienne l’élection de 2016 avec Ali Bongo toujours au pouvoir et le système Bongo-PDG toujours en place et contrôlant unilatéralement le processus électoral.
Je viens donc au Gabon pour engager, avec le peuple gabonais et l’opposition patriotique, le débat de la destitution pure et simple d’Ali Bongo Ondimba par le peuple gabonais, puisqu’il ne fait plus aucun doute aux yeux des Gabonais et du monde qu’Ali Bongo Ondimba est un imposteur. Je viens engager le débat sur l’organisation au Gabon d’une Assemblée constituante du Peuple, dont l’objectif serait entre autre, de doter le Gabon d’une Constitution à la mesure des aspirations démocratiques du peuple gabonais, ramener le Gabon à un système électoral à deux tours, réformer la Cour constitutionnelle, réformer le système électoral gabonais en mettant en place les mécanismes de la transparence, réformer la CENAP, mettre en place une transition politique chargée d’organiser des élections transparentes, destituer Ali Bongo Ondimba et proclamer une nouvelle République. Nous ne pouvons simplement plus nous permettre, en tant que Peuple, de continuer à cautionner la meurtrissure faite aux Gabonais par le clan des Bongo Ondimba.
EDN: Vous inscrivez-vous dans la dynamique unitaire de l’opposition et cela peut-il aller vers un rapprochement avec le Front ?
D.M: Je m’inscris forcément dans l’esprit d’une dynamique unitaire de l’opposition car le travail qui nous attend ne concerne pas qu’un seul groupe, mais tous les groupes, c’est-à-dire, le peuple gabonais de l’opposition dans son ensemble. Le problème du Gabon aujourd’hui n’est pas que l’on doive aller grossir les rangs du Front ou de toute autre coalition politique. Le regroupement au sein des coalitions, comme vous pouvez le voir depuis 1990, n’a pas toujours été signe d’efficacité, sinon on ne serait plus là, 26 ans après la Conférence Nationale, à parler de changement au Gabon. Je crois donc que ceux qui insistent sur le besoin de toujours regrouper les énergies dans des coalitions du type Front ou autres ne se rendent pas compte que ces coalitions peuvent, à la longue, devenir lourdes, immobilisantes et, même, tueuses d’initiatives libératrices puisqu’elles ont tendance, comme au PDG, à cultiver la pensée unique et le pouvoir de l’argent. Je crois que ce qu’il faut, plutôt, c’est trouver au sein de l’opposition, les groupes et personnes qui partagent le même enjeu et la même idéologie et qui, dans ce contexte, sont prêts à agir ensemble et en toute solidarité sur les enjeux partagés, pour arriver à leurs fins. Dire simplement qu’on est tous de l’opposition et qu’on veut tous, la fin du régime bongoïste n’est pas suffisant comme motif de rassemblement. Il faut d’abord, avant tout, se définir une idéologie, c’est-à-dire offrir aux Gabonais un enjeu rassembleur autour duquel peuvent se coaliser les énergies qui partagent cet enjeu au-delà des coalitions et des groupes partisans. Autrement dit, une dynamique non partisane bâtie sur un enjeu national commun et facile à cerner par le Peuple, sera toujours plus efficace et rassembleuse qu’une coalition basée sur le simple fait qu’on veut la chute du régime Bongo. Par exemple, aujourd’hui je propose l’organisation, par l’opposition elle-même, d’une Assemblé Constituante du Peuple dont les buts ont été énoncés plus haut. Ceci est un enjeu capable de mobiliser tous ceux qui veulent la destitution d’Ali Bongo. Mais pour accomplir cet objectif ENSEMBLE, on n’a pas besoin d’être tous au Front, à l’Union nationale, à l’UFC, à l’ACR, ou à l’UFA et on n’a pas besoin de créer une énième coalition. Tout ce dont on a besoin, c’est le partage de l’idée qu’une Assemblée Constituante organisée par l’ENSEMBLE, je dis bien, l’ENSEMBLE de l’opposition à l’intérieur comme à l’extérieur du Front, est le seul outil capable, aujourd’hui, de garantir une chute programmée du régime bongoïste. C’est d’un tel partage de démarche libératrice commune, que naîtront les synergies et les convergences nécessaires. En d’autres termes, dans ce type de démarches, ce n’est pas l’appartenance au Front qui doit être le motif de rassemblement, puisque le peuple Gabonais ne peut être réduit, comme dans un parti unique, à n’appartenir qu’au Front pour agir. Concevoir ainsi les choses, c’est appauvrir le débat et le confiner à un seul groupe, au lieu de l’étendre à l’ensemble du Peuple. Procéder de la sorte, serait également pratiquer l’exclusion politique, au lieu de mener au rassemblement le plus large possible de toutes les forces du changement, à l’intérieur comme à l’extérieur du Front. L’adhésion au Front ne peut donc devenir synonyme de seule manière d’agir ensemble. Ce qui rassemble, c’est le fait, pour ceux qui sont dans le Front et hors du Front, c’est-à-dire, le peuple gabonais dans son ensemble, de s’engager dans un acte libérateur commun qui dépasse les cadres et clivages partisans. Voilà pourquoi je préfère parler de convergence et de solidarité de l’opposition, autour d’enjeux rassembleurs comme l’organisation au Gabon d’une Assemblée Constituante. Voilà pourquoi mon action s’inscrit plutôt dans le cadre d’un rassemblement le plus large possible de toutes les forces du changement, d’où qu’elles viennent.
EDN: Que va être votre planning une fois sur place ?
D.M: J’arrive au Gabon le 6 août si tout se passe bien. Le calendrier global sera communiqué par l’équipe locale.
La Rédaction