Rencontrée au forum citoyen organisé par notre confrère Libération, la directrice Afrique de Transparency International estime que seul l’échange peut permettre de consolider les fondements de la démocratie et de la lutte contre la corruption.
Gabonreview : Au forum citoyen de Libération, vous avez participé au panel ayant pour thème «Elus, citoyens : qui décide ? (Les défis de la démocratisation)». Quels sont les enjeux de ce forum ?
Chantal Uwimana : Les enjeux sont importants parce que Transparency International est un partenaire de ce forum. On trouve important que dans un pays inscrit dans un processus démocratique, il y ait un débat entre citoyens et gouvernants. Et comme vous avez pu le suivre, le débat est encore passionné. Il manque encore des propositions concrètes. Il manque encore des analyses bien faites, précises. On pense, peut être, qu’on doit commencer par ce que l’on a vu aujourd’hui. Mais, il faut évoluer vers le moment où l’on peut s’asseoir ensemble et dire : «D’après notre analyse, voilà ce qu’on voit, voilà ce que disent les citoyens, et voilà ce nous proposons» et que les gouvernants puissent dire : «C’est bien ! On a cette information, voilà ce que nous pouvons faire et que l’on puisse avancer ensemble, parce que Société civile et gouvernants sont, en fait, des acteurs qui devraient travailler ensemble». La société civile ne cherche pas à renverser un système, quand on dit qu’on est contre un système alors qu’on est acteur de la société civile, il y a encore du chemin à faire.
Le débat était passionné en ce qui concerne la corruption, une question qui vous intéresse particulièrement. Quelle appréciation avez-vous donc du Gabon en matière de corruption et quelles propositions faites-vous pour y améliorer la gouvernance ?
On n’a pas encore d’études sur la corruption au Gabon et c’est dommage. Comme vous avez pu le suivre, les gens disent : «On sait que tout le monde est corrompu, on sait qu’il y a la corruption, mais on n’a pas d’éléments concrets». Et c’est pour cela que je regrette qu’on n’ait pas pu jusqu’aujourd’hui trouver des financements qui nous permettent de mener une étude sur la corruption au Gabon. Mais, j’ai aussi dit qu’on est en train de mener des enquêtes avec des partenariats pour demander aux citoyens gabonais, quelles sont leurs expériences par rapport à la corruption.
Bien sûr que cela va plus s’appesantir sur la corruption administrative que l’on appelle généralement la petite corruption. Mais, on peut commencer par-là, parce qu’on sait que la corruption constitue un frein à l’accès à l’information, l’accès à l’éducation, à l’eau, à beaucoup de services de bases. Mais, on devrait pouvoir aussi mobiliser des fonds pour mener une étude beaucoup plus approfondie. J’ai parlé de l’analyse de l’évaluation du système national d’intégrité qu’on n’a pas pu faire parce qu’il n’y a que le gouvernement gabonais qui voulait financer et on a dit que pour la crédibilité même de cette évaluation on ne pouvait pas accepter le financement gabonais. J’espère qu’il y aura d’autres partenaires qui seront prêts à financer pour qu’on puisse le faire. Cela aurait bien nourri le débat aujourd’hui. Parce que là, on est resté vraiment dans des généralités et on n’a pas pu aller en profondeur, pour dire que voilà où l’on peut proposer des solutions concrètes.
N’y a-t-il pas une « potion magique» pour agir sur ce phénomène qui participe de la destruction des processus de développement des pays et de la paupérisation des peuples ?
Il n’y a jamais de potion magique sur quoi que ce soit (rires). Il faut simplement qu’on analyse la situation, qu’on évalue ce qu’on a et qu’à partir de là, on dise : «Voilà là où il faut améliorer». Ça prend du temps. Même quand on dit que les pays en Afrique, sur notre indice de perception de la corruption, sont plus corrompus que d’autres, on sait qu’il y a la corruption dans tous les pays du monde. L’important est de pouvoir régulièrement évaluer où on en est, quels sont les systèmes qu’on a mis en place pour limiter les opportunités de corruption, pour réduire l’impunité. Là on n’a pas eu suffisamment de temps. Quelqu’un a évoqué les gens qui attendent quitter leurs fonctions pour agir. Cela a un lien avec l’impunité. Il faudrait qu’on réduise l’impunité pour que la corruption devienne une entreprise risquée. Pour le moment, dans beaucoup de nos pays, on prospère même dans la corruption. C’est cela qui est dommage.
Transparency International propose souvent des solutions, fait souvent des constats. Aujourd’hui, puisqu’on parle de la question de la démocratie, comment faire pour améliorer les choses au Gabon. Que diriez-vous aux dirigeants ?
Tout ce que je peux dire, je l’ai déjà dit, parce que ce n’est pas la première fois que je suis au Gabon. J’ai même rencontré le président de la République. Tout ce que j’ai dit c’est qu’il faut commencer à permettre ce genre de débat pour que les passions fassent la place aux questions concrètes et une fois que tout le monde va se rendre compte qu’on est dans un débat passionné au lieu de se demander ce qu’on va faire, alors, les gens mettront plus d’énergie à analyser, faire des études et développer des solutions. Mais, tant qu’il n’y aura pas débat, il y aura toujours ce manque de confiance et je pense que ce n’est pas bon pour la démocratie au Gabon.