Bilie Bi Nzé participera à la table ronde « Elus, citoyens : qui décide ? » vendredi 9 octobre de 9h à 11h à la salle de conférence du stade de l’Amitié de Libreville.

TRIBUNE. Les années 1990 avaient marqué l’ère de la démocratisation des Etats africains. Le Gabon, mon pays, n’y avait pas échappé. Le multipartisme y a été instauré en 1990, suite à des mouvements sociaux d’importance qui ont fait évoluer notre pays d’une culture du monopartisme à celle de la pluralité des opinions et à la concurrence organisée de formations partisanes pour la prééminence politique. Il s’agit incontestablement d’une avancée significative qui nous a fait grandir en tant que Nation.

Depuis le début des années 2010, il me semble que notre pays, à l’instar d’autres pays dans le monde, connait un deuxième âge de sa démocratie : celui de la démocratie d’opinions. Le développement d’internet, la circulation du savoir et de l’information qui va avec, de même que la non hiérarchisation des opinions savantes ou autorités vis-à-vis des opinions profanes du premier bloggeur venu, puis le développement de la téléphonie mobile et de l’internet mobile en Afrique, auront été les soubassements technologiques à cette mutation de la démocratie. J’ai personnellement été dans une position privilégiée pour assister à cette mutation. J’ai occupé depuis le début de cette décennie 2010 des fonctions de responsables de la communication, d’abord à la Présidence de la République Gabonaise, et aujourd’hui en tant que Ministre de la Communication et porte-parole du Gouvernement. J’ai été aux premières loges de l’avènement de cette démocratie de l’opinion, où tout le monde à un avis sur tout et entend modeler le débat public à coups de tweet, de commentaires immédiats, de photos partagées, d’informations virales…

Il me semble que cette dynamique en cours, si elle revivifie en partie le débat public en donnant aux citoyen-connectsé la prééminence de la parole, comporte un certain nombre de dérives sur lesquelles il est important de ne pas faire l’impasse. Il y a tout d’abord une divergence profonde entre l’action publique, qui s’inscrit dans le long terme, et l’opinion, qui s’inscrit dans l’immédiateté. Le Plan Stratégique Gabon Emergent est ainsi un ensemble concerté d’actions publiques qui s’inscrit sur 15 ans. Pourtant, il n’est pas un jour où, des citoyens-connectés en viennent à remettre en cause une action de long terme sur la base d’un fait-divers ou d’un épisode passager. La critique, en démocratie, est saine et utile. Toutefois, on ne dirige pas une Nation sur l’opinion du jour.

Je fais partie de cette génération d’hommes politiques qui ont grandi avec les médias connectés, les chaînes d’information en continu, qui savent que l’importance des mots et l’importance de la gestion des «crises» médiatiques. Toutefois, même pour un homme de cette génération, il me semble important de réhabiliter le rôle, aujourd’hui souvent injustement décrié, de l’élu. Ce dernier est pourtant le médiateur indispensable entre les intérêts et la perception du court terme, et les enjeux et intérêts du long terme. C’est à lui qu’incombe la réconciliation de cette dialectique. C’est à lui de trouver les mots et les gestes, le temps et la manière, de convaincre le citoyen-connecté de la prééminence du long terme politique à l’immédiateté de l’actualité et du spectacle.

Réaffirmer le rôle de leadership et de responsabilité gouvernementale de l’élu et celui de juge critique – dans une perspective de long terme – du citoyen, c’est assurer la sauvegarde et le dynamisme de notre démocratie. C’est un enjeu important qu’il nous faut tous, chacun à la place qui est la sienne, garder en tête, si nous souhaitons collectivement relever les défis de notre époque.

Bilie Bi Nzé, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement gabonais